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Après Fukushima, faut-il sortir du nucléaire civil ? - Énergie

Après Fukushima, faut-il sortir du nucléaire civil ?

Le débat est relancé depuis le tremblement de terre suivi du tsunami et de la catastrophe nucléaire qui ont touché le Japon le 11 mars dernier : faut-il sortir du nucléaire civil ? Ce dernier est-il une énergie aussi propre et économique que certains le disent, quelles seraient les alternatives à une telle source d'énergie, à quelle échéance une sortie du nucléaire serait-elle possible, et à quel coût... Autant de questions soulevées par ce débat.

Sur cette photo d’archives, des manifestants masqués demandent la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, en Alsace. Vincent Kessler/Reuters


Jusqu'au séisme japonais du 11 mars dernier, le nucléaire civil se portait relativement bien dans le monde. La cherté du pétrole n'y étant pas étrangère. Aujourd'hui, 440 réacteurs environ sont répartis dans une trentaine de pays, principalement les États-Unis, la France et le Japon. Ces réacteurs fournissent environ 15 % de l'électricité mondiale.
Le nucléaire est une énergie qui émet très peu de CO2, l'un des principaux gaz à effet de serre à l'origine du changement climatique. Pour Jacques Gollion, membre de l'Association des écologistes pour le nucléaire (AEPN), l'un des avantages du nucléaire est justement « l'absence de rejets polluants, CO2 évidemment, mais aussi cendres de charbon (souvent radioactives) toujours très polluantes. Les rejets radioactifs de gaz sont très faibles et non mesurables à plus de 100 mètres de la centrale ». Un point de vue partagé par Kamel Bennaceur, ancien expert sur les questions énergétiques auprès de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui insiste sur le fait qu'avec le nucléaire civil, « les émissions de gaz à effet de serre sont quasi nulles ».
Autre avantage, le coût relativement bas de cette source de production d'énergie, « environ 60 % du coût d'une production par le charbon », selon M. Gollion, qui insiste également sur un autre avantage du nucléaire civil, « la possibilité de stocker sans problème l'uranium frais pour avoir une avance de trois à cinq années de production ». « Les autres matières, contenant la majeure partie de la radioactivité, sont incorporées à une pâte de verre spécial scellée dans des conteneurs cylindriques en acier destinés à l'enfouissement à bonne profondeur, ajoute M. Gollion. Dans l'attente, ces cylindres sont entreposés en toute sécurité et sous surveillance dans un bâtiment industriel du site français de la Hague dont la dalle contient plus de mille puits permettant l'entreposage des combustibles produits en France depuis bientôt 40 ans. » Dernier avantage, relevé par M. Bennaceur, l'encombrement physique entraîné par le nucléaire civil « moins important que pour les énergies renouvelables ».
Le nucléaire civil n'est toutefois pas exempt d'inconvénients. « La gestion des déchets de fonctionnement et des combustibles usagés est à prendre en considération, souligne M. Gollion. Concernant les déchets, ce problème est traité en France. Les déchets sont entreposés dans des silos pour une période de trois cents ans, après laquelle la radioactivité est très faible. Pour les combustibles usagés, la technologie française actuelle consiste à traiter chimiquement les combustibles pour séparer les matières nucléaires encore utiles (l'uranium et le plutonium) des véritables déchets (les produits de la fission, soit environ 5 % des matières) et des éléments métalliques de la structure (zirconium et acier). »
Au chapitre des inconvénients, M. Bannaceur note également le caractère non renouvelable de l'énergie nucléaire, les réserves d'uranium étant limitées.
Pour les opposants au nucléaire, les inconvénients sont bien plus nombreux et surpassent de loin les avantages de cette méthode de production d'énergie. « La France possède 58 réacteurs nucléaires, et pourtant, c'est le pays d'Europe qui émet le plus de gaz à effet de serre », note le site nucleaire nonmerci.net, rejetant de ce fait l'argument relatif au côté « énergie propre » du nucléaire civil mis en avant par certains. Le nucléaire pollue, souligne également l'organisation Sortir du nucléaire, rappelant que « les mines d'uranium (Niger, Australie, Kazakhstan, Canada...) produisent de grandes quantités de déchets radioactifs », que « tous les réacteurs nucléaires rejettent en permanence de la radioactivité dans l'air et l'eau », que « des milliers de tonnes de déchets nucléaires s'entassent année après année » et que, plus inquiétant encore, le traitement de ces déchets n'est pas au point. Le collectif souligne aussi que « l'électricité nucléaire n'est bon marché qu'en apparence, grâce à des tarifs réglementés bientôt voués à disparaître ». L'organisation Sortir du nucléaire note enfin que « le nucléaire ne permet pas d'assurer l'indépendance énergétique (de la France). La France importe 100 % de son uranium ».

