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Nos Lecteurs ont la Parole

Dans les coulisses d’Ibiza

Par Jean-Georges PRINCE
Messieurs-dames, entreprenons ensemble un voyage au pays des merveilles. Pays qui prend des allures de parc Disneyland pour adultes. Départ, un Liban d'après-guerres, où les repères sont bafoués, enfouis sous trop de ruines, un Liban en reconstruction, un Liban qui espère. Arrivée, le pays où l'Alice d'aujourd'hui ressemble plus à une call-girl qu'à une princesse potentielle. Dans le Liban de nos jours, Alice a troqué sa robe bleue pour un microshort couleur or, ses couettes pour une tignasse blond péroxydé, ses nœuds pour des chaînes bling bling. Le lapin qui tenait à la main une montre à chaînette porte aujourd'hui une Rolex au poignet. Le fou au chapeau est devenu bel homme ; il s'adonne à des séances d'UV quotidiennes, se muscle comme pour aller à la guerre et conduit non plus un carrosse, mais une berline dont le seul prix rendrait fou.
Notre pays des merveilles est un trop-plein de n'importe quoi. Les repères sont perdus sous trop de fond de teint. Les valeurs enfouies sous le peu de tissus d'un décolleté. Laissez tomber l'heure du thé vers les coups de 5 heures. Dans notre pays des merveilles, il est l'heure du vin rosé à n'importe quelle heure. Les plages, qui autrefois accueillaient des familles et où les enfants jouaient à la palette, sont remplacées par des plages interdites aux moins de 18 ans. Non pas que nager soit un sport qui requiert l'âge légal. Non, car il ne s'agit plus de nager. Les plages d'aujourd'hui sont en quelque sorte des boîtes de nuit... mais de jour. Musique à un volume assourdissant, bouteilles de rosé flottant dans les piscines, bikinis qui ne cachent plus rien du tout et tatouages sur muscles saillants. Aujourd'hui à la plage, on n'a plus besoin de savoir nager pour aller dans l'eau. Les piscines font moins d'un mètre de profondeur et les longueurs ne sont plus requises. On flirte, on danse, on emballe les styles et l'on s'emballe. Blanche-Neige est ici un homme et les sept nains des blondes siliconées. On ne joue plus à construire des châteaux de sable, mais à construire des rêves de quelques heures. Car on peut être n'importe qui, le temps de quelques verres. De toute façon, la nuit tombée, plus personne ne se souviendra de rien. Le taux d'alcoolémie général aura dépassé celui d'une usine de vodka russe.
Laissez tomber les dîners aux chandelles ou les pique-niques nocturnes de la version de Disney. La version libanaise du pays des merveilles vous offre de bien plus intéressantes perspectives. Car le Libanais aime vivre quand il fait noir. C'est en effet plus pratique pour cacher ses défauts. Alors, sortons boire un verre si ça vous chante. Destination ? Voyons, le dernier endroit à la mode, haut lieu du tourisme mondial, roof top le plus célèbre de la planète, boîte convoitée par tous les touristes. Arrivé à la porte, vous devrez faire face à une armée de videurs aux mines peu sympathiques je l'avoue, qui, après vous avoir scanné de la tête aux pieds, vous demanderont le nom auquel est réservée votre table depuis au moins neuf mois. Pas de nom, pas d'entrée. Strict, je vous dis. Un ascenseur vous mènera trois étages plus haut vers la scène de tous les vices. Ambiance survoltée ? Que nenni ! Ambiance bon enfant, où tout le monde est là, un verre à la main, une cigarette dans l'autre, à se regarder et surtout à être regardé. Car oui, messieurs-dames, on ne vient pas là pour danser ou s'amuser, mais pour être vu. Ce privilège ne vous coûtera pas moins d'une centaine de billets verts si vous avez de la chance. Les moins chanceux, eux, devront payer plusieurs centaines de billets vu l'emplacement de leur table, mais ils seront mieux vus de tous puisque leur bouteille, qui se doit d'être la plus chère, leur sera remise par une horde de serveurs se déplaçant en convoi, tenant en main ces bougies-feux d'artifice qui, autrefois, n'ornaient que les gâteaux d'anniversaire des petits innocents.
Les Minnies Mouses ont toutes la même poitrine, cachée (c'est un euphémisme) sous les mêmes hauts, le même déhanché plus qu'érotique. Les Mickeys, eux, sont bien imbibés et caressent du bout des doigts les grandes oreilles des Minnies les plus gentilles. Vous étoufferez toute la nuit et pour, couronner le tout, le DJ propulsera des jets de flamme vers le ciel plusieurs fois dans la nuit pour accompagner le beat des chansons qu'il passe. Vous pourrez vous rafraîchir aux toilettes et même vous affaler sur un des nombreux canapés qui trônent devant l'entrée des WC (vous vous demanderez sûrement à quoi sert cette île de coussins et je ne saurais vous répondre. Je ne sais pas). Au bout de plusieurs heures et seulement une fois que vous êtes sûr d'avoir vu tout le monde et que tout le monde a su que vous étiez là, vous pourrez prendre l'ascenseur dans le sens inverse, uniquement pour attendre une bonne trentaine de minutes votre voiture puisque vous n'aurez donné que les 5 000 LL habituels de pourboire au valet qui vous la ramènera. Si vous aviez su, vous auriez sûrement, vous aussi, aligné les dollars pour ne pas avoir à poireauter 30 minutes entre les saoulards de fin de soirée. Mais vous ne saviez pas... Rentrez vous coucher, messieurs-dames, après cette soirée et laissez-vous emporter par Morphée. Offrez-lui un bon pourboire afin qu'elle vous transporte au pays des merveilles originel. Car ce soir, vous aurez été les témoins d'un pays où les seules merveilles encore présentes sont celles de nos rêves et de notre imagination.
Si vous y croisez Cendrillon, dites-lui que l'heure de son couvre-feu a été changée : elle pourra rentrer à 5 heures. Peut importe le nombre de vêtements qu'elle aura perdus tant que sa citrouille ressemblera à un coupé allemand.
Messieurs-dames, entreprenons ensemble un voyage au pays des merveilles. Pays qui prend des allures de parc Disneyland pour adultes. Départ, un Liban d'après-guerres, où les repères sont bafoués, enfouis sous trop de ruines, un Liban en reconstruction, un Liban qui espère. Arrivée, le pays où l'Alice d'aujourd'hui ressemble plus...

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