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La Cour et ses contours

Ils étaient nombreux à en rêver, sans parfois oser trop y croire. Non moins nombreux étaient ceux qui n'y ont jamais cru un seul instant, citant à ce propos toutes ces énigmes célèbres demeurées non résolues et encombrant les archives de l'histoire. Et puis il y avait inévitablement aussi tous ceux qui n'y ont vu, ou affecté de n'y voir, qu'un perfide instrument de pression politique visant leurs patrons locaux et leurs parrains étrangers.

Et pourtant il est là, prêt à entamer ses activités dans moins de trois semaines, avec le soutien massif de la communauté internationale. C'est sur place cependant que l'on peut avec le plus de netteté voir le Tribunal spécial pour le Liban prendre vie, hanter les esprits, guider l'action des uns et des autres : dominer en un mot, bien qu'en filigrane seulement parfois, l'essentiel de l'actualité politique.

Ainsi, ce n'est certes pas par simple et seule fidélité pour la ligne Hariri que les foules investiront une fois de plus aujourd'hui le centre-ville de Beyrouth, quatre ans après l'épouvantable attentat de Aïn Mreissé. C'est pour clamer leur conviction que la révolution du Cèdre n'est pas désormais qu'un souvenir, que les véritables miracles dus à ces centaines de milliers de Libanais anonymes, de sans-parti descendus dans la rue, n'ont pas été gaspillés en erreurs tactiques et autres contradictions politiciennes. C'est pour rappeler que le seul moyen d'interdire à l'avenir toute atteinte criminelle contre les hommes publics libanais ou les simples citoyens est de retrouver et de châtier les auteurs de tous les crimes passés.

Hors de cette justice internationale désormais à portée de la main, il n'est point de dissuasion possible en effet. Les grandes puissances semblent heureusement en être conscientes qui, tout en amorçant des ouvertures en direction de la Syrie, pays faisant communément figure de premier suspect, ne veulent laisser aucun doute sur la fermeté de leurs engagements concernant tant le Tribunal que l'indépendance du Liban. C'est dans ce cadre que se plaçait explicitement le dialogue entamé avec Damas par une France plus que jamais désireuse, soulignait hier Bernard Kouchner, de voir juger les assassins. Et c'est cette même approche que déclinait la veille même, avec éclat, le président américain Barrack Obama, qui a gratifié le Tribunal d'une substantielle rallonge budgétaire. Que la prochaine mission à Damas du président de la commission sénatoriale des AE John Kerry coïncide, à quelques jours près, avec la commémoration Hariri ; que la CIA signale au même moment à l'attention du Congrès US la persistance des ingérences syriennes dans les affaires libanaises ne devrait que donner plus de poids encore à la démarche.

Mais revenons à cette singulière scène intérieure où certaines actions et omissions n'ont cessé de démentir le consensus de pure forme entourant le Tribunal. C'est en prétextant des vices de procédure dans la négociation de l'accord liant le Liban et les Nations unies que les ministres du 8 Mars avaient démissionné avec fracas du premier gouvernement Siniora, provoquant ainsi une longue crise que n'a pas totalement réglée d'ailleurs l'accord de Doha.

Depuis, l'ombre du Tribunal n'a cessé en réalité de planer sur les diverses péripéties de la vie publique. En résumant à l'extrême, le Tribunal est à l'évidence un des enjeux essentiels, proprement vitaux, des élections législatives de juin prochain, dans la mesure où l'État libanais, dans ses divers rouages, va être tenu à une coopération de tous les instants avec l'instance internationale, qu'il s'agisse de fournir les informations demandées, de rechercher et livrer exécutants et complices ou d'assurer la protection des suspects comme des témoins.

On ne s'étonnera guère, par ailleurs, que l'affaire du Tribunal soit au cœur de l'actuelle polémique sur les écoutes illégales. C'est notamment en passant au crible des centaines de milliers d'appels téléphoniques sur le réseau du mobile que les enquêteurs ont pu découvrir une bonne partie du déroulement du complot. Dès lors. Il s'agit bien davantage là que de secrets d'alcôve, comme a tenté de le faire accroire un moment un ministre des Télécoms se disant soucieux du respect de la vie privée : lequel ministre se trouve formellement accusé d'avoir repoussé les requêtes de certains services de sécurité au sujet des derniers attentats terroristes, comme de s'être fait tirer l'oreille pour satisfaire celles des enquêteurs de l'ONU.

Tant de désinvolture ne saurait être que de commande. Et ne peut, faut-il le rappeler, que faire insulte à la sécurité des vivants autant qu'au sang des disparus.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb
Ils étaient nombreux à en rêver, sans parfois oser trop y croire. Non moins nombreux étaient ceux qui n'y ont jamais cru un seul instant, citant à ce propos toutes ces énigmes célèbres demeurées non résolues et encombrant les archives de l'histoire. Et puis il y avait inévitablement aussi tous ceux qui n'y ont vu, ou...