Il y a peu, le Liban a failli refaire surface devant le Conseil de sécurité, non pas comme acteur au sein de cet organe, mais comme situation conflictuelle. Or, il convient de se féliciter du rôle constructif que l'ambassadeur du Liban à l'ONU, M. Nawwaf Salam, avec les membres de la délégation, a joué concernant la question du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) dont le Conseil s'était saisi. En effet, le Liban était un sujet de discussion et d'échanges, voire de soutien, sans qu'il y ait une déclaration ou une résolution dudit Conseil qui aurait pu mentionner ou insinuer tel ou tel manquement par les autorités libanaises par rapport à l'incident du 27 octobre 2010. Encore une fois, la diplomatie libanaise intelligente a réussi à sauvegarder l'intérêt national sans porter atteinte à l'ordre juridique international. Le soutien de la France à cet effet était considérable.
Je souhaiterais très brièvement analyser le bien-fondé juridique et politique de la récente action diplomatique libanaise au sein du Conseil de sécurité par rapport à la question du Tribunal spécial pour le Liban.
1) Contrairement aux autres tribunaux pénaux internationaux ad hoc, il n'y a pas de rapport direct entre le TSL et le Conseil de sécurité. Il ne s'agit pas d'un organe subsidiaire. Il s'agit d'un organe juridictionnel autonome dont les rapports directs en général sont avec le secrétariat général des Nations unies et le gouvernement libanais qui sont les deux parties à l'accord ayant mis en place le tribunal. C'est pourquoi l'exposé des faits a été présenté le 5 novembre par la sous-secrétaire générale pour les affaires juridiques, Mme Patricia O'Brien, et non pas à travers une saisine directe de la part du président du TSL.
2) L'ambassadeur de France à l'ONU, M. Gérard Araud, a déclaré à ce propos : « Nous allons dire au tribunal que s'il considère nécessaire ou approprié de donner plus d'informations au Conseil, c'est à lui de nous les envoyer » (L'Orient-Le Jour du 6 novembre 2010). Donc, on assiste à une reconnaissance de l'autonomie et d'un pouvoir d'appréciation en faveur du TSL pour saisir ou non le Conseil. Or, les premières réactions ayant eu lieu à la suite de l'incident du 27 octobre sont venues des deux parties directement concernées par le TSL, à savoir le secrétaire général de l'ONU et les autorités libanaises, voulant enquêter sur cet incident.
3) Bien que ce tribunal ait vu le jour sur demande du gouvernement libanais et sur recommandation du Conseil de sécurité dans sa résolution 1644 en 2005 au paragraphe 6, il n'en demeure pas moins que son fonctionnement, les rapports de son président et son financement ne relèvent point de la compétence directe et immédiate dudit Conseil. Comme l'a rappelé Mme O'Brien le 5 novembre 2010, le Conseil de sécurité, en adoptant la résolution 1757, est intervenu dans le processus de création de ce tribunal à une étape précise, à savoir l'entrée en vigueur de l'accord entre l'ONU et le Liban, et en se substituant ainsi, sur la base du chapitre VII de la Charte, aux institutions libanaises (le quotidien an-Nahar du 6 novembre 2010). Dès lors, le Conseil de sécurité pourrait intervenir dans le cas du TSL, non pas d'une façon normative (puisqu'il n'est pas son institution référence), mais à titre subsidiaire, c'est-à-dire en cas de problème grave mettant en péril le fonctionnement du tribunal. La diplomatie libanaise a réussi à faire comprendre au Conseil de sécurité qu'il n'y a pas de gravité dans l'incident du 27 octobre 2010 et que cela n'aura pas de conséquences sur le comportement de l'État libanais en faveur de ses engagements internationaux.
Quelles leçons peut-on tirer de ces événements ?
1) Le Liban a un engagement international concernant la coopération avec le TSL en vertu de l'accord qui le lie au secrétariat général et qui est entré en vigueur en 2007 à travers une résolution du Conseil de sécurité. Le comportement du Liban depuis deux ans face à cette juridiction témoigne de son acquiescement à cette obligation d'ordre juridique. Mais le Liban peut demander certaines modifications de l'accord et du statut du TSL comme il est prévu aux articles 18 et 20 de cet accord. Cela requiert sûrement l'acceptation de l'autre partie à travers la négociation. En outre, les autorités libanaises peuvent transmettre leurs remarques au tribunal, et le cas échéant leur contestation en cas d'impertinence dans le comportement de personnes travaillant pour le compte du tribunal. La négociation et l'enquête devront élucider les faits à l'origine de tel ou tel différend.
2) Désormais et à la lumière de la session du Conseil de sécurité en date du 5 novembre 2010, il n'est plus pertinent de la part des autorités libanaises d'adopter des mesures ou de prendre une position officielle allant à l'encontre des engagements internationaux du Liban, pouvant mettre en péril le fonctionnement du TSL. Par exemple, le fait pour le Liban de ne pas pouvoir s'acquitter de sa part de contribution financière - et ce pour des motifs raisonnables - (paragraphe 1 du dispositif de la résolution 1757 et article 5 de l'accord), ne constitue pas en soi un manquement à ses obligations. Mais le fait de refuser de s'acquitter de cette charge dans un contexte de refus de collaborer avec le TSL pourra désormais entraîner un examen par le Conseil de sécurité de cette question et éventuellement une condamnation à l'encontre du Liban. D'où l'importance d'une diplomatie intelligente pouvant concilier les exigences qui découlent des obligations internationales et la sauvegarde des intérêts nationaux.
3) Le TSL a pour mission de juger les personnes responsables de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. Les règles procédurales permettent à cette juridiction d'aller de l'avant dans cette mission de justice, qui est limitée dans la durée, même si les accusés, ayant pris la fuite, ne sont pas arrêtés. C'est-à-dire que l'on peut procéder par le jugement par défaut, ce qui est unique par rapport aux autres tribunaux pénaux internationaux contemporains. Cela dit, force est de constater que les parties à l'accord étaient d'emblée conscientes de la complexité des arrestations des accusés en fuite. Donc, les parties n'ont pas voulu compromettre le fonctionnement du TSL à cause des difficultés conjoncturelles pouvant avoir lieu. Les autorités libanaises devront être conscientes qu'en droit d'un côté et en collaboration avec le TSL de l'autre, il existe des voies qui permettent de préserver l'unité nationale sans manquer aux engagements internationaux du Liban...
En un mot, une action politique responsable et pertinente libanaise constituera la garantie d'une diplomatie intelligente qui prendra la relève au sein de la communauté internationale afin de défendre les intérêts nationaux et internationaux.
Professeur de droit international
Vice-recteur aux affaires académiques
et aux relations internationales - Université antonine