Le point de vue des scientifiques
Certains scientifiques n'hésitent pas non plus à monter au créneau contre le nucléaire civil. « Il faut abandonner le nucléaire, en raison de la nature même de cette énergie. Notre organisme sait nous prévenir de la plupart des dangers, mais pas de la radioactivité. Elle n'est pas détectable pour l'organisme humain ! » s'est insurgé Albert Jacquard dans une intervention sur le réseau Sortir du nucléaire (www.sortirdunucléaire.org). « J'admire l'exploit technique que représente une centrale nucléaire, mais il faut d'abord se poser la question de savoir à quoi tout cela sert. Le nucléaire, c'est un cadeau plus qu'empoisonné, avec des déchets qu'on veut enfouir dans le sous-sol comme on glisse la poussière sous le tapis. (...) Qu'il s'agisse du nucléaire civil ou du nucléaire militaire, les conséquences sont les mêmes : on est en train d'organiser le suicide à long terme de l'humanité », a encore dit le célèbre scientifique français.
Le débat entre partisans et opposants du nucléaire se poursuit depuis des années. Un débat relancé après chaque accident nucléaire majeur, comme en 1979 après la catastrophe de Three Miles Island aux États-Unis (incident classé 5 sur une échelle de 7) et en 1986, après la catastrophe de Tchernobyl (niveau 7). Et comme aujourd'hui, après la catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima provoquée par le séisme du 11 mars.
Mais pour les nations nucléaires, sortir du nucléaire n'est pas une décision qui peut être prise à la légère. « Le nucléaire civil apporte à notre pays, il apporte en termes d'indépendance relative », déclarait en mars dernier Éric Besson, ministre français de l'Industrie, soulignant que cela représentait 20 % de la consommation finale d'énergie en France. La France « vit depuis 1973, après le premier choc pétrolier, dans l'option de compenser ses acquisitions de charbon et de pétrole par le nucléaire. Dès 1984, la production d'électricité nucléaire économisait l'importation d'environ 80 millions de tonnes de pétrole à déduire des quelque 160 millions de tonnes importées précédemment. Le bilan aujourd'hui est encore plus favorable », note Jacques Gollion.

Quelles conséquences, quels sacrifices et quel coût pour une sortie du nucléaire ?
Dans ce contexte, Kamel Bennaceur rappelle qu'une sortie du nucléaire aurait pour conséquence une hausse des coûts énergétiques. En ce qui concerne la France, note M. Gollion, « l'abandon progressif du nucléaire, s'il est décidé par les pouvoirs publics, conduira à réduire les dépenses d'énergie en priorité dans l'habitat français construit après 1945 (plus de 60 % de notre habitat) avec l'option chauffage basée sur des produits pétroliers (fuel et gaz) à des prix très bas. Dans mon cas, par exemple, ma maison, qui date de 1970, n'avait aucune isolation, ni du toit, ni des murs, ni des ouvertures ! Aujourd'hui, après un gros travail visant à améliorer cette maison, je me chauffe avec une combinaison "fuel, bois, pompe à chaleur" ». « Une amélioration qui exige un certain niveau d'investissement individuel. Aujourd'hui, les énergies renouvelables étant encore proposées à des coûts très élevés, note M. Gollion, le niveau ou le confort de vie sera directement touché par une sortie du nucléaire civil. D'où la nécessité, en cas de programme de sortie du nucléaire, de promouvoir, à l'échelle d'un pays, toutes les méthodes permettant de limiter la consommation d'énergie ».
En outre, si la sortie du nucléaire est décidée, elle aura un coût en termes de démantèlement du parc. Une sortie du nucléaire se ferait « par le non-renouvellement du parc, soit une quarantaine d'années. Le démantèlement des centrales électriques a été en partie préfinancé par une partie du prix du kWh. Les autres installations du cycle devront être financées par les pouvoirs publics, mais leur volume est moins important. Au total, pour une valeur d'inventaire du parc actuel qui peut dépasser 130 milliards d'euros, il s'agit d'une dépense annuelle de l'ordre de 4 à 6 milliards, qui s'ajouteront à des dépenses d'investissement des moyens renouvelables », explique M. Gollion.
Rappelant que chaque région du monde est spécifique, M. Bennaceur ajoute que « l'Europe a un parc nucléaire existant important, et sortir du nucléaire voudra dire de très gros investissements pour arrêter les centrales existantes. Des investissements auxquels il faudra bien sûr rajouter le prix des nouvelles centrales. La France serait particulièrement exposée, étant donnée la proportion d'électricité d'origine nucléaire ». De plus, « la durée de sortie du nucléaire, si elle est décidée, dépendra des objectifs qui sont fixés et du temps qu'il faudra pour remplacer la production ».

