« Les autorités libanaises savent où je vis, si elles avaient voulu m’arrêter, elles l’auraient fait depuis longtemps », a affirmé au Time le cadre du Hezbollah, qui a requis l’anonymat et qui a demandé à garder secret le lieu de la rencontre. Il a montré au journaliste du magazine sa carte d’identité, correspondant au nom d’un des quatre suspects nommés par le TSL.
« Elles ne peuvent tout simplement pas m’arrêter », a-t-il ajouté.
L’homme a nié par ailleurs toute implication dans l’assassinat : « Je ne reconnais aucune des charges retenues contre moi, je suis innocent », a-t-il souligné, affirmant qu’au moment de l’explosion qui a coûté la vie à Rafic Hariri, il se trouvait loin du lieu de l’attentat. Rappelons que le procureur du TSL, Daniel Bellemare, a inculpé Salim Ayache, 47 ans, Mustafa Badreddine, 50 ans, Hussein Anaissi, 37 ans, et Assad Sabra, 34 ans, dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri.
À la suite de la publication de cette interview, le Premier ministre Nagib Mikati est entré en contact avec le ministre de la Justice, Chakib Cortbawi, à qui il a demandé de « suivre cette affaire de près ». M. Cortbawi, de son côté, est entré en contact avec le procureur général de la République, Saïd Mirza, qui a « nié catégoriquement le fait que le parquet ou la police judiciaire soient au courant du lieu de résidence d’aucun des quatre accusés et n’aient pas procédé à des arrestations », selon un communiqué du ministre de la Justice.
Le procureur « a informé le ministre qu’il allait poursuivre les mesures légales en vue de connaître la véritable identité de la personne à qui ces propos ont été attribués », poursuit le communiqué.
En soirée, le juge Mirza a indiqué à la chaîne de télévision Future News que le reporter du magazine Time à Beyrouth sera interrogé aujourd’hui pour enquêter avec lui au sujet de l’entrevue en question. Le magazine US indique que l’interview a été menée par l’un de ses journalistes, sans l’identifier. Le lieu de l’entretien n’est pas non plus signalé.
Le journaliste du Time, Nicholas Blanford, qui a signé l’article publié par le magazine, a précisé que ce n’est pas lui qui a effectué l’entrevue, mais l’un de ses collègues. Lors d’une interview par téléphone accordée à la chaîne LBC, Blanford a ajouté que « la direction de la rédaction du Time l’a appelé pour l’informer que cette interview sera ajoutée à l’enquête qu’il a publiée sur le TSL ». Le journaliste a en outre souligné que l’entrevue a bel et bien eu lieu, sinon le Time n’aurait pas accepté de la publier. M. Blanford a par ailleurs assuré qu’il n’a reçu aucun appel ou aucune menace de la part du Hezbollah. « J’ai été seulement contacté par les autorités libanaises et je rencontrerai un responsable libanais dans les heures qui viennent », a-t-il précisé.
De son côté, le directeur de la rédaction du Time a affirmé lui aussi, dans une déclaration à la Future News, que l’interview a eu lieu, même si le Hezbollah le dément.
L’attaque de Hariri
Dans un communiqué de presse publié samedi, le parti chiite avait démenti l’existence d’une telle interview. Le correspondant du Time « prétend qu’il s’est réuni avec un responsable du Hezbollah, puis qu’il s’est retrouvé face à face avec l’un des quatre accusés dans l’affaire Hariri et l’a interviewé », affirme le communiqué du Hezbollah. « Aucun responsable du parti ne s’est réuni avec le correspondant du Time, ni seul ni en présence d’une tierce personne. L’information est de ce fait dénuée de tout fondement et l’interview présumée n’existe pas », poursuit le texte. « C’est une histoire parmi tant d’autres inventées par le tribunal international », a accusé le Hezbollah.
Notons que peu avant le démenti du Hezbollah, l’ancien Premier ministre Saad Hariri avait vivement critiqué le gouvernement et le parti chiite, à la lumière de l’interview du Time, accusant le pouvoir d’avoir « deux visages et de tenir deux langages ».
