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Calendriers de crise

Il en va de la guerre comme des affaires : le temps c’est de l’argent, sinon de l’or. Ce temps, les belligérants n’en font pas nécessairement le même usage : certains croient être en mesure de s’en donner assez pour accomplir sans faux pas leur itinéraire de mort et de destruction ; certains autres cherchent seulement à en gagner le plus possible, sans égard pour leurs propres pertes, dans l’attente de quelque providentiel rebondissement qui viendrait changer la donne. Hasardeux calculs, pour les uns comme pour les autres ; car à force de macérer dans le sang, cet or-là peut parfois s’avérer maudit.
Cette sale guerre contre Gaza, Israël s’y est patiemment préparé après avoir tiré toutes les leçons militaires de son expédition libanaise de 2006, laquelle fut aussi improductive que dévastatrice. Ce n’est qu’au terme d’une semaine de bombardements aériens massifs que l’État hébreu, assuré d’une honteuse impunité internationale, a déployé son offensive terrestre. Officiellement, celle-ci a pour objet non point d’anéantir le mouvement Hamas, mais de lui ôter toute capacité de tirs de roquettes sur les agglomérations israéliennes ; du même coup serait rétablie, à l’adresse notamment du Hezbollah, une réputation d’invincibilité de l’armée israélienne largement ternie au Liban.
Pour atteindre ces objectifs passant pour minimalistes, ce sont néanmoins des moyens considérables qu’a mis en œuvre l’agresseur. Or que se prolonge la résistance du Hamas, que se manifeste un début de pourrissement, que l’agresseur soit acculé à doubler la mise, et l’enjeu aura changé du tout au tout. Le doigt aura été mis dans un engrenage désormais classique : tout autre résultat qu’une fort problématique liquidation des islamistes palestiniens ne pouvant apparaître dès lors, une fois de plus, que comme une demi-victoire, pour ne pas dire un échec. Plus encore qu’une maîtrise de la science de la guérilla, c’est d’ailleurs cette notion très particulière de la balance des pertes et profits qu’a acquise quant à lui le Hamas auprès de son mentor, le Hezbollah. Alors que Gaza était déjà crucifiée par les colonnes convergentes de blindés ennemis, c’est l’arrivée, grâce à Dieu, de la victoire que l’on trouvait moyen d’annoncer, hier encore, à une population terrorisée, écrasée sous la pluie de bombes, privée d’abris, de pain, d’eau, d’électricité et de médicaments...
Toujours est-il qu’une éventuelle montée des enchères ne saurait peser, à la longue, sur le seul déroulement des activités militaires. L’administration US moribonde a beau bloquer tout appel onusien au cessez-le-feu ; la Maison-Blanche a beau invoquer le droit à l’autodéfense et à la tranquillité d’un État qui, pourtant, occupe depuis des décennies les terres d’autrui ; George W. Bush a beau dénier aux enfants déchiquetés de Gaza les mêmes pensées chagrines – et largement médiatisées – que lui inspire la mort de sa chatte India/Willie ; et le président élu Barrack Obama a beau s’imposer un silence de rigueur, ce n’est tout de même pas sans fracas que coulent tous ces torrents de sang.
Plus la crise se prolonge en effet et plus s’agitent les rues dans les grandes capitales ; plus inconfortable devient aussi la position des chefs modérés arabes accusés, à tort ou à raison, de collusion avec l’agresseur. Écoutons plutôt ce qu’en pense l’émir du Qatar, un dirigeant arabe en excellents termes avec un peu tout le monde, y compris Israël, mais qui en vient à reprocher publiquement à celui-ci ses crimes de guerre : crimes gratuits de surcroît, prévient-il, car ils n’apporteront la sécurité ni à leur auteur ni à nous-mêmes, tant il est vrai en effet que les extrémismes n’aboutissent à rien qu’à se nourrir l’un l’autre.
Au milieu de tant d’incertitudes, il convient de saluer, bien sûr, le message de paix dont se veut porteur le président français Sarkozy en entreprenant une tournée-éclair dans la région qu’il clôturera cet après-midi au Liban. La France ne peut rivaliser d’influence avec l’Amérique, c’est vrai ; et l’Europe elle-même est bien loin cette fois de parler à l’unisson, si l’on en juge par les fausses notes (tchèques en particulier) qui ont marqué l’actuelle mission de l’UE. Tenant le bâton par le milieu, condamnant l’escalade à la face de ses amis israéliens, déplorant devant les Palestiniens l’irresponsabilité du Hamas, c’est néanmoins un équilibre du désaveu que prêche, avec force, Nicolas Sarkozy.
Même s’il ne fait, en réalité, que se livrer à un bien délicat numéro d’équilibriste.

 

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb

Il en va de la guerre comme des affaires : le temps c’est de l’argent, sinon de l’or. Ce temps, les belligérants n’en font pas nécessairement le même usage : certains croient être en mesure de s’en donner assez pour accomplir sans faux pas leur itinéraire de mort et de destruction ; certains autres cherchent seulement...