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Moyen Orient et Monde - Le point

Printemps pourri

Vous aussi avez foi en ce fameux « printemps arabe » et jugez qu'il va fleurir bientôt, aujourd'hui plutôt que demain, dans ce Moyen-Orient promis aux joies de la liberté, de la démocratie, du progrès. Vous en avez si longtemps rêvé que vous voyez aujourd'hui éclore les premiers bourgeons, appelés à se multiplier et embaumer ainsi un air devenu irrespirable, vicié qu'il est par la corruption, la gabegie, le mensonge, l'oppression sous sa forme la plus avilissante pour l'homme, par excellence créature de Dieu.
Redescendons sur terre avec Ron Nixon. Ce journaliste de l'International Herald Tribune a eu l'excellente idée, au hasard de ses pérégrinations à travers cette inépuisable source d'informations qui s'appelle WikiLeaks, de voir s'il existe un quelconque rapport entre les jeunes Arabes en guerre depuis trois mois contre les maîtres de leur destinée et les sources de la bien-pensance dans le monde. Ce qu'il a découvert, et qu'il a communiqué à ses lecteurs dans le numéro du journal daté du 15 avril, est de nature à mettre un peu de baume au cœur de tous les sceptiques incapables de voir une quelconque forme de spontanéité dans les mouvements de masse que l'on voit ces temps-ci dans les rues de Taëz, Talbisseh, Qatif et ailleurs. La colère des foules, révèlent les documents de cet iconoclaste de Julian Assange, est nourrie depuis belle lurette par des organisations paragouvernementales, à coups de milliards de dollars. En somme la version en négatif des manifestations « spontanées » des dictatures communistes de la défunte ère pré-Gorbatchev.
Les premiers à s'étonner in petto devant le succès de leur investissement sont précisément les dignes inspirateurs de cet enseignement long mais combien bénéfique. Pensez donc, cette phase dans les rapports entre l'Oncle Sam et les jeunesses arabes a donné ses premiers résultats bien plus vite que prévu, encore que l'on ignore pour l'heure quels fruits donnera cet arbre objet tant d'années durant de tous les soins.
Tout ce qui compte aujourd'hui dans le peloton de tête des contestataires aura donc connu, à un moment ou à un autre, les bancs de cette étrange école où, très souvent, les enseignants étaient d'authentiques barbouzes, des spécialistes de l'action psychologique, des as de la communication et des champions de l'Internet, version agitprop, que l'on aurait dit inspirée de l'époque de la défunte Russie soviétique. Sont passés par là le mouvement égyptien du 6 Avril et le Centre des droits de l'homme de Bahreïn, ainsi qu'un nombre incalculable d'activistes qui occupent depuis le devant de la scène, en attendant - promettez de ne pas vous en étonner le moment venu - de diriger leur pays.
Dans l'ombre, d'où viennent de les tirer les bienfaisantes indiscrétions de WikiLeaks, on trouve l'Institut international républicain et l'Institut national démocrate, tous deux issus des deux grands partis politiques américains, créés en vertu d'une décision du Congrès et financés (100 millions de dollars annuellement) par le Fonds pour la démocratie créé en 1983 et chargé de distribuer la manne destinée à encourager les libertés publiques.
Deux points demeurent obscurs dans les révélations de Ron Nixon : la nature des nouveaux régimes appelés à voir le jour, la sélection opérée à partir de Washington des régimes à abattre. Pourquoi le Yémen et pas Bahreïn ? La Syrie plutôt que la Jordanie ? Et cette remarquable discrétion s'agissant des États producteurs de pétrole... Mais il y a mieux : dans certains pays, les futurs Saint-Just recevaient une solide formation de révolutionnaires dans le même temps que la main gauche octroyait des largesses aux régimes qu'ils étaient censés abattre un jour. L'Égypte de Hosni Moubarak obtenait chaque année pas moins de 1,5 milliard de dollars alors que Bassem Fahmi et d'autres de ses camarades étaient initiés aux subtilités des alliances, des slogans à scander, du bon déroulement d'une manif, dans le cadre de programmes parrainés par le département d'État, la faculté de droit de la Columbia University, Facebook ou encore Google. Sur son site, l'universitaire Joshua Landis parle de l'appui US à la création en avril 2009 de la chaîne de télévision Barada, en dépit des réserves du même département d'État, qui faisait valoir que cela nuirait aux bons rapports avec Bachar el-Assad.
Mais ne nous formalisons pas : les bonnes consciences s'accommodent fort bien de ces hypocrisies que la morale politique fait semblant d'ignorer. À une date récente, Michèle Alliot-Marie n'avait-elle pas raté de quelques semaines l'incroyable chance qu'aurait représentée la formation des gendarmes de Zine el-Abidine Ben Ali ? C'est dire à quoi tiennent le destin des nations et l'avenir des politiques.
Dans le Nouvel Observateur (n° 2423 du 14 au 20 avril), Bob Woodward croit savoir que « Barack Obama a décrété qu'il n'aura pas recours à l'armée pour renverser Kadhafi, ce qui n'exclut pas de faire appel à la CIA ». Tout est dans les nuances, vous dit-on.
Vous aussi avez foi en ce fameux « printemps arabe » et jugez qu'il va fleurir bientôt, aujourd'hui plutôt que demain, dans ce Moyen-Orient promis aux joies de la liberté, de la démocratie, du progrès. Vous en avez si longtemps rêvé que vous voyez aujourd'hui éclore les premiers bourgeons, appelés à se multiplier et embaumer ainsi un air devenu irrespirable, vicié qu'il est par la...
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