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Au Liban, un taux alarmant d’analphabétisme

Akkar : lorsque l’instruction n’est pas une priorité

Deux familles des hauteurs du Akkar témoignent. Dans ces villages reculés du pays, fonder une famille et subvenir à ses besoins par l'agriculture, l'élevage ou les petits boulots sont la règle générale. Poursuivre ses études est encore une exception.

Ce père de famille du jurd du Akkar, analphabète comme son épouse, se qualifie d’aveugle.

Au Akkar, le taux d'analphabétisme est le plus élevé au Liban, 40 % selon certaines estimations, plus de 60 % selon d'autres sources. Rien qu'au village de Denbo, on compte environ 78 % d'analphabètes. Au sein de chaque famille, il est donc courant de rencontrer plusieurs personnes, hommes ou femmes, qui n'ont jamais fréquenté l'école. Il est tout aussi courant de rencontrer des personnes qui ont été scolarisées durant leur petite enfance, mais qui demeurent illettrées, car elles ont oublié les notions apprises. Le taux d'analphabétisme est évidemment plus important chez les femmes, qui, dès leur plus tendre enfance, sont destinées au mariage. Aujourd'hui, dans ces familles nombreuses, composées de 7 à 12 personnes, tous les enfants vont à l'école, filles et garçons. Mais iront-ils au bout de leur scolarité, surtout les filles, que l'on continue de marier trop jeunes ?

Menuisiers, peintres ou tôliers
Dans une modeste maison paysanne de Darhouza, dans le jurd du Akkar, village habité par une seule et même famille de 468 personnes, plusieurs proches sont rassemblés autour de l'aïeule, Hajjé Halloum, qui vient de célébrer ses 122 printemps. Dans ce village comme dans tant d'autres de la région, lire, écrire et compter n'ont jamais été une priorité. L'important, pour les habitants, était de fonder une famille et de subvenir à ses besoins. L'agriculture et l'élevage étant le seul moyen de subsistance.
«De mon temps, seuls les garçons allaient à l'école jusqu'au certificat », se souvient une des filles de Hajjé Halloum, elle-même grand-mère. « Nous, les filles, étions destinées à nous marier. Mon mari n'était pas instruit non plus. Il ne savait pas lire. Nous étions pauvres et nos vaches et moutons étaient notre seul gagne-pain. » La femme raconte que ses enfants fréquentaient l'école publique qui était éloignée. « Il n'y avait pas de routes. Les enfants devaient s'y rendre à pied dans les champs et traverser la rivière. Mon mari leur a construit un petit pont à partir de planches de bois », se rappelle-t-elle. « Les conditions étaient tellement difficiles qu'ils rataient souvent l'école, surtout quand il pleuvait. »
Résultat, les hommes ont tout juste fréquenté l'école primaire, avant d'apprendre des métiers. Ils sont aujourd'hui menuisiers, ferronniers, peintres ou tôliers, dans leur village natal. Certains se sont enrôlés dans l'armée. Amer, le benjamin de la famille, est apprenti menuisier. À 21 ans, il n'a aucun regret. « Je n'ai jamais aimé l'école, dit-il. Les études, ce n'est pas mon fort. Je n'en garde pas grand-chose. Mais je me débrouille dans la vie et ne ressens pas le besoin d'en savoir plus. »
Les filles, elles, ont toutes été mariées. Amina, petite-fille de Hajjé Halloum et mère au foyer, la trentaine, n'a été scolarisée que quelques années. De son apprentissage, il ne lui reste presque rien. « Je peux à peine aider mes plus jeunes enfants dans leurs études, et uniquement en arabe. Cela me frustre, dit-elle. Si j'étais plus instruite, j'aurais pu travailler dans une boutique. Mais j'en suis incapable. » Amina rêve de bénéficier d'une session d'alphabétisation organisée par une ONG locale, mais pour cela, elle devrait se rendre au village voisin. Ce qui serait mal vu. Elle se contente de mettre ses espoirs dans ses enfants. Soucieuse de leur éducation, elle leur a acheté un ordinateur, « pour qu'ils sachent tout faire », explique-t-elle.

Déscolarisée et mariée à 12 ans
Seule exception dans cette famille d'illettrés, Sana', une mère de famille de 28 ans, a atteint la classe de seconde avant de se marier. « Mon mari n'a pas accepté que je poursuive ma scolarité. J'aurais tellement voulu obtenir mon bac. Mais je suis curieuse et lis beaucoup, même en anglais », dit avec satisfaction cette commerçante qui gère sa propre boutique de colifichets et d'articles de maison.
À Beit Daoud, une famille est réunie à déjeuner autour d'un plateau. Le père, un agriculteur d'une soixantaine d'années, récemment rentré de La Mecque, offre des dattes aux visiteurs. Analphabète, comme son épouse, il se qualifie « d'aveugle ». « Si je savais lire, j'aurais sûrement mieux fait les choses ». Malgré ses regrets, ce père de 16 enfants, dont trois sont encore à l'école, n'a pourtant pas hésité à retirer une de ses filles de l'école à 12 ans pour la marier. « Elle a eu un parti. Je ne pouvais pas m'y opposer, raconte-t-il. Ici les filles, on les marie tôt. » Les plus jeunes poursuivent leurs études, mais sans grande conviction, risquant le décrochage scolaire. « Ils ont redoublé leurs classes plus d'une fois», observe le père.
Quant à ses fils aînés, certains sont analphabètes, comme lui. « Ceux-là, je les ai vite mariés. J'ai préféré les ranger plutôt que de les voir s'enrôler dans les milices. » D'autres ont été scolarisés et ont tenté en vain des études techniques, jugées trop ardues. « Ils vivotent tous de petits boulots. L'un livre du mazout, l'autre a un bus de ramassage scolaire, le troisième une camionnette. » Un seul de ses fils a obtenu son bac et a fréquenté l'université, sans jamais obtenir de diplôme. « Il s'est enrôlé dans l'armée. Heureusement qu'il a été engagé après son service militaire. Qu'aurait-il fait au village avec un diplôme ? Il aurait été au chômage, comme tous ses camarades diplômés. Car l'État ne s'occupe pas de nous, regrette-t-il. Ici, il n'y a rien à faire. Heureusement que nous avons notre terre. Mais celle-ci ne rapporte plus rien. »
Au Akkar, le taux d'analphabétisme est le plus élevé au Liban, 40 % selon certaines estimations, plus de 60 % selon d'autres sources. Rien qu'au village de Denbo, on compte environ 78 % d'analphabètes. Au sein de chaque famille, il est donc courant de rencontrer plusieurs personnes, hommes ou femmes, qui n'ont jamais fréquenté l'école. Il est tout aussi courant de rencontrer...