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Santé

Vers la libéralisation du marché des bébés ?

Par Donna DICKENSON

Professeur émérite d’éthique médicale et de sciences humaines à l’Université de Londres, Donna Dickenson a été la lauréate 2006 de l’International Spinoza Lens Award pour sa contribution apportée au débat public sur l’éthique. Son dernier ouvrage s’intitule « Body Shopping : Converting Body Parts to Profit ».

L’Inde doit-elle mener une nouvelle guerre d’indépendance ? Il ne s’agirait pas cette fois-ci de lutter contre le colonialisme britannique, mais contre l’approche choisie par le Royaume-Uni pour réglementer la médecine reproductive. Au moment où l’Inde envisage un système de mise en relation de couples occidentaux avec des mères porteuses indiennes, le gouvernement britannique a annoncé la suppression de deux importantes agences de réglementation médicale.
Alors que ces deux pays poursuivent la déréglementation de la médecine reproductive, la France est engagée dans un vif débat sur les lois relatives à la bioéthique – et continue à défendre un modèle différent, axé sur la justice sociale et la protection de femmes vulnérables. Il existe une alternative aux lois du marché, affirme l’Assemblée nationale française.
Il est probable qu’à un moment ou un autre, plusieurs pays seront confrontés à des débats et controverses similaires concernant les droits et obligations de l’assistance médicale à la procréation (AMP). Il est donc nécessaire de clarifier les enjeux de la réglementation – ou déréglementation – de la fertilisation in vitro (FIV), de la vente de gamètes et de la gestation pour autrui.
Il pourrait sembler surprenant, notamment pour des observateurs américains, que l’approche britannique puisse être considérée comme obéissant aux principes du marché libre. La législation britannique interdit expressément la rémunération du don d’ovocytes, alors qu’aux États-Unis, un marché très diversifié s’est développé autour de la demande du public. Et le Royaume-Uni dispose également d’une autorité de réglementation des FIV, tandis qu’aux États-Unis, la législation (ou l’absence de législation) concernant l’AMP dépend de chaque État fédéral.
Mais la haute autorité britannique chargée de la réglementation des recherches d’assistance médicale à la procréation et de la recherche en embryologie (Human Fertilisation and Embryology Authority – HFEA) risque de disparaître prochainement. Le gouvernement du Premier ministre David Cameron a annoncé en juillet dernier qu’il avait l’intention d’abolir la HFEA d’ici à 2014, ainsi que la Human Tissue Authority, chargée de réglementer les tissus humains non reproductifs. Mais il semble aujourd’hui que la HFEA cherche à devancer le gouvernement en assouplissant ses dispositions réglementaires.
En avril dernier, la HFEA a clos une consultation portant sur l’augmentation du niveau des « dédommagements » pour don de gamètes utilisés lors des FIV. Bien que la législation européenne interdise de rémunérer le don d’ovocytes, la HFEA a estimé que relever nettement le niveau des « dédommagements » ne constituerait pas une incitation illicite. La haute autorité n’a pas créé des « incitations », elle n’a fait que supprimer des « manques d’incitation », une différence qui ne va pas de soi.
Les partisans du projet de loi indien sur la réglementation des techniques d’assistance médicale à la procréation (Assisted Reproductive Technologies Regulation Bill 2010), actuellement soumis au Parlement indien, utilisent la même tournure rhétorique. Ils affirment que cette loi protégera les mères porteuses – en limitant par exemple le nombre de grossesses possibles. Mais la loi prévoit également un contrat de mère porteuse, l’obligeant à donner l’enfant même si elle change d’avis. Les adversaires du projet de loi estiment que ce sont les agences de maternité de substitution qui en seront les principales bénéficiaires – que les frais engagés par les couples étrangers ne seront rien en comparaison des énormes bénéfices que réaliseront ces agences. Comme l’ont écrit N. B. Sarojini et Aastha Sharma dans l’Indian Journal of Medical Ethics, « la loi encourage activement le tourisme procréatif en Inde ».
La France, comme la plupart des pays européens, est également confrontée à la question du tourisme procréatif : une pénurie de quelque 700 ovocytes par an en France incite certains couples à se rendre en Espagne, où des cliniques privées spécialisées en FIV « dédommagent » plus généreusement les dons que le Royaume-Uni, par exemple. Mais le projet de loi indien n’en interdit pas moins la vente de gamètes.
Le Comité consultatif national d’éthique français n’est pas le seul à s’opposer à la marchandisation de l’AMP. La France a récemment organisé des forums citoyens dans plusieurs villes de province sur la question de l’assistance médicale à la procréation. À Rennes, ce forum s’est exprimé contre la rémunération des gamètes – même par la voie détournée de l’augmentation des « dédommagements ».
Tandis que la HFEA demande d’équilibrer les questions d’éthique avec la nécessité d’un approvisionnement accru en gamètes, les députés français ont estimé que la loi, la morale et le progrès médical étaient compatibles. Ils ont rejeté le point de vue selon lequel l’éthique est facultative, même si certains professeurs éminents, comme René Frydman, qui a fait partie de l’équipe à l’origine du premier bébé éprouvette français, ont mis en garde contre le fait qu’à moins de renoncer à ses principes, la France risque de se retrouver à l’arrière-garde du progrès scientifique. Le Sénat français est lui plus sensible à ces arguments et l’issue du débat est encore incertaine.
La France n’est pourtant pas un paradis, à l’écart des marchés mondiaux ou des pressions de la recherche internationale. Ou comme le dit Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à la faculté de médecine Paris-Sud XI : « Nos repères bioéthiques résisteront-ils toutefois encore bien longtemps à la montée en puissance de mentalités et de logiques, notamment financières ? »
Il est vrai que la législation française peut être assez draconienne. Les FIV sont par exemple limitées aux couples hétérosexuels mariés ou concubins de longue date. Le principe éthique officiel est que les gamètes ne sont pas des marchandises, mais un don d’un couple fertile à un couple qui ne l’est pas. C’est également pour cette raison que la loi française restreint le don de gamètes aux femmes qui ont déjà eu au moins un enfant (bien que cette clause soit en cours d’amendement).
Mais limiter ce don aux couples hétérosexuels a été à juste titre condamné par l’opinion publique française lors de consultations comme étant homophobe. La révision de la loi bioéthique devrait permettre aux lesbiennes de bénéficier de dons de gamètes (contrairement aux homosexuels masculins, parce qu’ils devraient recourir à la gestation pour autrui, qui reste interdite).
L’intégration de la volonté populaire dans le processus législatif contredit la fable selon laquelle la réglementation française est inflexible et désespérément bureaucratique. En fait, l’attitude des pays anglo-saxons évoque surtout les vieux préjugés en cours à l’endroit des Français, illustrés par un commentaire du romancier britannique Thackeray : « Après sa soupe, le Français mangera un plat de légumes, alors que vous, Britanniques, mangerez un plat de viande. Vous êtes un animal différent et supérieur – un animal qui bat les Français à plate couture. »
Nous savons bien sûr qu’un régime carné provoque un durcissement des artères, alors que le régime méditerranéen à base de légumes est bien meilleur pour la santé. Que dire de plus ?

© Project Syndicate 2011. Traduit de l’anglais par Julia Gallin.
L’Inde doit-elle mener une nouvelle guerre d’indépendance ? Il ne s’agirait pas cette fois-ci de lutter contre le colonialisme britannique, mais contre l’approche choisie par le Royaume-Uni pour réglementer la médecine reproductive. Au moment où l’Inde envisage un système de mise en relation de couples occidentaux avec des mères porteuses indiennes, le gouvernement britannique a...

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