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Imposture...

Étrange paradoxe : c'est au moment même où le pays entre dans la dernière ligne droite que les protagonistes de la crise s'arc-boutent sur leurs positions, c'est au moment même où l'heure de vérité approche, une vérité d'ores et déjà contestée, que les acteurs du drame se figent, entraînent toutes les institutions dans un immobilisme dévastateur.
Que l'acte d'accusation sur l'assassinat de Rafic Hariri paraisse aujourd'hui ou demain, dans un mois ou l'année prochaine, l'impact, il faut bien l'admettre, a déjà été largement amorti. Des menaces de guerre civile à la psychose des attentats terroristes, tout a été dit, tous les scénarios ont été envisagés.
Que la diplomatie régionale et internationale s'en mêle, que les contacts s'accélèrent entre Damas et Riyad, Téhéran et Ankara, ou Paris et Washington, tout cela démontre l'importance de l'enjeu, révèle la complexité d'une négociation multilatérale, la difficulté d'un accord global qui prendrait en compte les intérêts des uns, les soucis des autres, sans attenter à la vérité, celle que le Tribunal spécial pour le Liban entend faire éclater, loin de toute pression, de toute intimidation.
Telle est la quadrature du cercle, celle qui donne des sueurs froides aux diplomates, des arguments supplémentaires aux empêcheurs de tourner en rond, ceux qui n'envisagent l'avenir qu'en termes de règlements de comptes et de revanches longtemps ressassés.
Que les diplomates étrangers s'en inquiètent, envisagent parfois le pire, critiquent, ouvertement ou discrètement, l'irresponsabilité des personnalités politiques qui jettent sciemment de l'huile sur le feu, il n'y a là rien d'étonnant, puisque la stabilité régionale est désormais clairement tributaire de l'évolution de la situation au Liban.
Mais ce qui n'est plus tolérable, n'est plus acceptable, c'est la volonté délibérée de certaines parties locales d'entretenir un climat délétère, de créer les conditions d'une paralysie générale dont les citoyens seront inévitablement les premières victimes.
Si la situation n'avait pas été aussi dramatique, aussi porteuse de risques, on aurait pu, à la rigueur, en rire, faire des gorges chaudes des diatribes, des envolées des Saint-Just domestiques aveuglés par les poutres ancrés dans leurs yeux, se moquer éperdument des « archanges de la terreur » pour qui « un peuple n'a qu'un ennemi dangereux, c'est son gouvernement ».
Pitoyables sont les « purificateurs » de la République, ceux qui s'escriment à détruire les institutions mêmes qu'ils disent vouloir réformer ; démagogiques sont les « assainisseurs » de l'État, ceux qui s'emploient à disloquer, à démembrer les dernières structures encore fonctionnelles ; criminels sont les protecteurs des mini-États, des milices parallèles, tartarins sans cause qui assoient leurs vantardises, leurs ambitions, sur les décombres de l'État.
Irresponsables, enfin, sont les Don Quichotte, pourfendeurs de la corruption, qui s'obstinent à inverser les priorités, à éviscérer les derniers remparts d'un État agressé de toutes parts, miné de l'intérieur, cannibalisé par ses propres enfants.
Bien suspectes sont toutes ces batailles menées prétendument pour de bonnes causes, mais qui instillent le doute dans les esprits, qui ancrent la haine dans les âmes, qui sèment le désespoir dans les cœurs.
Bien sûr que les administrations de la République sont gangrenées, bien sûr que la corruption y est solidement ancrée, qu'elle y prolifère depuis des décennies, bien avant que Rafic Hariri ou Michel Aoun n'aient été aux affaires, bien avant la destruction de la capitale et sa reconstruction inespérée.
Mais comment croire, bon Dieu, que les écuries d'Augias puissent être nettoyées, que le mal puisse être éradiqué, quand toutes les batailles ne sont menées que pour des raisons personnelles, des ambitions démesurées, quand ce ne sont que les soifs de vengeance qui motivent les actions politiques.
Comment croire, bon Dieu, que l'État puisse retrouver son entière autorité, sa nécessaire crédibilité, quand tout est mis en place pour affaiblir la magistrature suprême, pour discréditer la justice et les services sécuritaires, pour légitimer l'impunité.
Comment croire, bon Dieu, que la corruption puisse être éradiquée, que l'État de droit puisse prévaloir, quand les assassins courent toujours, quand tout est mis en place, revolver sur la tempe, pour qu'ils ne soient jamais retrouvés, jamais punis.
L'imposture est là : elle est légitimée par ceux-là mêmes qui ne jurent que de leur bonne foi, que de leur entière probité... 
Étrange paradoxe : c'est au moment même où le pays entre dans la dernière ligne droite que les protagonistes de la crise s'arc-boutent sur leurs positions, c'est au moment même où l'heure de vérité approche, une vérité d'ores et déjà contestée, que les acteurs du drame se figent, entraînent toutes...
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