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Au Liban, un taux alarmant d’analphabétisme

Lire et écrire, l’espoir des jeunes analphabètes

Ils ont entre 16 et 22 ans. Ils apprennent à lire et à écrire grâce à des sessions d'alphabétisation organisées pour eux par le Mouvement social à Bourj Hammoud.

À Bourj Hammoud, lors d’une session d’alphabétisation donnée par une formatrice du Mouvement social.

Dans une petite salle de classe du siège du Mouvement social à Bourj Hammoud, une formatrice, Iman Ajami, demande à six jeunes de 16 à 22 ans, dont deux Libanais, de raconter en quelques lignes leurs dernières vacances. L'exercice est ardu pour certains, plus aisé pour d'autres. L'écriture est encore hésitante, même pour les plus doués. Parmi ces jeunes analphabètes du quartier, dont deux nouvelles recrues, certains n'ont jamais mis les pieds à l'école, d'autres ont à peine été scolarisés. Trois fois par semaine, ils se retrouvent au siège de l'association à Bourj Hammoud, pour des sessions d'alphabétisation et de calcul. Chacun évolue à son rythme. Il est si difficile pour ces jeunes qui travaillent de jongler entre leurs sessions et leurs obligations professionnelles, voire familiales. Malgré les obstacles, la satisfaction qu'ils tirent de leur apprentissage est palpable. Une satisfaction que traduisent les propos de Mohammad, 17 ans, employé dans une boulangerie : «Depuis que j'apprends à lire, je vis une nouvelle vie. »

Retirée de l'école à 10 ans pour faire des ménages
Certains comme Salim n'ont jamais été scolarisés. Cet Indien de 20 ans, de mère sri lankaise, abandonné très jeune par son père, attendait seul à la maison le retour de sa mère qui faisait des ménages. « À six ans, j'étais devenu un enfant de la rue », raconte-t-il. Exceptionnellement doué, Salim ne rate aucun cours. « Je ne m'absente que lorsque je suis malade », dit-il dans un arabe parfait. Il lit et écrit désormais correctement l'arabe. Repéré il y a cinq ans par le Mouvement social, il a également suivi des sessions d'informatique et de marketing. « Je me débrouille aussi en anglais», dit-il fièrement. Il faut dire que Salim est fortement encouragé par son employeur, un épicier qui lui apprend le métier, après l'avoir sorti de la rue, et qui l'héberge, avec sa mère. « Salim est aujourd'hui parfaitement capable de suivre une formation professionnelle», estime Imane, sa formatrice. « Notre objectif est qu'il soit capable de s'intégrer dans le monde du travail. »
Les autres participants ont tous fréquenté l'école durant leur enfance. Mais ils n'ont en rien gardé, à part quelques souvenirs parfois douloureux.
À 21 ans, Manal éprouve de grandes difficultés à écrire et déchiffrer les lettres. La jeune Libanaise a pourtant été scolarisée jusqu'à l'âge de 10 ans. « J'ai tout oublié. Ma mère m'a retirée de l'école, car elle avait besoin de mon aide. Nous faisions des ménages », dit-elle, à voix basse. Voilà cinq ans qu'elle fréquente le centre du Mouvement social, mais de manière irrégulière. « Je travaille toute la journée dans un café. Le soir, je suis tellement fatiguée, que je n'ai plus la force de venir au cours. » Manal estime avoir fait beaucoup de progrès, mais pas assez pour pouvoir prendre les commandes de la clientèle. « C'est le chef qui s'en occupe à ma place », avoue-t-elle. Encouragée par sa formatrice, elle espère y arriver bientôt, car elle se sent exploitée par son employeur qui lui paie un salaire modique de 400000 LL par mois plus 50 dollars de déplacements. « Lorsqu'une personne n'est pas instruite, son employeur abuse de la situation », déplore-t-elle.

Développer la personnalité de l'enfant
Paul n'a que 16 ans. Il ne se rappelle pas vraiment pourquoi il ne sait ni lire ni écrire. Mais de l'école, il ne garde qu'un horrible souvenir. « La maîtresse me tirait les oreilles, elle enfonçait ses ongles dans ma peau. » Après une formation d'aide-cuisinier, et pas encore prêt à se lancer dans le monde professionnel, ce jeune Libanais timide et introverti a ressenti le besoin de réapprendre à lire. Ce n'est donc que récemment qu'il a rejoint la session d'alphabétisation, organisée par le Mouvement social. Iman Ajami précise que dans le cadre de la session d'alphabétisation, elle aide Paul et les autres participants à développer leur personnalité, à avoir confiance en eux-mêmes.
Elles ont honte de leur illettrisme. Leur famille ne les encourage pas à s'instruire, bien au contraire. Mezkine et Takochine, deux sœurs syriennes kurdes de 22 et 21 ans, habitant Bourj Hammoud avec leur famille, doivent rentrer tôt chez elles ce soir, sur ordre de leur mère. Malgré leur ferme volonté de lire et écrire correctement, les deux jeunes femmes n'évoluent que très lentement, car elles se heurtent au refus familial. « Notre mère nous empêche souvent de venir », confie Mezkine. Brodeuse de perles, comme sa mère, la jeune femme doit donner la priorité à son travail. « Mais depuis que je sais lire et écrire, je suis capable de compter les perles et de suivre un schéma », constate-t-elle, avec satisfaction. Quant à sa jeune sœur, Takochine, confinée à la maison pour s'acquitter des tâches ménagères, elle tente à grand-peine de sortir de sa condition en s'instruisant. « Je voudrais tant apprendre le français », dit-elle.
« C'est en recrutant des enfants déscolarisés pour des clubs préprofessionnels que le Mouvement social a réalisé la nécessité de mettre en place des sessions d'alphabétisation », explique Gisèle Achkar, responsable du département d'information et de communication auprès du mouvement. Elle ajoute qu'une « approche pédagogique adaptée » permet l'apprentissage de la lecture, de l'écriture, et du calcul. De même, l'association assure le suivi de ces enfants qui travaillent, mais qui sont exposés à des abus de la part de leur employeur. Seule ombre au tableau, l'absentéisme très fréquent des participants.
Dans une petite salle de classe du siège du Mouvement social à Bourj Hammoud, une formatrice, Iman Ajami, demande à six jeunes de 16 à 22 ans, dont deux Libanais, de raconter en quelques lignes leurs dernières vacances. L'exercice est ardu pour certains, plus aisé pour d'autres. L'écriture est encore hésitante, même pour les plus doués. Parmi ces jeunes analphabètes du...