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Des marmites et des urnes

Des Libanais, on a souvent tourné en dérision cet insupportable nombrilisme qui les pousse à voir dans leur minuscule pays l'épicentre du monde. C'est plutôt le contraire qui est vrai. Car à défaut de faire valser l'univers, c'est le Liban hélas qui est invariablement exposé aux ondes de choc venues d'ailleurs : ces vagues de fond pouvant être le fait d'élections, tout autant que de guerres ou de révolutions.

Au Liban, comme partout ailleurs, le phénomène Obama a été perçu comme le prélude à une ère de changement. Comment la nouvelle administration américaine va-t-elle s'y prendre pour concilier esprit d'ouverure et statut de superpuissance ? Comment pourra-t-elle entamer un dialogue constructif avec l'Iran et la Syrie sans renier pour autant le meilleur souvenir que nous laisse George W. Bush, à savoir l'engagement ferme des États-Unis en faveur de l'indépendance et de la souveraineté du Liban ? Telle est aujourd'hui, pour nous, the question.

Elle n'est guère la seule cependant. Au niveau des efforts de paix dans la région, c'est une conjonction astrale absolument catastrophique qu'avait illustré en son temps le tandem Bush-Sharon. Et les résultats escomptés des élections qui se sont déroulées hier en Israël ne sont pas faits pour servir les projets de solution prêtés à Obama, pas plus que la stabilité à la frontière israélo-libanaise. Que la demi-victoire, car c'est bien ainsi qu'il faudrait l'appeler, revienne finalement aux centristes de Kadima ou au Likoud, peu importe au fond. Dans tous les cas de figure va s'imposer en effet la nécessité d'un gouvernement de coalition incluant les formations les plus hétéroclites, dont les ultranationalistes. Tous les ingrédients seraient dès lors réunis dans la marmite pour mitonner une solide paralysie gouvernementale : singulière cuisine qui n'est pas sans rappeler les tribulations du cabinet dit d'unité nationale dont a dû s'encombrer le Liban.

À l'autre extrémité du spectre de crise, et en sautant une Syrie où les élections ne veulent jamais rien dire, la candidature du réformiste Khatami à la présidentielle de juin prochain en Iran cadre idéalement en revanche, elle, avec l'ère Obama. Reste évidemment à espérer que le peuple iranien saura saisir cette rare occasion de progrès, de libéralisation, en un mot de normalité. Puisqu'il faut bien en revenir au nombril de la légende, l'enjeu des prochaines législatives libanaises n'est pas moins capital. Les aléas sont si nombreux qu'une victoire du 14 Mars ne produirait pas forcément, pas tout de suite, de miracles en matière de souveraineté, de stabilité et de sécurité. C'est en revanche une grave remise en cause des acquis des dernières et pénibles années - départ des troupes syriennes et tribunal international en tête -, une remise en cause hypothéquant gravement les générations futures, qu'impliquerait indiscutablement un basculement éventuel de la majorité parlementaire.

Telle est précisément l'opinion que formulait il y a quelques jours le patriarche maronite, s'attirant aussitôt les critiques indignées du 8 Mars. La prise de position du cardinal Sfeir n'est guère nouvelle pourtant : elle découle d'une doctrine proclamée dès la mise en place de la tutelle syrienne, il y a près de deux décennies déjà. Et puis, dans notre pays où c'est la politique elle-même qui investit la religion, le patriarche Sfeir n'est certes pas le seul chef spirituel à traiter de la chose publique, même s'il est bien le seul en mesure de se prévaloir, pour cela, à une tradition remontant à la gestation du Liban.

Puis encore, le maître de Bkerké n'entretient pas de milice, que l'on sache. Fidèle à Rome, il ne s'en dit pas pour autant le soldat, comme d'autres en tirent fierté de Téhéran ; et s'il n'a effectivement rien d'un analyste stratégique comme le relevait hier encore Michel Aoun, c'est la fraternité et la concorde qu'il prêche, non le martyre et la guerre de mille ans que prônent les alliés de ce stratège très controversé qu'est le général. Que peut-il y avoir de choquant enfin dans l'intérêt manifesté par le patriarche pour l'apparition d'un bloc centriste au Parlement ? Quoi de plus normal que son souci d'une charge présidentielle plus consistante, à l'heure où les candidats endémiques au poste prétendent faire du chef de l'État une sorte de reine d'Angleterre : cela en attendant d'avoir eux-mêmes raflé le job, comme de bien entendu ?

Mais trêve de marmites, les urnes pointent à l'horizon. Et si acquis il y a, bien que menacés, c'est parce que certain 14 février de 2005, les foules de la révolution du Cèdre avaient déjà commencer à voter. Avec les pieds. Qu'elles se le gardent en tête.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb
Des Libanais, on a souvent tourné en dérision cet insupportable nombrilisme qui les pousse à voir dans leur minuscule pays l'épicentre du monde. C'est plutôt le contraire qui est vrai. Car à défaut de faire valser l'univers, c'est le Liban hélas qui est invariablement exposé aux ondes de choc venues d'ailleurs : ces vagues de fond...