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Liban - Interview

Chawki Azouri à l’OLJ : Contrairement au discours ambiant, la vérité conjurera la violence au lieu de lui donner libre cours

La vérité sur l'assassinat de Rafic Hariri et ses compagnons, qui sera rendue publique par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) à travers l'acte d'accusation, mettra fin à la violence dans la mesure où elle identifiera enfin ceux qui sont incriminés, affirme le psychanalyste Chawki Azouri, démystifiant ainsi le discours du Hezbollah selon lequel le tribunal sera le détonateur de l'Apocalypse. Au contraire, analyse-t-il, c'est la renonciation sous la contrainte à cette revendication légitime et légale qui pourrait ouvrir la voie à des manifestations de violence de la part de ceux qui, jusqu'à présent, sont restés pacifiques.

Chawki Azouri : La vérité permettra au Hezb de se « libaniser ».

À l'aide de la psychanalyse, Chawki Azouri tente ces jours-ci de démonter et d'expliquer le ton particulièrement hostile, et même parfois menaçant, adopté par le Hezbollah vis-à-vis du Tribunal spécial pour le Liban - par-delà les paramètres purement politiques et géopolitiques, cela s'entend. D'autant qu'il a du mal à comprendre ce rejet brutal de la vérité exprimé par certaines parties, ainsi que la théorie selon laquelle cette dernière conduira nécessairement à la violence. Tout cela, Chawki Azouri n'y croit pas. « Il ne faut pas craindre la vérité. La publication de l'acte d'accusation permettra immédiatement aux familles des victimes de pardonner. Souvenons-nous de ce que disait l'enquêteur Peter Fitzgerald dans son rapport, en 2005 :
" Les Libanais n'aspirent qu'à la vérité, qui est un moyen pour eux de pleurer leurs proches." La vérité ne sera donc pas source de toutes les catastrophes, contrairement à ce qui nous est annoncé. Elle permettra de donner un nom aux assassins, de les identifier aux yeux des victimes et des familles des victimes. Elle permettra donc à ces derniers de pleurer leurs morts et de pardonner aussitôt », dit-il.

Mais qu'en est-il de la logique du Hezb, selon laquelle seule la renonciation au TSL peut garantir la paix civile ?
« Renoncer à la vérité non seulement ne garantira pas la paix civile, mais créera un désir de vengeance chez ceux qui, jusqu'à présent, ont été plutôt paisibles, c'est-à-dire, littéralement, les proches des victimes, mais aussi l'ensemble de la société libanaise. Connaître la vérité permet au contraire de pardonner. L'exemple typique récent, c'est le cas de l'Afrique du Sud et des comités de vérité, justice et réconciliation. Les assassins se sont présentés devant les parents de ceux qu'ils ont torturés et assassinés. Ils se sont reconnus coupables et ont demandé pardon. Le plus grand signe de violence recensé dans tout ce processus a été le crachat d'une mère sur le visage de l'assassin de son fils. Si tel est le danger réel auquel nous sommes confrontés face à l'émergence de la vérité, pourquoi alors entretenir toute la société dans ce climat de terreur ? S'il venait à s'avérer, à travers l'acte d'accusation, que le Hezbollah pourrait avoir participé, à travers certains de ses membres, à l'assassinat de Rafic Hariri, où est le problème ? Si ces individus incriminés prennent l'initiative de demander pardon, de reconnaître leur participation, ils seront immédiatement pardonnés par l'ensemble des Libanais. Renoncer à la vérité, c'est donner au contraire un désir de vengeance à tous ceux qui, depuis le 16 février 2005, sont descendus dans la rue pour réclamer que cette dernière soit faite. L'exigence de vérité est liée à un phénomène d'acceptation de l'autre et de réconciliation avec lui qui s'est opéré à la place des Martyrs le jour des funérailles populaires de Rafic Hariri, dont l'assassinat a cristallisé le rejet de trente ans d'assassinats, de violence et de guerres. D'autant qu'il incarnait, pour beaucoup, l'image d'un bâtisseur. Son assassinat a réveillé le souvenir de tous les assassinats depuis Kamal Joumblatt. »

En d'autres termes, la renonciation à la vérité serait le cataclysme qui déclencherait la violence ?
« Tout à fait. En rejetant la vérité et le tribunal international comme instrument de discorde, le Hezbollah se positionne en bloc monolithique, dans une logique totalitaire. Je ne vois pas pourquoi le Hezbollah ne pourrait pas accepter l'idée que des éléments du parti puissent être incriminés - en attendant, bien évidemment, que leur culpabilité soit prouvée ou pas, et ce sera à la justice de le prouver, et il a, dans ce cadre, évidemment toute la latitude et les moyens de se défendre. »

