« Autoportrait » de l’artiste Lucian Freud à New York. Shannon Stapleton
Obsédé par le rendu de la chair, le Britannique Lucian Freud avait redonné ses lettres de noblesse à l'art figuratif. Petit-fils du célèbre psychanalyste Sigmund Freud, il est décédé à l'âge de 88 ans. « L'artiste Lucian Freud, né le 8 décembre 1922 à Berlin, est mort paisiblement mercredi dernier à son domicile à Londres », a indiqué son avocate Diana Rawstron dans un communiqué. Bien que très riche, Lucian Freud vivait simplement, dans une maison avec jardin située dans le quartier de Notting Hill, où il avait installé ses ateliers à l'étage.
Avec son regard bleu perçant, son profil d'oiseau de proie, le peintre disait traiter le corps humain en « biologiste ». « Mon travail est purement autobiographique », disait-il. « Il parle de moi et de mon environnement. C'est comme une façon de tenir un registre ». Il peignait des nus à la chair crue, imparfaite, où les organes génitaux occupaient souvent une place centrale sans qu'ils soient pour autant dotés d'une puissance érotique. L'artiste aimait provoquer et ne laissait pas indifférent.
« Ce Freud-ci a l'Eros morose, et même un rien morbide. Ses nus connaissent la déliquescence des chairs, l'invasion de la graisse et les vergetures », écrivait le critique d'art Philippe Dagen, dans un article intitulé « Le pompier de la couperose », paru fin 1987 dans Le Monde à l'occasion d'une rétrospective du peintre au Centre Pompidou. Depuis, Lucian Freud était devenu l'artiste vivant le plus cher au monde. Son tableau « Benefits supervisor sleeping » (1995) représentant une femme obèse avec des escarres, assoupie entièrement nue sur un canapé, avait été vendu pour près de 34 millions de dollars en 2008 au milliardaire russe Roman Abramovitch. « Freud peint très lentement, plusieurs tableaux de front. Il lui faut parfois deux ou trois ans pour achever une toile », disait de lui Cécile Debray, commissaire d'une nouvelle exposition organisée l'an dernier à Pompidou.
Avec l'âge, Lucian Freud se consacrait de plus en plus à la peinture. Mais plus jeune, il avait été aussi un fêtard. Après 1945, il fréquentait les milieux bohèmes de Londres avec le peintre Francis Bacon, son aîné de treize ans, qu'il cessera de voir dans les années 1970 mais qui a eu une influence décisive sur son art. L'artiste a également été un sacré joueur lorsqu'il était jeune. Il a passé beaucoup de temps dans les caves londoniennes, à parier aux courses et à jouer aux cartes. Lucian Freud, qui n'appréciait pas les contraintes de la vie de famille, vivait ces dernières années en célibataire, après avoir eu deux épouses puis des compagnes successives, une dizaine d'enfants et des petits-enfants.
L'artiste n'aimait pas qu'on l'interroge sur son grand-père, Sigmund Freud, décédé alors qu'il avait 17 ans. Il se souvient d'un vieux monsieur facétieux qui, alors qu'il était déjà malade, faisait claquer son dentier pour amuser son petit-fils. Mais il ne souhaite pas que l'on cherche les clefs de son œuvre dans celle du fondateur de la psychanalyse. Né en 1922 à Berlin, Lucian Freud émigre à Londres dès 1934 avec ses parents, l'architecte Ernst Freud et son épouse Lucie, qui fuient le nazisme. Sigmund Freud les y rejoint en 1938 et décède un an plus tard. La même année, Lucian Freud obtient la nationalité britannique. Reconnaissant envers la Grande-Bretagne qui l'a accueilli, le peintre a réalisé un portrait de la reine Elisabeth II et le lui a offert à l'occasion de son jubilé en 2001. Mais il n'a pas flatté pour autant la souveraine, lui faisant les paupières lourdes et un rictus pincé.