Ce spectacle a d’ailleurs innové par un retour aux sources. Le répertoire est entièrement renouvelé par rapport à celui des vingt dernières années. En dehors de trois chansons signées Ziad: Eh fi amal, la joyeuse valse qui arrache des larmes, créée l’an dernier au BIEL, et les désormais classiques Sabah w massa et Ya di’ano inaugurés à Beiteddine, onze opérettes ont été revivifiées, depuis la Baalbakiyyi de 1961 jusqu’à Qasidit Hobb de 1973. Cette rétrospective autorise d’ailleurs un retour inattendu, mais bienvenu, de quelques genres délaissés du tarab, les «mawwal» et le «qawl» qui clôturera le spectacle par un dialogue roboratif entre Feyrouz et le chœur, et finira par mettre le public en transes. Il a suffi que la déesse bouge, se saisisse d’un tambourin et esquisse quelques mouvements pour que la salle se pâme, s’extasie et l’accompagne d’applaudissements frénétiques. Le dernier soir, ils l’ont interrompue plusieurs fois pour clamer leur amour et leur «chahada» païenne, mais authentique. D’ailleurs, un anthropologue avisé aurait perçu encore d’autres rituels, d’autres piliers de la foi; n’était-ce pas à la fois une forme de prière, de hajj et de pèlerinage?
Par elle et pour elle le temps s’est arrêté. L’âge ne la concerne plus, ni elle ni ses chansons. Chacun revit au présent des instants du temps perdu. Pour moi, c’est le rythme de Moudwiyyi qui m’initiait à la dabké en maternelle ou encore Tiriyatiyyara qui animait notre fête des jeux à l’école. Pour beaucoup d’autres, c’est la voix qui fait revivre toutes celles qui se sont tues. De tous les horizons, ils s’étaient retrouvés dans ce temple improvisé: beaucoup de jeunes de chez nous, mais aussi des Égyptiens débarqués tout droit de la place Tahrir, des Koweïtiennes et des Saoudiennes bariolées, des Syriens venus respirer l’espoir et la liberté, des gens de Londres, de Boston, du Qatar, de Bahreïn (beaucoup de ces derniers avaient fait des allers-retours pour ne rater aucun des quatre spectacles). Et pour tous ces jeunes néophytes, plus fervents encore que leurs aînés, c’est, le temps du récital, un vrai voyage initiatique où la voix est aussi le chemin; les portables, les smartphones, les caméras, les petits soucis et les vrais problèmes sont restés en dehors de l’enceinte sacrée. Le rapport dialectique entre réel et irréel s’est inversé. Et c’est seulement lorsque la voix s’est arrêtée et que l’icône s’est arrachée à ses vénérateurs, que les fidèles dégrisés ont pris conscience du temps retrouvé.
Roland TOMB
* Un récital supplémentaire a été programmé le vendredi 23 décembre.
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