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Nos Lecteurs ont la Parole

Les liaisons dangereuses

Ralph E. NEHMÉ
Nous revoilà donc hantés par une conjoncture régionale pour le moins exécrable. On tente de nous faire avaler la pilule, mais les relations privilégiées qu’entretient l’équipe au pouvoir avec Damas n’arrangent pas les choses. Bien au contraire. Car si elles œuvrent insidieusement au maintien du régime baassiste, indéboulonnable jusque-là, elles n’en freinent pas moins la réviviscence d’un État libanais qui peine à imposer son autorité et qui racle les fonds de tiroir pour honorer ses échéances. Sur la sellette depuis près de huit mois, la dynastie des Assad chancelle, même si, dans le même temps, ses ramifications locales tentent de noyer le poisson. Car en effet, sous prétexte de vouloir éviter au pays les retombées des troubles régionaux, le gouvernement Mikati cautionne aveuglément l’autisme du régime et son acharnement sur les manifestants. Positionnement qui va à l’encontre de la quasi-unanimité arabe sur le dossier syrien et lie le sort de près de quatre millions d’âmes libanaises à celui d’un régime moribond. Une véritable hérésie.
Au cœur des débats, le sort des chrétiens du Liban préoccupe. Tout le monde s’accorde à dire que leur avenir reste inconnu au milieu des derniers soulèvements dans le monde arabe. De l’Égypte à l’Irak en passant par la Syrie, le constat est le même. Le douloureux exode des chrétiens d’Irak, victimes d’épuration religieuse, laisse dubitatif quant à la politique américaine dans la région. Mais tout pousse à croire qu’en encourageant des régimes à se démocratiser, cela favorisera la pluralité sur le long terme. Car sur le terrain, les dictatures n’ont jamais su étouffer l’extrémisme religieux. En l’écartant du pouvoir, elles n’ont fait qu’accentuer les revendications et retarder l’éclosion de groupuscules extrémistes. A contrario, l’exemple de la Turquie voisine, République démocratique et laïque, est encourageant car il prouve que démocratie, islam et laïcité peuvent être conciliés. Son appui dans la reconstruction postbaassiste en Syrie laisse présager une meilleure gouvernance et une répartition plus juste du pouvoir, y compris pour la communauté chrétienne. L’influence du modèle turc peut d’ores et déjà être mesurée dans le programme du Conseil national syrien (CNS) qui reflète la volonté d’établir un « État civil, démocratique et pluraliste ».
En outre, la thèse selon laquelle le soulèvement en Syrie serait le fruit d’un complot israélo-américain tombe à l’eau dès lors que les récentes déclarations de hauts responsables israéliens confirment l’inquiétude de l’État hébreu des « conséquences dévastatrices qu’engendrerait la chute du régime baassiste ». Le fait est qu’une concomitance syro-israélienne minutieusement calculée – même à moitié assumée – est indéniable. Elle a été un gage de stabilité aux frontières des années durant.
Par ailleurs, force est de constater que la présence des chrétiens enracinés dans cette région capricieuse du monde est remise en question lorsque leur rôle est menacé. Historiquement, les chrétiens ont su dynamiser les relations avec la communauté internationale et briser les projets d’affiliation aux puissances régionales. Au fil du temps, ils ont tenté de préserver une quasi-neutralité et bataillé pour une répartition équitable du pouvoir depuis l’accord de Taëf. Aujourd’hui encore, il est impensable que le pays soit réduit à un rôle de « résistance » face à un ennemi désormais reconduit derrière la ligne bleue depuis l’année 2000. Et à ce sujet, on s’interroge s’il est encore possible de parler de résistance lorsque notre pays est réduit au simple rôle de fusible dans les relations électriques qu’alimente l’axe syro-iranien avec l’Occident. Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus de mesurer le pouvoir de nuisance de l’État hébreu ou même de condamner ses agissements immoraux, mais de l’affronter sans laisser s’installer de manière rampante un État imbriqué dans l’État. L’adhésion encore fraîche de la Palestine à l’Unesco prouve que davantage peut encore être accompli à travers les tuyaux diplomatiques. Pour beaucoup, la résistance culturelle est une stratégie gagnante et moins coercitive.
Construit sur une affiliation religieuse, le Hezbollah n’est d’évidence pas un parti politique laïque qui encourage la diversité d’opinions. Il est entré dans l’arène politique dans un esprit de conquête et de revanche. Il est aujourd’hui l’enfant gâté de la République auquel on ne refuse plus rien. Un enfant qui passe à travers les mailles de l’autorité parentale et joue dans la cour des grands. Pour autant, il use de ses alliés chrétiens pour légitimer son bras militaire et rassembler derrière lui le plus de gens possible. L’État est à ses yeux au service de son projet, de sa logistique et de son idéologie. C’est précisément ce qu’il y a de plus condamnable dans son projet.
En rebattant les cartes, en déterrant une dictature solidement enracinée depuis près de quatre décennies, certains s’alarment de voir arriver au pouvoir l’intégrisme islamiste. Un nouvel ordre régional qui menacerait donc la présence des minorités. En dépit du caractère partiellement recevable de cet argument, il manque cruellement de substance. Car faut-il pour autant préférer le statu quo au changement ? Privilégier le suivisme à la modernité ? Faire taire toute velléité de souveraineté (partiellement acquise depuis 2005) et de neutralité de peur de réveiller l’extrémisme religieux latent ? La place des chrétiens d’Orient est celle qu’ils érigeront aux côtés des autres communautés, et non celle qu’on leur offrira gracieusement en échange de leur affiliation. Il s’agit maintenant de ne pas s’accrocher à la mauvaise branche.

Ralph E. NEHMÉ
Nous revoilà donc hantés par une conjoncture régionale pour le moins exécrable. On tente de nous faire avaler la pilule, mais les relations privilégiées qu’entretient l’équipe au pouvoir avec Damas n’arrangent pas les choses. Bien au contraire. Car si elles œuvrent insidieusement au maintien du régime baassiste, indéboulonnable jusque-là, elles n’en freinent pas...

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