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Un « islam néerlandais » pour enraciner une communauté - Interview

Un « islam néerlandais » pour enraciner une communauté

Pour lutter contre la polarisation de plus en plus visible dans les sociétés européennes autour de la question de l'islam et des communautés immigrées, il faut « investir dans la citoyenneté et dans le sentiment d'appartenance », estime Mohammad Cheppih, manager d'une société de consultants en résolution des problèmes et imam néerlandais.

Mohammad Cheppih, un Néerlandais de 33 ans, est manager d’une société de consultants spécialisée dans la résolution des problèmes et occasionnellement imam. Il est également à l’origine de l’ouverture de la mosquée Polder.

Le 19 septembre dernier, les Démocrates de Suède (SD), parti d'extrême droite, raflaient 5,7 % des suffrages, gagnaient leur ticket d'entrée au Parlement et venaient, par là même, confirmer la montée en puissance de l'extrême droite en Europe. Une tendance déjà claire lors des élections européennes de juin 2009. Élections au cours desquelles les partis d'extrême droite de sept États membres avaient réalisé des scores à deux chiffres. La percée des SD faisait également suite aux succès électoraux du Parti pour la liberté (PVV) du Néerlandais Geert Wilders et du parti Jobbik, en Hongrie.
Si la crise économique que traverse l'Europe peut expliquer, en partie, la poussée de l'extrême droite européenne, le fait est que dans la plupart des cas, les partis d'extrême droite européens ont fait de l'islam et des immigrants leurs cibles privilégiées. Aujourd'hui, l'Union européenne compte 20 millions de musulmans alors que l'islam est devenu la deuxième religion d'Europe.
« On constate que les partis ouvertement néofascistes sont marginaux. Ceux qui réussissent ont modernisé leurs méthodes et leur discours. Ils ont en commun la détestation du multiculturalisme, de l'immigration extraeuropéenne en général et de l'islam en particulier (de l'islam, pas de l'islamisme) », soulignait, il y a quelques semaines, Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite européenne, dans nos colonnes. Une analyse qu'illustrent les propos tenus par Jimmie Aakesson, 31 ans, leader des Démocrates de Suède au moment des législatives : « Bien sûr, tous les immigrants ne sont pas des criminels, mais il y a une connexion. »
Au niveau de l'obsession anti-immigrés, la Suisse s'est également fait remarquer avec une série de votations ciblant notamment la communauté musulmane. En novembre 2009, les Suisses avaient ainsi voté à une large majorité (57 %) l'interdiction de la construction des minarets. Une votation organisée après le dépôt d'une proposition par l'UDC (Union démocratique du centre, une formation populiste de droite).
L'un des grandes figures de l'islamophobie en Europe reste néanmoins le Néerlandais Geert Wilders, actuellement en procès pour incitation à la haine raciale et à la discrimination envers les musulmans. Geert Wilders dont le parti s'est élevé, avec 15,5 % des voix lors des dernières législatives, au rang de troisième force politique du pays et d'acteur incontournable dans la formation du nouveau gouvernement.

Investir dans la nouvelle génération de musulmans
« Ces dernières années, s'est développée une autre manière de voir et de parler de l'islam à travers l'Europe. Plus l'islam devient important, plus il est perçu comme une menace », note Mohammad Cheppih, un Néerlandais de 33 ans, manager d'une société de consultants spécialisée dans la résolution des problèmes et occasionnellement imam. Si l'image renvoyée par certains pays musulmans, si les attentats du 11 septembre 2001 peuvent contribuer à cette image, la principale raison pour laquelle l'islam « n'est pas un grand succès actuellement en Europe », estime Mohammad Cheppih, tient au fait « qu'il n'est pas enraciné dans la société ». Un manque d'enracinement dont sont responsables, selon Mohammad Cheppih, « la société qui reçoit (France, Allemagne, Espagne, Pays-Bas...), et la communauté musulmane, ses infrastructures et ses dirigeants ».
Un problème qui relève d'une question identitaire et non plus d'intégration, et dont M. Cheppih estime qu'il peut être réglé en « investissant dans la citoyenneté, dans le sentiment d'appartenance », quand Wilders et ses semblables prônent le rejet pur et simple de l'islam. « Nous essayons de dire que les musulmans font partie de la société, qu'ils devraient en être des acteurs à part entière », ajoute-t-il.
Pour ce faire, Mohammad Cheppih se fait l'apôtre d'un islam néerlandais. « Je suis, par exemple, opposé au fait que dans 99 % des mosquées aux Pays-Bas, le prêche se fasse dans la langue d'origine, arabe, turc, ourdou etc. Je comprends qu'il faille un peu de temps pour la transition. Mais aujourd'hui, la majorité des mosquées devraient investir dans la nouvelle génération de musulmans et faire en sorte que les prêches soient en hollandais », estime Cheppih, qui souligne également qu'aujourd'hui, 125 mosquées aux Pays-Bas sont gérées par l'organisation Dyanet. Une organisation rattachée au ministère des Affaires islamiques turc. « De facto, le gouvernement turc dirige 125 mosquées en Hollande ! » s'insurge-t-il. « Comment un jeune Hollandais peut-il attendre d'un érudit ou d'un religieux de Djeddah, de Riyad ou de Damas, des réponses aux problèmes qu'il rencontre à Amsterdam ou à Rotterdam ? poursuit Cheppih dont les parents sont d'origine marocaine. Aujourd'hui, la majorité des musulmans hollandais ont encore un pied en dehors des Pays-Bas. Même les jeunes. Et pas parce qu'ils le veulent, mais parce qu'ils n'ont pas le choix. »

