Rechercher
Rechercher

L’outrance et l’équivoque

Une stratégie du blocage érigée en méthode de pouvoir, des dilemmes impossibles à trancher sans menace de troubles sécuritaires, et pour résultat un morne provisoire qui n'en finit pas de durer : à quelques mois des législatives, et telle qu'elle est assujettie à la dictature d'une règle consensuelle dévoyée, dénaturée, par quel miracle pourrait donc survivre et prospérer la démocratie libanaise ?


Si la politique de l'obstruction se porte fort bien, elle, c'est qu'elle se sera avérée des plus payantes pour ses auteurs. La fracassante démission des ministres du Hezbollah et du mouvement Amal, en l'an 2006, et la fermeture arbitraire du Parlement n'en sont, tout compte fait, que l'illustration la plus bénigne. Il n'y avait là en effet aucune allusion à un éventuel recours au formidable arsenal que détient le parti de Dieu : allusion fort explicite en revanche lors de l'occupation prolongée du centre-ville de Beyrouth et des velléités d'assaut contre le siège du gouvernement ; allusion qui n'en était plus une désormais, car brutalement matérialisée lors du coup de force de mai 2007 dans les quartiers ouest de la capitale.


Depuis, et par la grâce de l'accord de Doha, on a remisé les armes, mais certes pas hélas les pratiques obstructionnistes exercées au grand jour : terme poli pour désigner chantage, extorsion et autres procédés généralement inavouables en politique. Que la querelle sur les crédits au Conseil du Sud en vienne à paralyser l'action gouvernementale, qu'il s'agisse de l'adoption du budget ou de la nomination de directeurs généraux est ainsi scandaleux. Cette caisse de secours est on ne peut plus légitime et nécessaire, aussi longtemps toutefois que ses prestations vont sans discrimination partisane ou autres aux sinistrés de la région frontalière. Or éclaboussée par plus d'un scandale dans le passé, elle passe communément aujourd'hui pour une influente officine électorale : une officine financée, qui plus est, par le contribuable, et qui devrait donc se soumettre sans discussion à l'exigence de transparence que brandit le Trésor.


Plus préoccupantes encore sont les atteintes à la sécurité publique, observées ces derniers jours, et pas plus tard qu'hier avec la découverte d'un cadavre à Sin el-Fil. L'une de ces atteintes, l'agression mortelle contre un militant du PSP, a pu être circonscrite grâce à la sagesse et aux efforts d'apaisement du leader druze Walid Joumblatt, auxquels a aussitôt répondu d'ailleurs le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah. Le mystère continue d'entourer le meurtre d'un pilote de la MEA à Ouzaï. C'est cependant un mystère de rigueur, pour ne pas dire de convenance, qui semble planer sur l'enlèvement en plein jour, dans le périmètre de l'Aéroport international de Beyrouth, d'un employé de cette même compagnie aérienne nationale.


Ce troublant (encore qu'assez transparent) mystère, le ministre de l'Intérieur s'en est expliqué par le souci de ne pas compromettre la progression de l'enquête. On le croit d'autant plus volontiers que sa compétence et son sérieux sont unanimement reconnus et appréciés. Il se trouve néanmoins que cette affaire a eu pour théâtre un secteur notoirement contrôlé de très près par un parti doté, entre autres, d'un service de renseignements ultraperformant. Quelle qu'en soit l'issue, il faut donc espérer que la loi du silence ne va pas finir par supplanter la loi tout court. À force d'accumulation, ce sont de telles pudeurs en effet, de tels ménagements funestement motivés par la raison d'État, qui, du temps des débordements palestiniens, avaient fini par entraîner la perte de l'État. Et c'est la même ambiguïté qui, durant la guerre du Liban, n'a cessé d'entourer les rapts - trop rares hélas - qui connaissaient un happy end.


Les rescapés revenaient de nulle part. Les ravisseurs jouaient aux sauveteurs. Et les bonnes manières commandaient de dire merci...


Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Une stratégie du blocage érigée en méthode de pouvoir, des dilemmes impossibles à trancher sans menace de troubles sécuritaires, et pour résultat un morne provisoire qui n'en finit pas de durer : à quelques mois des législatives, et telle qu'elle est assujettie à la dictature d'une règle consensuelle...