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Au Liban, un taux alarmant d’analphabétisme

Si je savais lire, j’aurais été moins pauvre

« Si j'avais appris à lire et à écrire, j'aurais été moins pauvre. J'aurais exercé un autre métier ». À 75 ans, Mariam, cuisinière et femme de ménage, fait part de ses regrets. Son manque d'instruction lui fait honte. Au point de refuser de révéler son vrai nom. Elle vit son analphabétisme comme un handicap, car elle a toujours été incapable d'effectuer des gestes considérés par d'autres comme simples. Téléphoner, signer son nom, voter, lire les prix au supermarché ou gérer son carnet d'épargne sont pour elle mission impossible. Elle n'a d'autre choix que de se faire assister par des proches. Chose qui lui a valu certaines mésaventures dont elle conserve un goût amer. « Un de mes neveux a profité de ma situation pour bénéficier d'une aide alimentaire qui m'était destinée », déplore-t-elle.
À l'épicerie de quartier où elle fait ses emplettes, elle demande le prix de chaque denrée. « Je suis une cliente fidèle. L'épicier m'assiste sans rechigner », raconte-t-elle. Mariam ne met jamais les pieds au supermarché. « Je suis incapable de lire les étiquettes des prix », observe-t-elle.
D'ailleurs, elle ne peut pas faire confiance à n'importe qui. « Je me trompe entre les billets de banque. Je ne distingue pas toujours entre les billets de 10, de 20 et de 100 dollars. Je dois être extrêmement prudente, parce que je risque de me faire avoir », dit-elle.
Pour gérer son compte d'épargne, Mariam comptabilise les petits bâtonnets qu'elle dessine sur un papier. Mais elle demeure dépendante de l'employée de banque qui l'assiste, « toujours la même », précise-t-elle, et d'une nièce en qui elle a une confiance absolue. « J'ai ouvert un compte joint avec ma nièce, explique cette veuve sans enfants. Je ne m'en sortirais pas, sinon. »
Téléphoner est aussi une opération difficile pour Mariam qui n'a pas le téléphone chez elle. « Je ne reconnais pas les chiffres, note-t-elle. Quant aux nouveaux appareils (les téléphones cellulaires), c'est un vrai casse-tête pour moi. Un de mes neveux m'a offert un appareil, mais je ne sais pas l'utiliser correctement. Je me trompe sans cesse. Il a pourtant essayé de m'en expliquer les rudiments. J'ai donc souvent recours à mes voisins pour retrouver et composer un numéro. » Mariam n'arrive pas non plus à comprendre le principe de l'appel en absence et n'est évidemment pas capable d'envoyer des messages. Pour contacter une de ses employeuses, elle a un jour envoyé une dizaine de messages vides, en l'espace de quelques minutes.
Les choses sont aussi ardues lorsqu'elle doit entreprendre une formalité, ou aller voter. « Je suis incapable de reconnaître mon nom et je dois toujours être accompagnée d'une personne de confiance », regrette-t-elle.
Scolarisée durant sa petite enfance dans son village natal, Mariam garde un très mauvais souvenir d'une maîtresse qui la battait. « L'école, c'était ma bête noire. Je séchais les cours. Puis à la mort de mon père, on m'a placée chez une famille comme bonne à tout faire. J'ai ainsi élevé mes frères et sœurs qui sont tous plus instruits que moi », se souvient-elle.
Mariam aurait souhaité que ses parents prennent son éducation plus au sérieux. Elle aurait aussi voulu bénéficier d'un programme d'alphabétisation destiné aux adultes. Mais personne n'a jamais frappé à sa porte. Habitante d'un quartier populaire de Beyrouth, elle connaît au moins 6 à 7 personnes dans son cas. « Ce sont des personnes de ma génération ou un peu plus jeunes », dit-elle. « Mais leurs enfants ont tous appris à lire et écrire », se dépêche-t-elle d'ajouter.
« Si j'avais appris à lire et à écrire, j'aurais été moins pauvre. J'aurais exercé un autre métier ». À 75 ans, Mariam, cuisinière et femme de ménage, fait part de ses regrets. Son manque d'instruction lui fait honte. Au point de refuser de révéler son vrai nom. Elle vit son analphabétisme comme un handicap, car elle a toujours été incapable d'effectuer des gestes...