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Culture - Festival de Beiteddine

La suprématie du langage des gestes et des corps

Une scène nue et treize danseurs encagés dans d’immenses cubes métalliques. « Babel » de Sidi Larbi Cherkaoui (chorégraphe et danseur anversois d’origine marocaine de par son père), spectacle de danse contemporaine dans la brume du soir du Chouf, a dessiné ses frontières et érigé sa tour.

Comme une vaste cour des Miracles revisitée par la modernité.

Tour de Babel où ont fondu les langues dans la cacophonie de l’incompréhension comme neige au soleil...
Si le verbe était le commencement, dans cette tour pointant le nez au ciel, pour défier Dieu, et habitée de toutes les races et d’un peuple aux origines soudainement inconnues, la multiplicité des langues est devenue source de confusion, d’agitation, de bousculade, de vacarme vain et d’incompréhension. Et voilà que le geste supplée à la parole. La parole, pourtant outil de communication, est ici objet de malentendus...
Sur un fond de scène en noir, avec un groupe de musiciens opérant « live » derrière un voile transparent, la musique donne des ailes aux corps. Des corps aériens, soudain d’une incroyable éloquence, mêlant souplesse, précision et malléabilité pour une expression où la gestuelle, adroitement orchestrée, mène la trame de la narration...
Une narration cousue de fil blanc pour reconstruire et réinventer le monde et son chaos. Un monde apocalyptique aux images baroques, stridentes, surréalistes. Des images entre humour, poésie et caustique témoignage. Des images venues tout à la fois du fond des âges les plus reculés, attestant de la vivacité du présent et appartenant aussi au futur le plus pointu...
Rencontre des civilisations, mixage des langues et enchevêtrement des corps et des gestes pour évoquer un monde fou, fou, fou... Avec le fou rire des situations incongrues et drôles, la poésie des réactions brusques ou tendres insoupçonnées, l’approche des êtres selon leur caste ou leur appartenance sociogéographique sur cette vaste planète qui brasse, de tous crins, couleurs, sonorités, us et coutumes. Comme une vaste cour des miracles de Michel de Ghelderode, mais revisitée par la modernité.
De l’arabe guttural à l’espagnol séraphique, au français grasseyant, en passant par la dureté du germanique, le carré des langues nordiques ou les onomatopées saisissantes des zones nipponnes ou chinoises, la cacophonie est amusante et elle est cultivée avec un art souverain. Surtout aux rythmes et cadences d’une musique surgie d’ailleurs, à saveurs exotiques et lointaines, à prédominance percussive ou à résonance de complainte mélancolique d’une ballade celte (on pense souvent à Alan Stivel et sa harpe ! ) ou flamande du Moyen Âge comme ces chants plaintifs des ménestrels du temps jadis. Avec des « vocero » a cappella échappés aux lamentos siciliens.
Il est des moments savoureux dans ce spectacle nerveux, ébouriffant et dynamique, mais qui pèche à la fin par une certaine longueur répétitive. On retient avec infiniment de plaisir le comique hilarant de cet aéroport babylonien (justement ! ), les embardées rugissantes de sexe d’australopithèque ou de néanderthalien d’un jeune fougueux entre Tarzan et Lorenzaccio, l’envolée de cet aigle royal composé de l’ensemble compact des danseurs, de la leçon des neurones (en anglais, s’il vous plaît, mais pas toujours compréhensible), d’un radeau de la Méduse proche de la vision d’un Jérôme Bosch ou même de l’ombre du théâtre de Ghelderode...
Sans oublier la subtile présence de ces cadres métalliques, mobiles et transformables, habilement manipulés, pour les besoins sémillants d’une scène démentielle où d’une marche grave des migrants avec leur baluchon, on passe au délire d’une bande de bohémiens battant la nouba, avec lessive flottant au vent...
Même avec un bon quart d’heure de retard sur l’horaire annoncé, les va-et-vient importuns des spectateurs sans souci ni gêne causés à la concentration des artistes sur scène, Babel, tout bavard qu’il est à certains moments ou peu cohérent, reste un bon et brillant morceau de danse contemporaine. Un spectacle décapant, qui atteint souvent la limite de la virtuosité, ganté d’une intelligente dénonciation et mû par un vibrant témoignage sur le rythme speedé et dingue d’une société aux repères éclatés, sans nul doute à reformuler et à repenser...
Tour de Babel où ont fondu les langues dans la cacophonie de l’incompréhension comme neige au soleil...Si le verbe était le commencement, dans cette tour pointant le nez au ciel, pour défier Dieu, et habitée de toutes les races et d’un peuple aux origines soudainement inconnues, la multiplicité des langues est devenue source de confusion, d’agitation, de bousculade, de...

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