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Nos Lecteurs ont la Parole

La corniche d’el-Mina, un désastre écologique

Philippe KANDALAFT
Cela fait des heures que je me dis « à quoi ça sert d’écrire » dans un pays où le sens de la chose publique ne figure pas au programme du gouvernement si ce n’est que pour donner l’image, fausse d’ailleurs, d’un pays développé.
Alors que les citoyens libanais à l’étranger appellent aux urnes, et je m’en réjouis, j’en appelle à la plus petite des préoccupations supposées de nos politiciens, députés et ministres, représentants du Nord et plus particulièrement de Tripoli, qui est la chose publique, l’intérêt public.
J’invite toute la classe politique, puisqu’il s’agit d’une question cruciale, l’environnement, à faire une marche matinale le long de ce qu’on appelle la corniche d’el-Mina. On a voulu faire grand, on a voulu faire spectaculaire et doter ce petit port de pêche d’une grande promenade.
Tout au début de cette promenade, vous le constaterez par vous-mêmes, se tient, au mètre zéro, écrit en toutes lettres, un poste du ministère de l’Environnement, une sorte de préfabriqué installé en contrebas de la route et adossé à une rampe de béton pour rappeler encore avec plus d’équivoque ce que c’est que l’environnement et combien le pouvoir central ou local s’y investit. Placez-vous devant ce préfabriqué pour bien vous inspirer et regardez simplement le long de la rampe. Vous y verrez une longue, très longue traînée de déchets de toutes sortes : papiers, cartons, verres en plastique, sacs, bouteilles vides, cannettes, épluchures, débris, détritus et j’en passe. Mais dites-vous bien que tout cela se passe derrière la rampe et que si vous ne vous placez pas du bon côté de celle-ci, vous ne remarquerez rien. C’est sans doute ce qu’ont dû penser nos politiques.
Oublions donc ce vice, ce travers qui est le mien de vouloir regarder du mauvais côté de la rampe. « Pourquoi ne pas regarder la mer au loin et les petits bateaux de pêche tout près ici ou là ? » me dit-on. Commençons notre marche le long de cette corniche, objet de fierté. Je n’ai pas de mots pour décrire ce que vous y trouverez : désordre, saletés, ordures, vidanges, carcasses, restes de tuyaux, détritus de toutes sortes, odeurs nauséabondes, tracé mal fini, béton infect et anarchique, bâtiments délaissés, sol en friche, conduites d’évacuation à même du tracé ou presque, herbes hirsutes, boue...Enfin, l’impression d’une vaste et longue poubelle ouverte sur la mer, une mer qui subit avec une indifférence effrayante.
On ne construit pas des États avec de l’indifférence. L’impression d’un gâchis total. Pas un seul mètre de terre qui soit épargné. Vous en trouverez partout, entre les rochers, sous les rochers, derrière, devant, sur le sable, dans le sable...De quoi susciter la jalousie de l’autoroute Tripoli-Beyrouth qui passe pour être un exemple en la matière. Et ce n’est pas le résultat d’un cargo échoué et dont le fuel se déverse en mer et se répand sur la côte. C’est le résultat d’un travail de sape au quotidien, d’une assiduité remarquable à salir et à polluer sans que cela préoccupe les autorités le moindre du monde.
Un gâchis qui ne semble pas émouvoir, puisque tout le monde s’y habitue. « C’est comme cela, me dit-on, au Liban, tu acceptes ou tu te casses. »
Qu’a-t-on fait du petit port de pêche qui donnait à cette petite ville du Nord tout son charme et son caractère pittoresque ? Nous avons vite oublié que tout projet qui ne se dote pas d’abord de moyens d’entretien est voué à tomber en décrépitude. Plus généralement, je ne comprends pas que municipalités et ministres inaugurent en grande pompe alors que tout autour du projet, déclaré achevé par leurs services techniques, le chantier reste en l’état pour la vie. Où ont-ils bien pu cueillir ce sens particulier de l’esthétique, du travail fini, de l’entretien, de l’ordre et de l’autorité publique ? Du beau et du propre tout simplement ? Dois-je en déduire qu’ils obéissent à une posture électoraliste ?
C’est d’une armada de moyens et d’effectifs que nous avons besoin pour nettoyer aujourd’hui ce qu’on appelle « La Promenade ». Pour avoir connu d’autres corniches, ne serait-ce que dans les pays du Golfe, je peux vous dire, messieurs, que vous devriez avoir honte. Et pourtant ces lieux privilégiés de promenade sont fréquentés là-bas par une masse de personnes qui, vous me direz, viennent de pays en voie de développement ! Vous l’aurez compris : c’est une question de volonté politique et de discipline publique. Pourquoi est-elle respectée ailleurs et pas chez nous ?
Messieurs les ministres et députés, promettez-moi de faire votre promenade matinale le long de cette corniche d’el-Mina. Promettez-moi de venir vous y prélasser. Vous y trouverez de l’inspiration pour la santé publique, l’environnement, l’éducation, l’autorité publique, le tourisme.Vous pourrez alors vous targuer fièrement de l’image que cette corniche reflète du Liban et de vous-mêmes, messieurs, ainsi que des citoyens.
J’ai honte tout simplement.

Philippe KANDALAFT
Tripoli – Liban
Cela fait des heures que je me dis « à quoi ça sert d’écrire » dans un pays où le sens de la chose publique ne figure pas au programme du gouvernement si ce n’est que pour donner l’image, fausse d’ailleurs, d’un pays développé. Alors que les citoyens libanais à l’étranger appellent aux urnes, et je m’en réjouis, j’en appelle à la plus petite des préoccupations...

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