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Pirateries

Serions-nous des otages prédestinés ? Et comment les otages que nous sommes bel et bien pouvaient-ils, avec d'autres compagnons d'infortune, espérer se porter au secours de ce pitoyable otage qu'est la population civile de Gaza, prise entre le marteau de la barbarie israélienne et l'enclume de l'irrédentisme du Hamas ?


Parti de Beyrouth et transitant par l'île de Chypre, le Tali, cargo battant pavillon togolais et rebaptisé Bateau de la fraternité, a été, comme on sait, arraisonné par la marine israélienne, conduit au port d'Ashdod et confisqué. Ses passagers, parmi eux des journalistes de la télévision, ont été injuriés, brutalisés puis expulsés au Liban par voie terrestre. Quant à sa redoutable cargaison, elle consistait strictement en vivres, médicaments, savon et détergents, à quoi s'ajoutaient poupées et ours en peluche pour ces enfants de Gaza s'ébattant sur des champs de ruines et qui n'ont pour jouets que des roquettes et obus non explosés.


On n'attendait pas moins, il est vrai, d'un État né des horreurs de la persécution mais qui assume sans le moindre complexe, à la face du monde, son rôle de bourreau. Bombardées, assiégées, massacrées, poussées à l'exode, les populations civiles du Liban n'ont guère été épargnées, elles non plus, par la furie israélienne. Et c'est notre condition d'otages qu'Israël perpétue délibérément en persistant à occuper ces fermettes de Chebaa, devenues prétexte aux projets les plus délirants, comme aux ingérences extérieures les plus insolentes.


Car ils sont foule, les preneurs d'otages. Résignée à sacrifier au rituel de l'échange d'ambassades ; traînant la patte néanmoins pour ce qui est de désigner son représentant diplomatique à Beyrouth ou de se prêter à une délimitation de la frontière ; battant le rappel de ses vieux amis, réussissant à s'en faire de nouveaux tout prêts à faire une croix sur le passé (et même sur un présent pourtant éloquent), la Syrie s'est visiblement lancée à la reconquête du terrain perdu. Infiltré par procuration dans certains des rouages les plus sensibles de la disparate machine étatique libanaise, Damas se sera même assuré une étroite coopération sécuritaire libanaise sans pour autant renoncer à ses propres leviers de pression et autres instruments de déstabilisation, tels ces groupes armés palestiniens implantés hors des camps de réfugiés.


L'Iran n'est pas en reste qui, se jouant de l'éloignement géographique, s'est ménagé une zone de contact avec Israël en terre libanaise, qui se pose dès lors en premier défenseur de la cause palestinienne et qui ne se prive pas de dénoncer, à partir de Beyrouth même, la lâcheté et la trahison des régimes modérés arabes. À l'inverse, c'est sur le même terrain que ces derniers avancent leurs pions : cela sans parler du jeu des Puissances, tantôt acharnées à contrer l'axe syro-iranien et tantôt s'essayant, au contraire, aux jeux de la séduction.


Le plus frappant cependant, c'est de voir avec quel naturel ces légions ô combien étrangères s'activant sur la scène intérieure (des otages elles-mêmes en définitive, qu'elles en soient ou non conscientes) ont repris à leur compte les mêmes méthodes d'arraisonnement de la volonté d'autrui. Ce fut le cas lors de la dévastatrice guerre de 2006, puis de l'occupation prolongée du centre-ville de Beyrouth avec son cortège de désastres économiques, et puis encore du coup de force paramilitaire de 2007. Cela continue de plus belle avec un gouvernement d'unité nationale en permanence exposé à l'extorsion, du fait de la fameuse minorité de blocage. Et cela vient de rebondir avec la controverse sur les écoutes téléphoniques illégales, brûlant épisode d'une guerre des polices, qui dure depuis des années déjà : une guerre d'obédiences contradictoires, et dont l'enjeu le plus important pourrait bien être l'enquête internationale sur les crimes contre le Liban.


Rescapé de tant de naufrages, le bateau libanais n'est toujours pas à l'abri des pirates. Pour ce qui est de la fraternité, il faudra hélas repasser...


Issa Goraieb

igor@lorient-lejour.com.lb

Serions-nous des otages prédestinés ? Et comment les otages que nous sommes bel et bien pouvaient-ils, avec d'autres compagnons d'infortune, espérer se porter au secours de ce pitoyable otage qu'est la population civile de Gaza, prise entre le marteau de la barbarie israélienne et l'enclume de l'irrédentisme du Hamas ?
Parti de Beyrouth et transitant...