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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Trop, c’est trop

Il faut croire que ce n’était pas là un gag, du moment que le président Assad, confronté qu’il est à une contestation populaire croissante, ne devrait normalement pas être d’humeur à plaisanter. En autorisant jeudi, par décret, le multipartisme, le raïs a pris soin en effet d’assujettir les futures formations politiques à une série de conditions préalables. La plus amèrement savoureuse de celles-ci, car assortie sur le terrain d’un regain de brutalité dans la répression, étant le nécessaire attachement de ces partis... aux droits de l’homme : ceux-là mêmes que le régime baassiste s’évertue depuis des mois à fouler aux pieds en tirant à vue sur les manifestants, en canonnant, assiégeant et affamant des villes entières.

Tout à ses factices élans réformateurs, Bachar el-Assad devrait tout de même constater que la communauté internationale, à son tour, n’est plus trop d’humeur à plaisanter, comme elle l’a amplement prouvé durant la semaine écoulée. Bien que non contraignante, la déclaration présidentielle votée par le Conseil de sécurité de l’ONU, laquelle condamne formellement, pour la première fois, la brutalité de la répression baassiste, a obtenu l’adhésion d’alliés de la Syrie qui, tout au long de la crise, s’étaient montrés indéfectibles, aussi indulgents et même complaisants que la Russie et la Chine. Mieux encore, c’est quasiment un avertissement de la dernière chance qu’a adressé au dictateur de Damas le président russe Medvedev, quand il lui a prédit une triste fin s’il ne se résignait pas à entreprendre sans délai des réformes crédibles.

Comme par hasard, cette sombre perspective se trouvait illustrée par l’image forte de la semaine montrant l’homme qui fut le tout-puissant, l’indéboulonnable maître de l’Égypte, comparaissant, couché sur une civière, devant ses juges. Meurtre de manifestants désarmés, sans parler de corruption à grande échelle : tout aussi prémonitoires paraissent les chefs d’accusation retenus contre Hosni Moubarak, à l’heure où la répression, qui a déjà fait plus de deux mille morts, tourne carrément au crime contre l’humanité, charge plus grave et plus infamante encore que toutes les accusations toujours susceptibles d’être lancées un jour contre la Syrie en relation avec les assassinats politiques perpétrés ces dernières années au Liban.

Mais quel Liban, puisqu’on y vient ? Toute la question est là, si contradictoires sont en effet les attentes ou appréhensions qu’elle suscite dans notre pays. Car plus encore que la stratégie de défense et l’armement du Hezbollah, davantage même que le Tribunal spécial de La Haye, c’est au fond la nature même du pouvoir syrien et ses fatales incidences sur la vie publique libanaise qui font problème ici. Qui met en lice deux philosophies ou visions contradictoires, deux projets de société absolument inconciliables, même si la diplomatie libanaise à l’ONU, rompant la rare unanimité du Conseil de sécurité, a choisi quant à elle de se réfugier dans un pitoyable no comment.

Même à l’ombre du trompeur slogan de relations privilégiées, on ne pourra jamais faire un couple valable – et durable – d’une dictature et d’une démocratie. L’effet désastreux qu’a eu sur notre système politique la longue tutelle syrienne est trop connu pour être rappelé ici. Malgré les erreurs de gestion du 14 Mars, la révolution du Cèdre a fait naître l’espoir d’un Liban d’abord, libéral, pluriculturel et maître de son destin, d’un Liban dont les intérêts propres prévaudraient désormais sur ceux des manipulateurs étrangers. À ce Liban-là, c’est l’idée d’un pays-brûlot, soumis à un axe régional radical qu’opposent les amis locaux des deux régimes syrien et iranien : un pays où les armes de la résistance à Israël ne sont plus qu’un outil pour la conquête du pouvoir, où la milice se lance même dans la colonisation sauvage des terres d’autrui.

Absoudre la répression, comme le font publiquement d’aucuns qui ne reculent devant aucune outrance, ce n’est pas seulement défendre l’indéfendable ; c’est se choisir un fort peu engageant modèle. C’est, en dernière analyse, se reconnaître dans le miroir.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb
Il faut croire que ce n’était pas là un gag, du moment que le président Assad, confronté qu’il est à une contestation populaire croissante, ne devrait normalement pas être d’humeur à plaisanter. En autorisant jeudi, par décret, le multipartisme, le raïs a pris soin en effet d’assujettir les futures formations politiques à une série de conditions préalables. La plus amèrement...
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