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Tous les chemins du Yémen de demain passent par l’Arabie - Interview

Tous les chemins du Yémen de demain passent par l’Arabie

Pour Khaled Fattah, chercheur en relations internationales à l’université de Lund en Suède, la clé du succès du président yéménite Ali Abdallah Saleh durant toutes ces années revient à sa capacité à comprendre la société tribale et son fonctionnement.

Ali Abdallah Saleh, tout sourire, signant l’accord organisant le transfert du pouvoir à son vice-président et visant à mettre fin aux manifestations et aux violences qui ont secoué le Yémen. AFP/Saudi Television

Propos recueillis par Antoine AJOURY

Une page vient de se tourner au Yémen. Après des mois d’atermoiements, le président Ali Abdallah Saleh a signé mercredi dernier à Riyad un accord organisant le transfert du pouvoir à son vice-président et visant à mettre fin aux manifestations et aux violences qui ont secoué l’un des pays les plus pauvre au monde.
En vertu de ce plan parrainé par le Conseil de coopération du Golfe (CCG), avec le concours d’un émissaire de l’ONU, M. Saleh doit transférer ses pouvoirs à Abed-Rabbou Mansour Hadi, avant la tenue d’élections anticipées. Ce dernier devra former un gouvernement d’union nationale avec l’opposition, puis organiser une élection présidentielle en février 2012. L’accord accorde en outre l’immunité au président et à ses proches.
Toutefois, ce plan pour un transfert pacifique du pouvoir risque de se heurter à de nombreux obstacles, dont l’opposition des jeunes contestataires d’une part, ainsi que celui des deux principaux adversaires de M. Saleh, le général Ali Mohsen, qui a fait défection au début des manifestations, et l’influent chef tribal cheikh Sadek al-Ahmar.
Fait remarquable, le président yéménite, au pouvoir depuis 33 ans, a obtenu une sortie honorable contrairement à ses pairs : tunisien forcé à l’exil, égyptien traduit en justice et libyen tué lors de sa capture.
Par quel tour de magie Ali Abdallah Saleh a pu imposer ses conditions ? Selon Khaled Fattah, chercheur en relations internationales à l’université de Lund en Suède et spécialiste du Yémen et des relations entre État et tribus, « la réponse se trouve à Riyad et non pas à Sanaa ». Selon lui, le président yéménite s’est parfaitement soumis aux règles du jeu saoudiennes depuis des années. Il a ainsi été chouchouté pendant des décennies par l’Arabie saoudite, y compris en ce qui concerne son départ. « La politique de Riyad veut que le Yémen soit toujours dans une situation d’instabilité permanente, sans toutefois sombrer dans le chaos, et surtout sans se redresser complètement. Sanaa ne doit jamais constituer une menace pour l’Arabie saoudite », ajoute-t-il. En effet, en cas de guerre civile ou d’implosion, des millions de Yéménites, extrêmement pauvres, passeront la frontière poreuse entre les deux pays, pour se réfugier dans le royaume wahhabite, et peuvent donc déstabiliser le pays. Par contre, un Yémen fort pourrait un jour revendiquer les territoires jadis conquis par Abdel-Aziz ben Abdel-Rahman al-Saoud.
Ali Abdallah Saleh a pu ainsi gouverner tant bien que mal un pays aux problèmes infinis. Des sécessionnistes du Sud, à la rébellion armée de la minorité chiite au Nord, en passant par les différents conflits tribaux, et la présence d’el-Qaëda.
Les États-Unis ont également été un soutien de taille pour M. Saleh. « Obnubilé par la guerre contre le terrorisme, Washington ne regarde le Yémen qu’à travers le prisme sécuritaire », affirme Saleh Fattah qui rappelle que le président yéménite a rendu d’innombrables services aux Américains dans ce contexte. Les États-Unis redoutent l’arrivée de dirigeants hostiles à leur politique. « Là aussi, Saleh a su jouer sur les craintes américaines pour imposer ses conditions », explique-t-il.

