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À La Une - Histoire

Sport, culture et botanique : le tiercé gagnant de l’hippodrome

Rasé par les bombardements pendant les quinze dernières années de la guerre, l’hippodrome a rapidement remis le pied à l’étrier. Pierre après pierre, le complexe dédié aux sports équestres s’est redressé. Au centre de l’actuel projet de réaménagement : verdure, détente et divertissement.

La tribune de style ottoman.

Dans la salle des paris, les clichés en noir et blanc parcourent les murs comme les mailles d’une tapisserie d’histoire. Au milieu des hurlements de la télévision qui retransmet les courses françaises, Nabil Nasrallah déambule d’un pas léger entre les instantanés. Du bout des doigts, le directeur général de la Sparca (Société pour la protection et l’amélioration de la race chevaline arabe au Liban, gestionnaire de l’hippodrome) effleure une photo des années 1970. Des tribunes ornées de moulures orientales, fières et ouvragées. Un public de turfistes en liesse, les yeux rivés sur le nuage de terre ocre charrié par les étalons. « C’était avant 1982 », assène l’homme de 70 ans. L’index pressé contre le cadre photo, Nabil Nasrallah rejoue le film en accéléré. La carapace blindée du char Merkava israélien face aux tribunes encore intactes. La salve de tirs. Les colonnes qui s’abattent comme des dominos, le volcan de poussière, les décombres. «Après la guerre, on a utilisé les dernières économies de la société des courses pour déblayer les gravats, raconte le directeur général, on avait même installé provisoirement des containers en guise de tribunes.» Aujourd’hui, il ne reste pas un seul caillou des anciennes colonnades mauresques. Sur toute la longueur du champ de courses, un édifice de béton grignoté par le feuillage et surmonté d’une toiture de tôle accueille désormais les turfistes du dimanche. «On n’avait pas les moyens de tout reconstruire à l’identique», regrette-t-il. Pas d’argent à l’époque – pas davantage aujourd’hui. Ni d’artisan capable de ressusciter les colonnes en arabesque, dont il n’existe aucun moule. Un savoir-faire disparu et des tribunes orientales prisonnières de la mémoire de papier glacé.

Deux hectares de chlorophylle pour respirer
Du haut de la baie vitrée qui domine le champ de course, Nabil Nasrallah balaye du regard l’étendue de terre battue et de verdure. «Avant les événements, ici, tout était recouvert par les pins, se souvient-il. Les éclats d’obus n’ont fait qu’une bouchée de la pinède, qui a été entièrement détruite. Et la surface de l’hippodrome était trois fois plus vaste qu’aujourd’hui. La piste de course faisait tout le tour de l’actuelle Résidence des Pins qui, à l’époque, abritait un casino.»
Aujourd’hui, la nature reprend peu à peu ses droits – mais sans les pins parasol, trop longs à faire pousser et trop onéreux pour la société de courses. Désormais, des bosquets fournis jouxtent toute la longueur de la piste d’entraînement. Au centre, des palmiers, des feuillus en fleurs et des conifères de plusieurs mètres forment un poumon vert au milieu du bourgeonnement d’immeubles. «Nous voulons retapisser Beyrouth en vert, explique Nabil Nasrallah, pour que les gens puissent venir respirer ici et trouver un coin de verdure.» La semaine dernière, il est parti chercher un nouvel arbre pour colorer son grand jardin. «Un brachychiton», articule-t-il en déchiffrant un bout de papier. Un feuillu aux pétales écarlates, dont la cime pourra culminer à plus de douze mètres. «Notre ambition, c’est de créer un parc avec beaucoup de diversité», souligne-t-il. Sur les 200 hectares du domaine de l’hippodrome, seuls 8% sont occupés par le bâti. Un écrin de chlorophylle bienvenu au milieu de la champignonnière d’édifices bétonnés.

350 pur-sang pour deux minutes de galop
«C’est un morceau de campagne en pleine ville, s’exclame Joseph Sehnaoui, propriétaire d’une des écuries situées à quelques dizaines de mètres du champ de courses, l’endroit est très central, ce qui est un avantage pour les joueurs. À Paris, pour rejoindre Longchamp, il faut trois quarts d’heure», ironise-t-il. Tous les dimanches, plus de 1500 personnes se pressent pour assister aux courses... et parier. Des joueurs de toutes les classes sociales et, en grande majorité, des hommes. «Ils arrivent vers 13h30, une demi-heure avant la première course, et tournent autour du paddock pour voir les chevaux», explique Nabil Nasrallah. À 14 heures, la première d’une série de sept courses démarre. Chacune dure deux minutes. Un œil sur la piste, l’autre sur les écrans suspendus dans les tribunes, chaque parieur observe l’évolution de la cote de sa monture favorite. «La mise minimum est fixée à 2 dollars, précise le directeur général, mais en moyenne, les joueurs en misent une dizaine.»
En contrebas du champ de courses, Saab, Hakem, Sakr el-Hoch et Mamelouk donnent des coups de queue pour chasser les mouches. La robe brillante comme du chocolat, ils font remuer leurs naseaux au rythme de la brosse du palefrenier contre leur flanc. Tous les matins, dès le lever du soleil, les entraîneurs les conduisent jusqu’à la piste d’entraînement pour faire un peu d’exercice. «Certains pour les garder en bonne forme, d’autres pour les derniers préparatifs avant la course», souligne Nagib Berbéri, le vétérinaire. Dès que les rayons du soleil commencent à darder, il est l’heure de regagner les écuries, et chaque cheval son box coloré. Jaune, noir ou bleu – sur les murs comme sur les casaques des jockeys, chaque propriétaire a sa couleur. Ici, une quinzaine d’écuries se partagent les lieux qui abritent 350 montures. Tous des pur-sang arabo-libanais. «On les reconnaît à leurs grands yeux, leur profil retroussé, leur belle crinière et leur allure élancée», précise Nagib Berbéri. Distant d’à peine une centaine de mètres de la piste de course de l’hippodrome, l’endroit est miraculeusement passé entre les balles lors des bombardements. Sur le site de l’hippodrome, il est le seul à en avoir réchappé.
Dans la salle des paris, les clichés en noir et blanc parcourent les murs comme les mailles d’une tapisserie d’histoire. Au milieu des hurlements de la télévision qui retransmet les courses françaises, Nabil Nasrallah déambule d’un pas léger entre les instantanés. Du bout des doigts, le directeur général de la Sparca (Société pour la protection et l’amélioration de la race...
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