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À La Une - Liban - Éclairage

Impôts des communautés religieuses, un important manque à gagner pour le Trésor ?

Depuis plus de 10 ans, une controverse oppose le ministère des Finances aux communautés religieuses, en particulier chrétiennes, à propos de l’exonération d’impôts. Retour sur une question qui n’a toujours pas trouvé d’épilogue.

La loi 210 du 26 mai 2000 régissant les impôts liés aux communautés religieuses n’a toujours pas fini de faire couler de l’encre. Adoptée alors que Fouad Siniora était ministre des Finances, elle entendait mettre sur un pied d’égalité communautés chrétiennes et musulmanes, puisqu’elle prévoyait que « toute communauté religieuse reconnue par la loi et toute personne morale reliée à cette communauté profite de l’exonération des impôts directs et indirects dont les établissements publics bénéficient ». La loi avait pour but d’exonérer d’impôts les communautés chrétiennes, les communautés musulmanes étant en principe exemptées (pas de l’ensemble des taxes toutefois), car bénéficiant du statut propre aux administrations publiques depuis l’Empire ottoman.
La décision du ministère des Finances, adoptée en 2003, énumère une série d’exemptions : impôt sur le revenu des associations à but non lucratif dépendant des communautés religieuses (à condition qu’elles ne concurrencent pas des sociétés soumises à l’impôt), impôts sur la propriété bâtie (sauf si le bien appartenant aux communautés est loué), taxes douanières, taxes sur les donations, etc... Un problème se pose toutefois : un alinéa de la décision d’application vient remettre en cause tout l’esprit de la loi, en précisant que l’exemption de ces taxes ne peut se faire qu’après examen du ministère des Finances.
« Les communautés chrétiennes devraient être exemptées systématiquement selon la loi, mais dans les faits, le ministère dispose d’un pouvoir d’appréciation pour décider des exonérations au cas par cas », affirme Bachir Aoun, responsable du contentieux relié aux waqfs à l’archevêché maronite de Beyrouth. « Nous refusons par principe de payer les taxes sur la propriété bâtie. Le danger est que l’État décide un jour de mettre la main sur les biens des communautés chrétiennes en réclamant les taxes non payées cumulées depuis des années », poursuit-il.
De ce fait, la loi de 2000, qui aurait pu constituer un manque à gagner pour le Trésor public, n’a pas vraiment modifié la donne. « La loi n’a changé la situation que superficiellement. Les exemptions qui ont été accordées ont diminué au grand maximum de 1 % les recettes foncières de l’État », explique Béchara Karkafi, directeur général des affaires foncières au ministère des Finances.

Demande d’exonération de tous les impôts
Les communautés religieuses, chrétiennes et musulmanes, souhaitent même aller au-delà de la loi de 2000 et obtenir l’exonération de tous les impôts. Elles souhaitent en particulier l’abolition de l’impôt sur la propriété bâtie, et ce même lorsque le bien des communautés est loué, et non seulement quand il sert pour les fondations pieuses (lieux de culte, hôpitaux, écoles...). Cet impôt progressif versé annuellement représente en moyenne environ 11 % de la valeur locative du bien. Lorsque des communautés religieuses louent des appartements, des bureaux, ou bien ont recours à des baux emphytéotiques, c.-à-d. de très longue durée, elles sont en effet taxées comme n’importe qui. Parmi les exemples célèbres de baux emphytéotiques, on peut citer l’ABC, le faubourg Saint-Jean, l’immeuble Abraj ou le Spinneys d’Achrafieh. Le principe est simple : les communautés louent sur une très longue durée des terrains, qui sont exploités par une personne physique ou morale, en attendant de récupérer la jouissance du bien à la fin du bail. Comme le terrain est utilisé à des fins commerciales, le propriétaire – donc la communauté – doit payer l’impôt sur la propriété bâtie. « Nous devrions être exonérés de tous les impôts, car les revenus des locations ne servent pas à faire du profit, mais ont une vocation à être redistribués aux plus pauvres. Un projet de texte commun pour une exemption totale des impôts a été déposé en ce sens au Parlement », soutient cheikh Mohammad Nokkari, juge aux affaires familiales au tribunal de Beyrouth et ancien secrétaire général de Dar el-Fatwa. Seule une loi votée par le Parlement pourrait en effet modifier la situation actuelle.
Le plus grand des litiges concerne probablement d’autres taxes : la taxe sur l’enregistrement des propriétés foncières, de 5,8 % – lorsqu’une communauté religieuse achète un terrain – ou encore la taxe sur l’échange de terrains, qui varie de 2 à 3 % de la valeur du bien-fonds. Cette dernière taxe touche des opérations immobilières réalisées par les autorités religieuses, qui revendent des terrains waqfs (biens immobilisés à des fins religieuses ou caritatives) dans des régions à des prix élevés pour acheter des terrains à des prix plus bas dans d’autres zones. Ces deux taxes foncières coûtent beaucoup aux communautés religieuses. « Le ministère a estimé qu’il y avait des excès de la part des communautés qui achetaient de nombreux terrains pour ensuite les utiliser à des fins commerciales. Il a estimé qu’il n’y avait pas de raison qu’elles soient exonérées d’impôts », explique un avocat au tribunal religieux sous le couvert de l’anonymat. Au ministère, on explique qu’une nouvelle loi d’exemption totale des taxes n’est pas à l’ordre du jour. Sur un total de 637,5 millions de dollars en 2010, « les taxes foncières liées aux communautés religieuses ont rapporté au ministère des Finances environ 5 millions de dollars », affirme Béchara Karkafi. « L’État ne peut pas exonérer d’impôts tous les biens des communautés religieuses, car il doit garantir un équilibre entre ses intérêts et ceux des waqfs, estime-t-il. D’autant que les waqfs sont riches, à la fois en liquidités et en terrains. Les terrains appartenant aux communautés religieuses représentent environ 20 % du territoire libanais », conclut le directeur général des affaires foncières au ministère des Finances.
La loi 210 du 26 mai 2000 régissant les impôts liés aux communautés religieuses n’a toujours pas fini de faire couler de l’encre. Adoptée alors que Fouad Siniora était ministre des Finances, elle entendait mettre sur un pied d’égalité communautés chrétiennes et musulmanes, puisqu’elle prévoyait que « toute communauté religieuse reconnue par la loi et toute personne morale...
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