Faire la différence entre l'islam et la culture « de la maison »
Pour Mohammad Cheppih, qui a grandi aux Pays-Bas, ce qui handicape la communauté musulmane européenne est « la culture de la maison, du nord du Maroc, du sud-est de la Turquie ». « Trop de musulmans pensent qu'une grande part de leur identité est islamique, alors qu'elle ne l'est pas. Dans mon sermon de le fête du Fitr, j'ai expliqué que selon mon expérience, 70 % des actions des musulmans ne sont pas islamiques. Au début, les gens étaient fâchés contre moi. Puis, le message a été accepté. » Pour étayer son propos, le jeune imam/consultant a donné l'exemple du ramadan. « Trop de musulmans hollandais prétendent être malades pour rester à la maison durant le mois du ramadan. C'est inacceptable. Comment peut-on faire ramadan, prier Dieu, et en même temps mentir à son employeur pour rester à la maison ? Ce n'est pas l'islam ça. Si on ne peut pas jeûner, on ne jeûne pas. Point. »
Parce que les mots ne suffisent pas, Mohammad Cheppih a traduit en actes son engagement pour un islam néerlandais. Cet engagement s'est traduit par l'ouverture, en septembre 2008, à Amsterdam, de la mosquée Polder, projet dont Mohammad Cheppih est l'architecte. Cinq années de travail ont été nécessaires à l'ouverture de cette mosquée qui joue à fond la carte hollandaise. Hollandaise dans l'architecture, la mosquée étant installée dans un immeuble banal de la capitale. Hollandaise dans le nom, un Polder étant une étendue artificielle de terre dont le niveau est inférieur à celui de la mer, une caractéristique de la géographie hollandaise. La mosquée Polder est également financée en Hollande par des fonds privés, ceux de Cheppih et de ses amis. « Nous avions la possibilité d'être financés par l'étranger. Mais nous ne voulions pas. Pas parce que nous avions peur d'être influencés, mais parce que nous savions qu'à partir du moment où nous étions soutenus par l'étranger, nous perdions notre crédibilité », souligne Cheppih. Hollandais, aussi et surtout, au plan humain. « Les six imams de la mosquée Polder sont hollandais, d'origines diverses, mais ayant tous grandi en Hollande. Ils parlent tous le hollandais et ont reçu une éducation religieuse. À côté de leur statut d'imam, ils ont tous une activité professionnelle, pharmacien, instituteur, consultant... Ce sont des gens qui sont impliqués dans la société hollandaise », ajoute Cheppih, qui officie occasionnellement lors de la prière du vendredi.
À la mosquée Polder, les hommes et les femmes prient dans la même pièce, même s'ils sont séparés. La mosquée est ouverte aux non-musulmans et l'un des administrateurs de la mosquée est ... une administratrice. Qui, de surcroît, prêche les dimanches. Dans la mosquée sont également organisés toutes sortes de débats sur tous les sujets. « Nous avons notamment organisé un débat sur la diversité sexuelle. Y participaient des représentants d'organisations homosexuelles et des religieux », indique Mohammad Cheppih.

Syncrétisme
Une approche qui ne plaît pas à tout le monde au sein de la communauté musulmane. « Avant même l'ouverture, un groupe musulman minoritaire nous a attaqués. Aujourd'hui, il nous critique encore, mais de loin. Notre chance, c'est que nous prêchons l'islam dominant. Et non les tendances minoritaires. Nous nous concentrons sur ce qui rassemble les musulmans, et non sur les points de désaccord. Ici, on ne propage pas une école en particulier ou un religieux en particulier », explique Mohammad Cheppih, qui précise néanmoins accepter le débat avec toutes les écoles de pensée musulmane, si radicales soient-elles.
Le syncrétisme de la mosquée Polder est à l'image de l'apprentissage religieux de Cheppih qui a commencé alors qu'il n'avait que 3 ans. Durant son adolescence, il a suivi des cours d'été à Londres. Puis à 18 ans, il est parti étudier en Arabie saoudite, pendant 4 ans. « Les étudiants représentaient 179 nationalités. J'y ai vu toutes sortes de musulmans. Cela m'a vraiment ouvert les yeux. Ma chance est d'avoir été élevé en Hollande et d'avoir voyagé au Moyen-Orient, et de constater que ni l'Europe ni le Moyen-Orient ne me donnaient mon identité de musulman », explique Cheppih.
Faut-il y voir un signe des temps, aujourd'hui la mosquée Polder est en bout de course. Les caisses sont vides et la mosquée devrait fermer à la fin de l'année. Le concept de la mosquée Polder doit être repris par une mosquée voisine financée par des individus qataris. Mohammad Cheppih assure néanmoins que le concept de la mosquée Polder sera préservé, « notamment parce que l'imam de cette mosquée vient de la mosquée Polder ».
Le jeune imam affirme se consoler de la fermeture de la mosquée Polder en raison du succès qu'elle a rencontré durant ses deux années et demie de vie. Ce qu'il regrette, néanmoins, est le fait qu'au-delà du problème financier, la mosquée ait été tuée par un manque d'engagement de la société : « Tout le monde voulait cette mosquée, le maire, le vice-Premier ministre, les jeunes musulmans. Mais quand nous disons à tous ces gens que s'ils veulent que le concept perdure, ils vont devoir nous donner de l'argent, des ressources, de leur temps même, alors là, il n'y a plus personne. »
Et Mohammad Cheppih de redouter, alors que s'installe un climat anti-islam, d'avoir de plus en plus souvent à prêcher dans le désert.
Le 19 septembre dernier, les Démocrates de Suède (SD), parti d'extrême droite, raflaient 5,7 % des suffrages, gagnaient leur ticket d'entrée au Parlement et venaient, par là même, confirmer la montée en puissance de l'extrême droite en Europe. Une tendance déjà claire lors des élections européennes de juin 2009....