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Liban

Dialogue intergénérationnel : un projet d’histoire orale pour vaincre la violence latente

L’atelier de formation. Il symbolise les trois niveaux du projet : les élèves, les enseignants qui les assistent et les coordinatrices qui les encadrent.

Assoiffés des détails de la guerre de 1975, de ce qu'ils n'ont pas vécu mais qui retentit de façon acerbe dans leur jeune vie, une cinquantaine d'élèves du secondaire mènent depuis fin mars un projet d'exploration du passé. Une rétrospection mais d'une manière différente, dans la collecte de récits individuels sur le quotidien de la guerre civile, sans égard aux événements en soi.
Deux élèves de seconde ou de première ont été respectivement choisis par les directeurs de 20 écoles publiques et privées du Grand Beyrouth, pour enregistrer de mars à mai cinq entrevues avec des membres de leur entourage immédiat ayant connu la guerre. « Il faut toucher à la nature de la personne, l'attraper, la cerner et non la changer... Vous êtes là pour écouter, non pour juger », ont expliqué aux élèves les coordinateurs du projet dans le cadre de leur formation.
Initié par le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ), en collaboration avec l'association UMAM pour la documentation et la recherche, ce projet vise précisément un dialogue intergénérationnel sur la violence politique et son impact. Encadré par l'Unité mémoire du Centre d'études du monde arabe moderne (Cemam) de l'USJ, c'est également un projet d'histoire orale : il aboutira à la création d'archives audio de 200 témoignages, qui seront recueillis le 10 mai 2011 pour être entreposés à l'USJ et chez UMAM.
Le projet est en outre conçu comme une initiative pilote apte à être éventuellement reproduite par les écoles et diffusée par les élèves qui en auront entamé l'expérience. Pour la première fois, les jeunes seront à l'écoute de la souffrance des grands, afin de se guérir d'abord, en taisant les tourments de cette guerre mystérieuse, qui peut leur paraître encore séduisante.
Pour Georges Khalil, élève de seconde à l'école Notre-Dame de Jamhour, « on est toujours en guerre, et chaque pas que l'on fait contribue à nous en affranchir, à l'instar de ce projet qui apprend à connaître l'autre pour dépasser ses craintes ». Les dépasser en somme, grâce à la conviction sincère que tout humain est perdant dans la violence.
Répartis en trois groupes, les élèves ont suivi une journée de formation sur la manière de mener leurs entrevues (les 26, 27 février et le 5 mars, sur le campus des sciences humaines de l'USJ). Il s'agit par ces entrevues d'« essayer de créer un espace de discussion pour les jeunes avec les parents, l'équivalent d'un temps de pause », dilué depuis la fin de la guerre dans une constante « fuite en avant », explique Lynn Maalouf, responsable du programme Liban de l'ICTJ.
Une grande partie de la journée a ainsi été consacrée aux questions pouvant être posées, dénuées des sens idéologiques, cristallisés ou mutilés, sur le vécu de la guerre. En plus des questions proposées sur la nourriture, la peur quotidienne, la pénurie, la vie dans les refuges, les amitiés qui se liaient et se déliaient, ont été avancées des questions sur la vie qui persistait : le divertissement, l'amour, le mariage, les études...
Ce projet livre les jeunes à eux-mêmes dans « l'abattement du mur du silence », souligne Mme Maalouf. D'ailleurs, « dans leur globalité, les jeunes sont conscients de ce qu'on leur dissimule de la guerre », estime Liliane Kfouri, responsable de l'Unité interdisciplinaire de recherche mémoire au Cemam. En effet, Sandra Bou Chaaya, élève de l'école officielle de Choueifate, veut savoir comment l'ancienne génération « a affronté ses difficultés, moi qui n'en ai rien vécu ». De son côté, Abbas Beydoun, de l'école Aamliyeh, est particulièrement sensible à la violence de la guerre, puisqu'il y a perdu des proches. C'est d'ailleurs ceci qui l'amène à dire « je veux connaître l'autre ».
Loin de vouloir questionner les acquis politiques transmis par leur environnement familial, le but du projet est de renforcer l'« esprit critique » des jeunes, encore en ébauche, affirme Mme Maalouf. Ce projet les place dans une position active de recherche, mue par une directive positive : « Ton expérience est importante pour moi », soutenant une ouverture à l'autre sans morale, comme l'explique Marie-Claude Souhaid, anthropologue, responsable de communication et de recherche à UMAM.
Le point central de l'histoire orale est justement cette reconnaissance de l'expérience de l'autre, où la mémoire individuelle devient « ressource, non malédiction » dans la remémoration collective des événements, précise Mme Souhaid.
Et l'enregistreuse des jeunes sera l'oreille qui défile pour transmettre l'intimité de mémoires anonymes, et pour cerner, selon Mme Kfouri, ce « commun humain », où se déploie tout le sens de l'objectivité...
Quels récits ces jeunes récolteront-ils ? Et quel espace ce projet aura-t-il contribué à créer ? C'est à suivre dans les prochains mois...
Assoiffés des détails de la guerre de 1975, de ce qu'ils n'ont pas vécu mais qui retentit de façon acerbe dans leur jeune vie, une cinquantaine d'élèves du secondaire mènent depuis fin mars un projet d'exploration du passé. Une rétrospection mais d'une manière différente, dans la collecte de récits individuels sur le quotidien de la guerre civile, sans égard aux événements en soi....
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