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À La Une - En dents de scie

Poker, face et pile

Vingt-septième semaine de 2011.
C’est Hama, c’est le véritable génocide qui y a été perpétré en 1982, ce sont les 30 000 ou 40 000 martyrs massacrés sur ordre de Hafez el-Assad qui ont grandement contribué à bâillonner pendant trois décennies les Syriens en général, les sunnites en particulier. Bien sûr, le sinistre folklore propre aux dictatures, notamment proche-orientales, a joué un sacré rôle dans le renoncement par la quasi-totalité d’une population à ses droits, dans son acceptation résignée de son sort, de ses privations, de son aliénation. Mais plus que tout, c’est ce traumatisme originel sur lequel la dynastie Assad a fondé son illégitimité et enraciné sa barbarie qui n’a donné aux Syriens qu’un seul non-choix : celui de vivre en sous-peuple ou de mourir.
C’est Hama, sans doute, qui permettra à ces mêmes Syriens de se libérer, de ressusciter, d’arrêter de survivre, de vivre. Les Hamaouis ont la mémoire dans la peau, dans les yeux et, surtout, dans les gènes : ils semblent être prêts à tout, eux qui ont connu le pire, pour laver le sang pas encore séché à grandes eaux, pour que ce régime paye pour ses crimes, pour qu’il disparaisse, pour que la place de l’Oronte soit le mini-Tahrir de la Syrie, avant qu’Aleppins et Damascènes ne se décident à ouvrir les yeux.
Robert Ford et Éric Chevallier peuvent remercier l’histoire et les marées politiques – et Louis Delamarre a sans doute arrêté de faire des triples axels dans sa tombe... Autres temps, autres mœurs, les ambassadeurs américain et français à Damas sont aujourd’hui les héros de ces Syriens qui savent qu’ils n’ont, ni n’auront, en principe, la chance des Libyens. Au-delà du côté très pragmatique, humanitaire : la présence des deux diplomates à Hama en ce vendredi du non au dialogue a très probablement évité un nouveau massacre, cette décision du département d’État et du Quai d’Orsay revêt une gigantesque importance politique, pas seulement à l’encontre des autorités syriennes qui ont poussé de lamentables cris d’orfraie, mais aussi pour les inflexibles Moscou et Pékin, carrément mis au pied du mur. Dans ce stratego à échelle planétaire où jamais droit d’ingérence n’a été aussi bien et aussi pleinement traduit, les sanctions antisyriennes à l’ONU viennent de réaliser une très jolie avancée.
Hama a beaucoup de chances de devenir le tombeau (politique) d’un Baas syrien que tous les Assem Kanso du Liban et d’ailleurs ne peuvent plus sauver, ni à coups de Tu n’es qu’un chien crachés au visage de cent et un Khaled Daher ni à coups de mortifères mai 2008.
Est-ce sur cela que parie Nagib Mikati lorsque, la main sur le cœur, Capitan de commedia (pas encore complètement) ridicule, il fait comprendre à sa façon que jamais il n’abandonnera le TSL ? Est-ce sur ce bouleversement régional majeur qu’il mise lorsqu’il invoque son indéfectible et stratégique loyauté à Rafic Hariri, que celle-ci finira par triompher d’elle-même sur sa loyauté conjoncturelle, tactique, au Hezbollah, que sa promesse orale rendra caduques les âneries couchées sur le papier déjà miteux de la déclaration ministérielle ? Nous verrons bien quel discours sera concrètement appliqué, celui de Mikati ou celui des 300 ans du Hezbollah, a résumé en cette fin de semaine le très nécessaire et très tripolitain Misbah Ahdab.
Il a intérêt à avoir une et même plusieurs bonnes étoiles, Nagib Mikati ; intérêt à ce que Hama aille vite, très vite. Aussi déterminé soit-il à incarner en 2011 le Rafic Hariri de 1992, le Zorro, le reconstructeur (sociopolitique cette fois) du Liban, aussi mégalomane qu’il puisse être, le Premier ministre, n’a pas oublié d’être intelligent : il doit certainement détenir un secret que tous les autres ignorent, disposer d’assurances ultrasecrètes ou avoir reçu des garanties inaliénables. Dans tous les cas, il sait mieux que quiconque que beaucoup plus tôt que tard, il devra se dédire soit aux yeux de celui qui l’a catapulté au Sérail malgré la volonté des urnes, c’est-à-dire le Hezbollah, soit, et ce serait encore plus tragique, par rapport à lui-même, à ses convictions, ses aspirations, ses engagements, son être-au-monde, son inaliénable sunnitude.
Parce que rarement, pour ne dire jamais, Nagib Mikati s’est aussi peu contrôlé, maîtrisé et géré qu’en ce jeudi de la petite confiance où, de la tribune de l’hémicycle, son élocution s’est tellement dilatée qu’on aurait dit qu’il s’exprimait dans une langue totalement étrangère, où ses deux mètres chancelaient, où ses mains s’enfuyaient après que son ego, sa fierté, son orgueil, sa dignité et sa résilience se furent affaissés sous les coups de boutoir de ses coreligionnaires qui, un à un, le Omar karamisaient comme jamais il n’aurait pensé l’être ; qui, un à un, avec une précision chirurgicale, le délégitimaient, le délestaient de cet habit qu’il adore par-dessus tous les autres, de cette abaya rêvée, fantasmée, nuit après nuit, en silence ou presque pendant tout le règne de Rafic Hariri : l’habit du zaïm sunnite indiscuté et indiscutable qu’en principe il ne pourra jamais être.
À moins d’un miracle.

P.-S. : il est de ces petites histoires qui ne finissent jamais de faire sourire/réfléchir. Un jeune homme interroge son père sur la différence entre en principe et effectivement. Le père : Demande à ta mère et à ta sœur si elles coucheraient avec un homme pour un million de dollars. Le garçon revient avec la réponse, un double oui. Le père : Eh bien, mon fils, nous voilà avec deux millions de dollars supplémentaires sur notre compte bancaire en principe, mais effectivement avec deux putains à la maison. Une fable moderne que les rédacteurs de la déclaration ministérielle du cabinet Mikati, aux antipodes pourtant de tous les Jean de La Fontaine possibles et imaginables, connaissaient et comprenaient assurément.
Vingt-septième semaine de 2011.C’est Hama, c’est le véritable génocide qui y a été perpétré en 1982, ce sont les 30 000 ou 40 000 martyrs massacrés sur ordre de Hafez el-Assad qui ont grandement contribué à bâillonner pendant trois décennies les Syriens en général, les sunnites en particulier. Bien sûr, le sinistre folklore propre aux dictatures, notamment proche-orientales,...
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