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À La Une - Rencontre

Jacques Mokhbat, scientifique et rêveur

Le Dr Jacques Mokhbat s’évertue au quotidien, avec des mots apaisants, à soigner les malades du sida, et, avec des mots forts, à soigner les mentalités des ignorants intolérants qui n’ont rien compris à ce mal dont on préfère taire la cause. Portrait atypique d’un homme de tête et de cœur...

Jacques Mokhbat... à bicyclette.

Dans les rues d’Achrafieh, un homme passe. À vélo. Casque sur la tête, lunettes de soleil, espadrilles et cravate, il pédale, concentré. Dans un bel hommage à Jacques Tati, dont il aurait également l’humour subtil et l’art de ne jamais se prendre au sérieux en dehors de son travail, le Dr Jacques Mokhbat passe... Sous le regard médusé des passants et des voituriers, à qui il remet avec précaution son engin, avant de s’installer à la terrasse d’un café et de redevenir un homme en cravate. Un éminent infectiologue, ancien président de la Société libanaise pour les maladies infectieuses et la microbiologie clinique, et président de la Société libanaise de sida.
Il n’aime pas les interviews personnelles, donnant souvent l’impression de ne pas aimer, tout simplement, s’exprimer. D’être ailleurs... Et pourtant, il suffit que le sujet de son métier, qui tutoie la mort mais aussi de surprenantes guérisons, soit énoncé, pour que Jacques Mokhbat, manches retroussées et sourire aux lèvres, se mette à parler, avec des mots scientifiques mais essentiellement humains.
« J’ai toujours aimé la chimie et le travail de laboratoire, avoue-t-il. La réflexion qui accompagne les recherches. » Excluant d’emblée la pédiatrie, « je ne me sentais pas assez fort devant la souffrance quasi silencieuse d’un enfant malade », précise-t-il, il s’intéresse à la microbiologie. « Tout restait encore à faire. » À la fin de ses études à la faculté française de médecine, il s’embarque pour Paris, puis New Jersey et Minnesota, et se spécialise dans les maladies infectieuses. « C’était, précise-t-il encore, les seules maladies, outre les chirurgies, dont on pouvait, grâce aux antibiotiques, guérir ou du moins survivre. »

Combattre l’ignorance et le mal
C’était aussi avant les années sida. Et l’apparition de ce mal du siècle, cruel, fulgurant, qui a longtemps plongé les médecins dans une affreuse impuissance. En 1984, le premier cas est décelé au Liban. Mokhbat s’engage dans son combat contre une maladie encore sournoise et inconnue. Il fait son « investigation sur le terrain » puis, progressivement, tente de combler les lacunes et la faire accepter tant au corps médical qu’à la famille des malades et à la société. En 1988, il lance, avec d’autres médecins, le programme national de la lutte contre le sida. Après de nombreuses réunions au ministère de la Santé, les premières réglementations sortent enfin.
Ce ne seront que les prémices d’un combat qui se poursuit, et qui a pour noms dépistage, prévention, prise en charge, introduction de nouvelles thérapeutiques, compréhension et acceptation. « Les gens, au Moyen-Orient et au Liban, ont encore ce complexe biblique qui lie la maladie au péché. D’autant plus que le sida est une maladie mortelle, sexuellement transmissible, dans le cadre d’une sexualité hors norme. Cette discrimination, en raison de la peur liée à l’ignorance, doit cesser. »

Le théâtre, thérapie, plaisir et collecte de fonds
Silence... Un ange, qu’il a probablement soigné, passe. Et le théâtre ? Le Dr Mokhbat, qui a fait l’acteur, d’abord une courte phrase, puis deux, puis un texte, de répondre : « C’est une formidable thérapie. Comme une deuxième vie ! Sur scène, on s’oublie et l’on devient un autre. On peut exprimer des choses qu’il est difficile de formuler au quotidien. Mais je n’ai jamais eu de rôle principal », tient-il à préciser.
Au départ « responsable de la production » et soutien logistique auprès de Nadine Mokdessi qui a, à plusieurs reprises, généreusement offert ses acteurs et ses pièces au profit de la Société libanaise du sida, le médecin devient acteur malgré lui pour remplacer un acteur qui a fait défection. Atteint par le beau virus de la comédie dramatique, il interprète les années suivantes des rôles plus ou moins importants dans Le Nouveau Testament de Guitry, L’Évangile selon Pilate d’Emmanuel Schmitt, Le voyage de Georges Schéhadé, ou encore L’esprit s’amuse de Noël Coward, mis en scène par Alain Plisson.
Scientifique et rêveur, Mokhbat confie enfin, dans un sourire presque coquin : « J’aurais aimé dans une autre vie vivre sur des bateaux, faire des voyages, pour rêver. Être musicien, pianiste. » Et de conclure, comme pour justifier ce besoin de rêver : « J’ai beaucoup appris, sur un plan personnel, en côtoyant les malades du sida et leur expérience difficile avec la mort. Ils m’ont appris le courage, l’abnégation, la volonté de continuer et de vivre en profitant de la vie. Le sida est la maladie du manque d’amour. Nous arrivons à contrôler la biologie, mais pas le mal social. Celui du refus et de la stigmatisation. »
Dans les rues d’Achrafieh, un homme passe. À vélo. Casque sur la tête, lunettes de soleil, espadrilles et cravate, il pédale, concentré. Dans un bel hommage à Jacques Tati, dont il aurait également l’humour subtil et l’art de ne jamais se prendre au sérieux en dehors de son travail, le Dr Jacques Mokhbat passe... Sous le regard médusé des passants et des voituriers, à...

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