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Nos Lecteurs ont la Parole

Ma mère voulait me voir vivre avec des rêves plein la tête...

Hala MOUBARAK
Je me souviens des années de guerre, comme si c'était hier. Je me souviens de mes parents qui couraient dans tous les sens pour nous tirer de notre lit et nous protéger des bombardements. Je me souviens des fuites en voiture pendant un cessez-le-feu pour nous réfugier à la campagne chez la famille de ma mère. Et même là haut, nous nous retrouvions, mes cousines et moi, à jouer à la poupée ou à lire un Oui Oui dans un abri qui sentait la moisissure. Je me souviens de Chypre, et puis de Paris. Des journées d'école qui n'ont jamais eu lieu. Je me souviens d'avoir appris à jouer aux échecs très jeune avec mon père, dans une cage d'escalier. Je me souviens des pâtisseries de ma mère. Je me souviens....
Mon enfance, comme celle de beaucoup de Libanais de ma génération, est un cumul de souvenirs identiques. Et malgré ça... Nos parents ont fait de tout pour nous assurer un certain équilibre, nous expliquant tant bien que mal ce que voulait dire la guerre et ce que pouvait dire les nouvelles qu'ils essayaient d'écouter tant bien que mal sur un tout petit magnétophone.
Il pleut sur Beyrouth.... Et je regarde ces hommes, ces femmes, ces vieux, qui font la queue pour pouvoir se procurer une goutte d'essence, et faire semblant que tout ira bien demain. Parce que demain sera un nouveau jour. Attendre son tour pour de l'essence et subir une grève qui n'aurait pas dû avoir lieu de la sorte. Là où tout aurait dû être différent. Le paysage est absurde. Attendre son essence, comme on attendait un sac de pain pendant la guerre. Attendre son essence comme on attend l'espoir.
C'est ainsi, le monde entier nous veut ainsi. Asservi et apathique.
Nous avons baissé les bras il y a longtemps. Les guerres qui se sont succédé ont pris tout ce qui restait en nous de révolutionnaire. Et même si nous sommes révoltés, nous n'y pouvons rien, parce que peu de personnes suivront une manifestation pour défendre des droits basiques.. Mais si c'est Michel Aoun qui se manifeste, ce sont tous ces partisans qui descendent l'acclamer. Pour Samir Geagea, c'est pareil.
Si c'est l'un ou l'autre, si c'est le gaucher et le droitier, les Libanais manifestent avec drapeaux, slogans et tout le tintouin pour acclamer un dirigeant sans conscience et qui ne cherche qu'à servir ses intérêts propres, pour s'enrichir un peu plus et laisser à ses enfants maisons et terrains et compte en banque bien garni, qu'ils sauront faire fructifier à leur tour. C'est avec beaucoup d'amertume que j'écris ce billet. Et c'est aussi avec une conscience rationnelle que je me rends compte combien nous avons perdu d'entrain pour défendre ce qui nous revient de droit.
Nous sommes une jeunesse qui ne sait pas voir que la vie ne se résume pas au téléphone portable et à la voiture. Au mari idéal ou à la chirurgie esthétique, au Sky Bar ou à la rave party. La vie est bien plus importante que ça. Il suffit de regarder. Mais cette jeunesse est aveugle.
Nous sommes en train de vivre ce que nos parents ont vécu. Une guerre économique qui nous prive de tout, et surtout de notre dignité. La différence entre nos parents et nous est évidente. Nos parents se sont battus. Nos parents sont descendus dans les rues pour crier haut et fort quand il le fallait. Nos parents se sont indignés, se sont révoltés.
Leur cause était juste.
Nous étions une cause juste à leurs yeux quand il fallait nous sauver pour protéger une part de notre enfance du mieux qu'ils pouvaient.
Je me souviens de tout. Mon corps retient tout. Mon enfance, comme la vôtre, vous qui me lisez, sont identiques. Et nous avons la chance de pouvoir réagir et ne pas suivre la politique, mais de nous battre pour notre dignité d'êtres humains.
Je me souviens de mon père qui me disait que ses espoirs se portent sur mon frère, ma sœur et moi. Je n'avais pas bien compris ce qu'il voulait dire à l'époque. J'étais très jeune.
Avec le recul, je comprends mieux ses mots. Je me souviens de ma mère qui me disait que son plus grand désir, c'est de me voir vivre mon âge adulte avec des rêves plein la tête, et non pas avec l'anxiété de dormir en attendant un bombardement. Ça aussi, je le comprends mieux aujourd'hui.
Nous sommes en train de revivre ce que nos parents ont vécu. Avec des rêves en moins, et une peur de l'avenir qui nous ronge de l'intérieur.
Dans ma tête, il pleut des cordes.
Au nom de mon père... au nom de ma mère,
Pour eux,
Je prie le ciel et les étoiles, et je vous livre mes maux.

Hala MOUBARAK
Je me souviens des années de guerre, comme si c'était hier. Je me souviens de mes parents qui couraient dans tous les sens pour nous tirer de notre lit et nous protéger des bombardements. Je me souviens des fuites en voiture pendant un cessez-le-feu pour nous réfugier à la campagne chez la famille de ma mère. Et même là haut, nous nous retrouvions, mes cousines et moi, à jouer...

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