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Nos Lecteurs ont la Parole

II - La révolution laïque arabe

Par Samia LABIDI
En tout état de cause, tout en utilisant les mêmes termes célèbres, sachez que les valeurs démocratiques et laïques ne prendront racine dans le monde arabo-musulman que si elles émanent directement de ce culturo-culte si contesté et contestable. La laïcité, à l'occidentale, comme on la voit en Turquie ou en Inde, n'est valable qu'au niveau de la tête de l'État. Dès qu'on descend un tout petit peu au niveau du peuple, la confusion est à son comble quand on ne va pas jusqu'à ignorer le sens même de ce mot. Pourquoi ? Parce qu'on est en face d'une laïcité importée de toutes pièces, un prêt-à-porter, alors que chaque pays a besoin de se tailler sa propre démocratie laïque sur mesure (voir L'Orient-Le Jour du mardi 22 février 2011).
Pensez-vous que le monde arabe n'a pas ses propres Voltaire et Condorcet ? Pensez-vous qu'il a, systématiquement, besoin de faire référence à des auteurs occidentaux pour légitimer sa démarche vers la liberté ? Croyez-vous qu'au cœur des textes sacrés de l'islam, et même via son histoire, il n'y a pas de références explicites dans ce sens ? Croyez-vous que le monde arabo-musulman n'a accouché d'aucun penseur de cette trempe tout au long de son histoire et jusqu'à l'heure actuelle ? 
Détrompez-vous, le monde arabe grouille de libres penseurs, bâillonnés à la moindre tentative d'expression, comme si le fait de vouloir sortir ses concitoyens de l'obscurantisme était un crime contre l'humanité.
Pourquoi cet acharnement contre l'élite de ce monde arabo-musulman ? De l'intérieur tout comme de l'extérieur des pays d'origine, cette élite est traquée, méprisée au profit des islamistes qui ont droit à tous les honneurs et à l'échelle planétaire parce qu'on a peur du grand méchant loup. 
À force d'être mis à l'écart de la scène politique, intellectuelle et sociale, ce sont les deux grands spectres qui se sont partagés le gâteau. Aussi despote l'un que l'autre, le dictateur ou l'intégrisme islamiste se sont érigés tour à tour comme si d'autres alternatives ne pouvaient voir le jour. Aux yeux de l'univers, le monde arabe ne peut produire que des monstres et, comme on n'a que ce qu'on mérite, je vous laisse imaginer la suite...
Il est à présent extrêmement urgent de mettre en place un mouvement indépendant laïque à l'échelle de tous les pays arabo-musulmans afin de préparer ensemble un avenir meilleur. Autour d'un programme commun, chaque pays peut tout au moins en nuancer l'application en fonction du besoin intérieur de sa société. Si on ne procède pas de la sorte, dans les plus brefs délais, c'est l'internationale islamisme qui envahira cette région sensible du globe. Il est hors de question que l'islam politique récolte à lui seul les fruits de cette révolution historique.
 Pour conclure, j'ai envie de me pencher brièvement sur le cas de la Tunisie.
Constitutionnellement, une séparation entre le religieux et l'État est tout à fait possible et acceptable de la part de la majorité du peuple, et cela sans la moindre difficulté. L'interdiction des partis politiques se présentant au nom d'une religion peut même être réclamée si on souffle le mot suffisamment haut et fort. L'islam politique est de plus en plus rejeté par la classe moyenne instruite.
On ne peut instrumentaliser une religion à des fins politiques.
L'organe de l'État, étant une personne morale et non physique, ne peut invoquer le droit à la liberté d'expression et de conscience. Une personne morale ne peut adhérer à une quelconque religion puisqu'elle ne jouit pas de son libre arbitre. Par conséquent, un État ne peut se réclamer d'une religion ou d'une croyance de type spirituel. Le besoin du sentiment religieux est le propre de l'homme en tant que personne physique et en tant que libre penseur. 
Maintenant, si on ne réagit pas tout de suite, tant que le fer est encore chaud, non seulement l'historique parti islamiste « el-Nahda » reprendra du poil de la bête, mais il y aurait lieu de craindre pire encore. Ce que je crains le plus, ce sont les centaines de Tunisiens qui s'activent de par le monde, dans les différents mouvements islamistes étrangers, et qui risquent de vouloir récupérer quelques sièges en se constituant en parti politique islamiste radical, et non à la turque, sous influences extérieures. 
Un dernier mot qui me tient à cœur. Certes, je suis farouchement attachée à cette séparation du religieux et du politique. Mais, il n'en reste pas moins qu'un bémol devrait se dessiner afin de marquer sa singularité. Cela relève du type de la laïcité qui pourrait se développer dans les pays arabo-musulmans. En Tunisie par exemple, il me semble que la tête de l'État, en l'occurrence le président de la République, doit redorer son blason avec une certaine légitimité dite « sacrée ». Je m'explique, ce chef d'État doit être au-dessus des partis et doit être le garant de l'ensemble des composantes de la société. De ce fait, une spiritualité laïque respectueuse de toutes les croyances injecte un peu d'oxygène et donne un exemple de tolérance au sommet de l'État. 
Pour ce faire, un « brin de spiritualité », un « zest de sacré », ne fera de mal à personne et permet de réconcilier les différentes tranches de la société tunisienne.
Eh oui, dans le monde arabo-musulman on a besoin de cette notion du « sacré ». On a besoin, plus que jamais, d'être rassuré sous cette protection « paternelle » représentative d'une force supérieure qui nous dépasse. Autrement dit, cette laïcité, qui doit émaner de l'intérieur des pays arabo-musulmans, doit séparer le religieux de l'État tout en gardant une impression de religiosité, uniquement, au niveau de son chef suprême. Une sorte de présence symbolique afin de pouvoir dire haut et fort « sacrée laïcité » et faire passer en douceur la pilule, le temps de s'y habituer...
La plus haute fonction étatique traduit un engagement personnel pour servir au mieux l'intérêt général. Pour maîtriser l'art de gouverner, il faut être un artiste et le propre de l'artiste est de ne rien s'attendre en contrepartie de son art : l'œuvre se suffit à elle-même. Cette fonction prestigieuse, et non un métier, doit être à la hauteur de ses prétentions. Le cas français, qui passe du « sacre royal » à un président qui triple dès son élection les indemnités attachées à sa fonction, ne fonctionnera jamais dans les pays arabo-musulmans. Le scénario des mafieux, s'enrichissant sur le dos du peuple avec des investissements à l'étranger, ne pourra plus se poursuivre. Plus personne n'est dupe. C'est la raison pour laquelle le XXIe siècle sera spirituellement laïque ou ne sera pas dans les pays arabo-musulmans.

Samia LABIDI

Écrivain
En tout état de cause, tout en utilisant les mêmes termes célèbres, sachez que les valeurs démocratiques et laïques ne prendront racine dans le monde arabo-musulman que si elles émanent directement de ce culturo-culte si contesté et contestable. La laïcité, à l'occidentale, comme on la voit en Turquie ou en Inde, n'est valable qu'au niveau de la tête de l'État. Dès qu'on...

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