Scission au sein de la garde républicaine
Malgré tous ces soutiens, le président yéménite a finalement jeté l’éponge. Pour Khaled Fattah, « la tentative d’assassinat menée contre Saleh a été certainement le déclencheur. Avec la scission de sa garde républicaine pourtant dirigée par son fils aîné, le président yéménite ne s’est plus senti en sécurité, surtout qu’il s’appuyait énormément sur elle ». La chute d’une importante caserne appartenant à la garde républicaine près de Sanaa la semaine dernière aux mains d’une tribu dissidente a sonné l’alarme.
« Chose singulière, l’Union européenne a également joué un rôle important dans la chute du président yéménite », ajoute-t-il.
En conjuguant ainsi les pressions extérieures (américaines, européennes et celles des pays du Golfe) à la pression intérieure, l’étau s’est vite resserré autour de Saleh, lui qui a comparé le fait de diriger le Yémen à « danser au-dessus des serpents ».
Selon Khaled Fattah, la clé du succès de Saleh durant toutes ces années revient à sa capacité à comprendre la société tribale et son fonctionnement. « Il n’est pas un homme d’État, c’est un homme tribal », insiste-t-il. Dans cette équation, sa démission ne changera pas grand-chose sur le terrain. « Le départ de Saleh est uniquement une victoire symbolique et psychologique pour les manifestants », affirme le spécialiste du Yémen. Son influence restera grande dans le pays, au sein de l’État et de l’armée et bien sûr au sein du Congrès général du peuple (CGP), le parti au pouvoir.
Khaled Fattah explique par ailleurs que le CGP n’est pas en fait un parti politique structuré. Il s’agit plutôt d’une tente qui chapeaute plusieurs groupes politiques, religieux et tribaux, comprenant des islamistes, des baassistes, des marxistes, etc. « L’habilité de Saleh est d’avoir choisi le terme de “congrès” et non pas de “parti”, pour attirer les courants sunnites radicaux qui haïssent les partis politiques », ajoute-t-il.
Le transfert du pouvoir au vice-président Abed-Rabbou Mansour Hadi confirme cette théorie, puisque ce dernier est un homme assez faible sur le terrain, ne bénéficiant d’aucun appui de taille et ne pouvant donc menacer l’influence de Saleh.
Ce dernier gouvernait ainsi à travers le CGP qui prenait effectivement la place des institutions étatiques inexistantes dans le pays. « Contrairement à d’autres pays arabes comme l’Irak ou la Syrie, au régime fortement centralisé, l’État au Yémen est quasi absent », affirme Khaled Fattah. « Un risque d’éclatement pèse sur ces États fortement reclus, alors que dans le cas de pays comme le Yémen, ce risque est minime », explique-t-il.
Cette situation reste cependant dangereuse puisqu’il n’y a aucune personnalité, aucune institution capable de porter efficacement la transition politique au Yémen.
« L’armée yéménite ne peut en aucun cas jouer ce rôle. Les forces militaires ne sont qu’une coalition de forces tribales, il ne s’agit en aucun cas d’une institution nationale », explique M. Fattah.

Riyad et la phase transitoire
Selon lui, la phase suivante sera fortement guidée par l’Arabie saoudite dont l’influence sur les chefs tribaux est énorme. Riyad a déjà convoqué le Conseil transitoire pour discuter avec ses membres ainsi qu’avec les influents chefs tribaux. Le royaume devrait ensuite soutenir les dirigeants locaux financièrement pour s’assurer de leur soutien, tout en faisant un geste fort en direction de la population civile qui manque cruellement de tout. « Un changement significatif aura une forte valeur symbolique parmi la population », explique-t-il.
En tout état de cause, une guerre civile est exclue à court terme, affirme Khaled Fattah. Selon lui, « entre l’équilibre précaire des forces sur le terrain où aucune partie ne peut s’imposer aux autres, et l’influence saoudienne qui pèsera de tout son poids pour interdire toute dégradation de la situation, le Yémen ne risque pas dans l’immédiat un bouleversement dramatique, bien que les risques soient énormes ».
D’abord la menace sécessionniste du Sud reste toujours d’actualité. Il y a aujourd’hui pratiquement deux Yémen, deux sociétés avec deux peuples aux cultures différentes. « Les populations du Sud considèrent qu’elles sont sous l’occupation des tribus du Nord. Elles exigeront probablement une autonomie à l’avenir », affirme ainsi M. Fattah.
Le Sud est également le théâtre de violences récurrentes entre les autorités et les militants d’el-Qaëda. « Ces militants viennent de différents pays, arabes ou non, et rares sont les Yéménites parmi eux. Il est difficile d’établir leur nombre, mais certains rapports sécuritaires estiment qu’ils sont quelques centaines, pas plus », ajoute-t-il. Toutefois, le président yéménite a réussi à stigmatiser cette région, considérée désormais comme un bastion d’el-Qaëda.
Par ailleurs, la rébellion chiite houthiste à Saada, au Nord, a fortifié récemment ses positions envahissant plusieurs régions frontalières et menaçant fortement la stabilité, non seulement du Yémen, mais aussi de la péninsule Arabique, puisque ce conflit envenime les divisions confessionnelles entre sunnites d’une part et les chiites appuyés par l’Iran d’autre part.
Là aussi, le rôle de l’Arabie saoudite est essentiel. « La volonté de Riyad de s’immiscer dans les affaires intérieures du Yémen est sans équivoque. Reste à savoir quelle sera la politique du royaume wahhabite avec les changements politiques dans la région, les révoltes arabes et la montée en puissance de l’Iran. Il est évident qu’aujourd’hui, Riyad veut calmer le jeu. Mais, à long terme, les jeux ne sont pas encore faits », conclut Khaled Fattah.
Propos recueillis par Antoine AJOURY Une page vient de se tourner au Yémen. Après des mois d’atermoiements, le président Ali Abdallah Saleh a signé mercredi dernier à Riyad un accord organisant le transfert du pouvoir à son vice-président et visant à mettre fin aux manifestations et aux violences qui ont secoué l’un des pays les plus pauvre au monde.En vertu de ce plan...