Comment expliquer les accusations de trahison de Nawwaf Moussawi ?
« La logique du député Moussawi est symptomatique de la crise. C'est une logique d'appareil, pas une logique humanitaire ou communautaire. Il devrait réfléchir à ce qu'ont fait les Israéliens pendant la guerre de juillet 2006, c'est-à-dire la pire transgression d'un des trois tabous fondateurs de l'humanité, l'enterrement des morts, en bombardant des convois funéraires. Partant, il cesserait de réagir en logique d'appareil, et agirait plutôt en parti formé d'individus. Ce qu'il dit témoigne de l'identification massive de chacun des membres du Hezb au bloc monolithique qu'il constitue, sous la forme d'un appareil totalitaire. Si vraiment il y a des membres du Hezb qui risquent d'être nommés dans l'acte d'accusation, et si le Hezb accepte que ces personnes mises en accusation soient interrogées, il démontrerait alors qu'il pourrait être un parti démocratique et non plus un bloc monolithique. Quand M. Moussawi menace tous les Libanais, c'est qu'il considère tous les Libanais comme un ensemble opposé à l'ensemble du Hezbollah. C'est comme s'il s'adressait, en fait, à l'humanité entière. Ce faisant, il oublie ce phénomène fondamental qu'est le deuil, qui fait que quand une mère perd un enfant, ce sont toutes les mères du monde qui pleurent cet enfant. C'est un signe d'humanité. Ici, en face, nous avons affaire à une logique de parti totalitaire qui ne veut pas voir l'importance de la vérité sur l'assassinat pour pouvoir faire le deuil. Or cette vérité est fondamentale, surtout pour un pays comme le Liban qui vit, depuis 35 ans, dans la guerre civile et ses effets. Si nous n'avons pas pu, jusqu'à présent, sortir des effets de la guerre de 1975, c'est parce qu'il n'y a pas eu une reconnaissance de culpabilité par les assassins et les milices de l'époque, ce qui a empêché les Libanais de faire leur deuil. »

Mais qu'est-ce qui prouve que les haines seront effectivement enterrées avec la vérité ?
« Les patients traités individuellement témoignent de cela. Derrière leurs maladies, leurs problèmes, derrière chaque conflit, il y a un refus d'une séparation, d'un deuil ou d'une perte. À partir du moment où le sujet accepte de reconnaître qu'il a perdu quelque chose et que cette partie de lui-même va être enterrée sans qu'il ne cherche à la récupérer, il s'humanise et n'en veut plus à l'autre. Une pacification s'opère alors sur le plan individuel. Il y a, sur un autre plan, la dimension sociale du deuil qui est fondamentale pour l'endeuillé, comme en témoignent les rites. Le Hezbollah n'échappe pas à ces rites, comme l'enterrement. Ce sont des traditions populaires transmises de génération en génération. À partir du moment où la vérité est connue, et que les Libanais vont pouvoir enfin faire leur deuil et pleurer leurs morts, même le « frère ennemi » va y céder. On ne peut pas attaquer celui qui pleure ses morts, et c'est lui qui prend alors l'initiative de pardonner. »

Mais qu'est-ce qui peut rassurer toute partie incriminée, le Hezbollah ou une autre, et lui prouver que la réaction à son égard ne sera pas violente, qu'il ne sera pas désormais la cible de la violence ?
« Sa propre expérience, en tant que parti composé d'individus et d'êtres humains, qui ont chacun perdu des proches, ainsi que l'expérience de l'humanité toute entière. L'instauration du totem, de l'exogamie et de l'enterrement des morts indique que l'humanité a commencé avec l'enterrement des morts, qui va humaniser les membres de la tribu. L'humanisation, c'est l'acceptation de l'autre dans sa différence, et donc les débuts de la communauté humaine, qui a renoncé à l'inceste, au parricide et qui, pour compléter son renoncement au parricide, a instauré l'enterrement des morts pour que les fils se souviennent du meurtre du père et ne reproduisent plus cet acte. Le processus de vérité ne peut, au final, que déboucher, par conséquent, sur la dilution de la açabiya du Hezbollah et son intégration à la société libanaise. Ce refus actuel de la vérité, au sens le plus fort du terme, pourrait être interprété ici comme une résistance à cette intégration à la société, libanaise, pour des raisons politiques diverses. L'acte d'accusation va donc entraîner inéluctablement la « libanisation » du Hezbollah. Il cherche à préserver « sa vérité » de bloc monolithique face à la vérité, qui le « libanisera » très certainement. »
À l'aide de la psychanalyse, Chawki Azouri tente ces jours-ci de démonter et d'expliquer le ton particulièrement hostile, et même parfois menaçant, adopté par le Hezbollah vis-à-vis du Tribunal spécial pour le Liban - par-delà les paramètres purement politiques et géopolitiques, cela s'entend. D'autant qu'il a...
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