M. Hariri avait publié sur ce plan le communiqué suivant : « Le président Michel Sleiman a-t-il eu vent de l’interview faite par la revue Time à l’un des accusés réclamés par la justice internationale dans l’affaire de l’assassinat du président martyr Rafic Hariri ? »
Et le leader du courant du Futur d’ajouter : « Le chef du gouvernement Nagib Mikati, et avec lui le reste de l’équipe ministérielle responsable, en principe, des engagements du Liban à l’égard du tribunal international souhaitent-ils prendre connaissance de cette interview et des propos tenus par l’un des accusés qui a fait état de l’incapacité du pouvoir libanais à l’appréhender, affirmant que le pouvoir s’abstient de l’arrêter en dépit du fait qu’il connaît son lieu de résidence ? »
« Il semble qu’aucun de tous ceux-là ne veuille entendre, lire ou voir, ou même dire quelque chose, a poursuivi M. Hariri. Ce qui prévaut, c’est l’attitude qui consiste à faire la sourde oreille et à pratiquer la politique de l’autruche à l’égard de tout ce qui se rapporte au Hezbollah et au diktat qu’il impose à la décision gouvernementale, en faisant fi du prestige du pouvoir. Nul parmi les pôles du pouvoir n’est en mesure de contredire l’avis, les directives et la volonté du guide suprême de la République libanaise. »
« Ce qui a été rapporté de la bouche de l’un des accusés par la revue Time est plus que grave et dépasse même le cadre d’une notification adressée au parquet, a également déclaré M. Hariri. Il s’agit d’une reconnaissance claire et sans équivoque, de la part du Hezbollah, du fait que l’État, au niveau de la présidence, de ses institutions, de son gouvernement et de son appareil sécuritaire et juridique, ne représente que des instruments dont la principale fonction est de protéger le Hezbollah, d’exécuter ses quatre volontés et d’occulter les infractions et les abus perpétrés par le parti à l’encontre du Liban et des Libanais. »
« Le Hezbollah désire que l’État soit une couverture à sa présence politique, sécuritaire et militaire, a souligné le leader du courant du Futur. Et d’aucuns au sein de l’État et du gouvernement lui assurent cette couverture et le soutiennent dans sa politique qui consiste à contourner la vérité et court-circuiter la justice. »
« Ce gouvernement a deux faces et deux langages, a déclaré M. Hariri. L’une des ces faces parle officiellement au nom du gouvernement pour tenir un langage mielleux à l’adresse des Libanais et de la communauté internationale de manière à justifier le non-respect par le Liban de ses engagements à l’égard du tribunal international. La seconde face dirige le gouvernement et prend les décisions visant à entraver l’action du tribunal, à protéger les accusés et à faire en sorte qu’ils ne comparaissent pas devant le tribunal. »
Et d’ajouter : « Nous rejetons totalement le partage de rôles entre le gouvernement et le Hezbollah. Nous continuerons à stigmatiser une telle politique, tout en réaffirmant notre détermination à réaliser la justice et à faire face à toute sorte de terrorisme politique et de diktat sécuritaire. »
« L’histoire ne pardonnera pas à ceux qui sont impliqués dans l’assassinat du président martyr Rafic Hariri et de ses compagnons. Mais elle jettera surtout un sort à ceux qui contribuent à vendre le sang des martyrs en contrepartie d’une place dorée au pouvoir », a conclu M. Hariri.
Réagissant à ce communiqué, le Hezbollah a déploré que M. Hariri se soit « empressé de faire sienne la version donnée par le Time, ce qui nous pousse à estimer que sa déclaration s’inscrit dans le cadre de la manipulation médiatique parrainée par le tribunal international ».
Sur le plan officiel, les milieux proches de M. Mikati ont indiqué en soirée que le Premier ministre attend le résultat des investigations qui seront effectuées par les autorités judiciaires au sujet de cette affaire afin de prendre les mesures qui s’imposent. Même son de cloche au niveau du vice-Premier ministre Samir Mokbel (proche du président Michel Sleiman) qui a souligné que les autorités judiciaires devaient mener une « enquête transparente » afin de tirer cette affaire au clair. De son côté, le ministre d’État et député de Tripoli, Ahmad Karamé (proche du Premier ministre), a suggéré que le tribunal international mène son enquête sur les circonstances de cette interview.
commentaires (21)
Mme Laurent, Il est sûr que c'est "le parti divin qui a arrangé (et monté) l'interview avec le Time", comme vous dîtes, pour ensuite la nier de manière spectaculaire. Le but du Hezbollah derrière une telle manoeuvre et comme c'était concernant les fuites à Der Spiegel et au Figaro auxquelles il a contribué, est de convaincre son public -et naivement prétendre convaincre le monde- que "le TSL n'est qu'une conspiration américano-israélienne contre la résistance". En même temps le Hezbollah pense imposer définitivement la notion que l'Etat libanais, c'est lui qui en a absolument les commandes et que personne donc, ni à l'extérieur, ni à l'intérieur, n'essaye d'obtenir quoi que ce soit en dehors de son consentement.
Halim Abouchakra
23 h 08, le 22 août 2011