Rechercher
Rechercher

Eaux profondes

Toujours là, bien déployées, les grandes oreilles, mais c'est dans les règles qu'elles s'activent désormais. Du moins nous le promet-on.

À peine surgie, la polémique sur les écoutes téléphoniques illégales aura trouvé une issue aussi heureuse que soudaine, lors de la réunion tenue lundi au Sérail et qui a groupé, autour de Fouad Siniora, les ministres de l'Intérieur, de la Justice, de la Défense et des Télécoms, ainsi que les chefs des organismes sécuritaires. Une issue, une amorce de solution, une sortie de crise, c'est vrai, mais pas encore un épilogue : non seulement en effet l'Assemblée, houspillée par son président Nabih Berry, est sur le point de se saisir du contentieux, mais les plus acérés des traits continuent d'être échangés hors Sérail. Évoquant le dernier en date de ses démêlés avec la presse (il s'agissait cette fois de notre confrère an-Nahar), ce sont ainsi des langues et des mains qu'un général Michel Aoun hors de lui s'est publiquement juré de charcuter. Le chef du Courant patriotique libre aura même réclamé des poursuites judiciaires contre les piliers de la majorité, Siniora en tête, coupables de porter préjudice aux relations avec ce modèle de rectitude morale bien connu qu'est l'autorité syrienne.

Pour en revenir à la réglementation des écoutes, c'est en réalité une période de rodage qui vient de commencer, durant laquelle les services de renseignements libanais, aussi divers dans leurs allégeances politiques et même socioculturelles hélas que dans leurs appellations et attributions, devront, en tout premier lieu, apprendre à présenter leurs requêtes à leur propre ministre de tutelle. Qui, à son tour, en tiendra informé le Premier ministre, avant que soit transmise la demande aux autorités compétentes. Tout cela en attendant que voie enfin le jour ce centre technique créé il y a des années sur le papier et auquel incombera la difficile tâche de traquer, sur les ondes téléphoniques terroristes, criminels et trafiquants, sans pour autant violer la vie privée des citoyens. Date curieusement retenue pour l'inauguration de cette glauque mare aux écoutes : le 1er avril...

Au plan strictement politique, le ministre de la Défense Élias Murr, un des piliers du bloc centriste en gestation, se sera livré à une brillante démonstration de cet esprit de conciliation propre à toute formation de ce type. Se démarquant du 14 Mars, pratiquant une ouverture sur le 8, c'est ainsi qu'il a vigoureusement blanchi le ministre des Télécoms Gebran Bassil des accusations d'obstruction que lui lançait, la veille encore, le leader druze Walid Joumblatt. En grand démocrate, Bassil n'aurait repoussé une démarche des Forces de sécurité intérieure que par seul souci de l'intimité des gens. Quant à l'officier de la Sûreté installé à demeure dans son département, il ne serait là que pour suivre le vieux dossier des communications internationales illégales : ce détournement massif des recettes des postes libanaises étant le fait d'une bonne demi-douzaine de centraux pas si clandestins que cela, tout compte fait, puisqu'ils bénéficient de protections aussi notoires qu'agissantes.

Bien que de manière indirecte, est bel et bien posée néanmoins, de la sorte, une part consistante du problème, pour ne pas dire le fond du problème, et le ministre Murr doit en être remercié. Le problème au Liban, c'est bien sûr que par le funeste jeu des obédiences extra-étatiques, tout le monde est en mesure d'espionner un peu tout le monde. Ou presque. Car il est certaines parties qui se refusent à toute sorte de contrôle, mais qui s'estiment en droit de surveiller tout le reste de la république. Qui, sous prétexte de résistance à l'ennemi israélien et grâce à leur réseau de télécommunications privé, sont parfaitement en mesure de se soustraire aux yeux et oreilles de l'État, comme de scruter impunément ce qui se passe chez les autres. Et qui détiennent surtout suffisamment d'armement pour protéger et défendre leurs incroyables acquis.

Indiscutablement bienvenue est la percée de lundi. Mais il faudra davantage que les fraternisations du Sérail ou les envolées verbales de l'Étoile pour que l'on puisse aller regarder de plus près le fin fond de la mare.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb
Toujours là, bien déployées, les grandes oreilles, mais c'est dans les règles qu'elles s'activent désormais. Du moins nous le promet-on.À peine surgie, la polémique sur les écoutes téléphoniques illégales aura trouvé une issue aussi heureuse que soudaine, lors de la réunion tenue lundi au Sérail et...