Quelles alternatives au nucléaire ?
Sortir du nucléaire est donc un processus relativement coûteux et long. Un processus d'autant plus long que doivent être mises en place les alternatives.
Parmi des dizaines de scénarios examinés début mai par le Groupe d'experts de l'ONU sur l'évolution du climat (GIEC), le plus optimiste avance que 77 % des besoins mondiaux en énergies pourraient être couverts par des énergies renouvelables (biomasse, solaire, géothermie, hydraulique, énergie marine, éolien) à l'horizon 2050. L'hypothèse la plus basse prévoit que 15 % seulement des besoins énergétiques en 2050 seront couverts par les énergies renouvelables. Une part qui varie en fonction des politiques mises, ou non, en œuvre. Tous les scénarios prévoient cependant une montée en puissance des énergies renouvelables. « La plupart des scénarios analysés estiment qu'à l'horizon 2050, la contribution des énergies renouvelables à une offre énergétique sobre en carbone sera supérieure à celle de l'énergie nucléaire ou des combustibles fossiles qui font appel à la capture et au stockage du carbone », poursuit le GIEC. Les coûts de développement des énergies renouvelables, quel que soit le scénario, resteront « inférieurs à 1 % du PIB mondial jusqu'à 2050, a en outre affirmé le président du GIEC, Rajendra Pachauri. C'est un chiffre extrêmement significatif, cela montre que le coût de développement et d'utilisation des énergies renouvelables est à portée de main ».
Une analyse que ne partage pas Kamel Bennaceur. « Même s'il est clair que les énergies renouvelables sont la réponse durable, elles souffrent de certains problèmes dont leur coût trop élevé », note l'expert. En matière d'énergies renouvelables, il s'agit également de développer les capacités techniques. Par exemple, en ce qui concerne l'éolien ou le solaire, que faire en cas de ciel gris et sans vent, alors que nous ne sommes toujours pas capables de stocker l'électricité ?
Pour M. Bennaceur, une sortie du nucléaire serait synonyme d'un « retour vers le charbon qui augmente de façon très importante les émissions » de gaz à effet de serre. Les énergies renouvelables « ne peuvent prendre le relais qu'en partie seulement, estime également M. Gollion, indiquant que les importations de gaz et de pétrole combleront le vide ». Et pour ce dernier, un retour au gaz et au charbon serait « un retour en arrière. Notre civilisation a totalement abusé des énergies fossiles ».
Dans une interview au quotidien Libération, Thierry Salomon, président de Négawatt, une association d'experts prônant la sobriété énergétique et les énergies propres et renouvelables, reconnaissait qu'une sortie du nucléaire impliquerait, pendant la phase de transition, une hausse de la part d'électricité produite avec du gaz. Interrogé sur le fait que le gaz émet davantage de CO2 que le nucléaire, d'où un effet négatif sur l'empreinte carbone, M. Salomon répondait : « Selon notre scénario, on n'en émettrait pas plus. Grâce à un programme de rénovation énergétique, la quantité de gaz économisée pour chauffer les bâtiments sera utilisée pour l'électricité. On est dans un jeu à somme nulle. »
Mais pour M. Gollion, au-delà du débat sur la sortie ou non du nucléaire civil, il s'agit avant tout de remettre en perspective les accidents nucléaires : « De mon point de vue, l'accident de Tchernobyl est la conséquence de plus de cinq erreurs humaines graves et successives. La plus importante a été commise par le chef de la centrale lui-même : décider, par orgueil, de faire sur sa centrale une expérience jugée dangereuse par ses pairs. L'accident de Fukushima aurait été marginal si la prise en compte d'un tsunami de 20 mètres avait influencé le concepteur, car les réacteurs ont supporté le grand séisme. »
Jusqu'au séisme japonais du 11 mars dernier, le nucléaire civil se portait relativement bien dans le monde. La cherté du pétrole n'y étant pas étrangère. Aujourd'hui, 440 réacteurs environ sont répartis dans une trentaine de pays, principalement les États-Unis, la France et le Japon. Ces réacteurs fournissent environ 15 % de l'électricité mondiale.Le nucléaire est une énergie qui...