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Liban - Société

Un foyer de l’espoir à Sin el-Fil

Depuis les années 1960, l'association Dar el-Amal vient en aide aux femmes victimes de la prostitution.

La porte est ouverte à toute les femmes. Photo Michel Sayegh      

C'est en 1969 que Mozart Chahine, accompagné d'un groupe d'assistantes sociales et de sœurs franciscaines, décide de fonder l'association Dar el-Amal. Ils créent alors un foyer dans un local de Zeitouneh, à Beyrouth, qui permet d'accueillir des femmes victimes de la prostitution pendant trois semaines au maximum, jour et nuit. Le temps d'essayer de trouver une autre solution avec elles : une formation pour un métier, un logement. Ils veulent d'abord faire de la prévention.
Pas facile d'expliquer à ses amis, à son entourage ou à de possibles financiers qu'il veut travailler à aider des prostitués. On a du mal à comprendre pourquoi il veut s'investir dans cette cause perdue. Il constate que la branche de l'association qu'ils ont montée il y a quelques années pour venir en aide à des enfants en difficulté est beaucoup plus populaire. Aujourd'hui, il constate que la cause de la prostitution est beaucoup mieux comprise. Depuis 2001, il a cédé la présidence de l'association à Joseph Donato, celui qui, dans les années 40, avait fait retirer de la carte d'identité des femmes qui travaillaient de la prostitution la mention de leur activité. Elles ont pu dès lors se déplacer hors du quartier de Saïfi qui leur était réservé.
Pendant la guerre, l'association a dû changer plusieurs fois de locaux. Ses responsables finissent par se retrouver à Sin el-Fil où est installé un accueil de jour. Depuis ce temps, ils rêvent de pouvoir réinstaller un accueil de nuit, seul à même d'assurer la sécurité de bénéficiaires parfois sans ressources, poursuivies par des proxénètes qui ne reculent devant rien pour les faire travailler. Le centre ferme en général vers 17h et « parfois, le proxénète attend une fille à la sortie », raconte Nouhad Boustany, assistance sociale au centre de Sin el-Fil depuis presque 15 ans. Ce centre de nuit sera bientôt réalisé car au moment où nous lui parlions, Mozart Chahine recevait la confirmation d'une promesse de vente pour un local. « Nous voulons leur donner l'occasion de sortir de leur milieu. »
Les résultats sont minces, mais Nouhad Boustany ne perd pas la foi. Et même si elles sont relativement peu à s'en sortir, pour elles elle continue à se battre, n'hésitant pas à rencontrer maris violents et parents absents. Derrière son bureau, la photo d'une jeune mariée qui, a 15 ans, écumait les bars. Un modèle que l'assistante sociale semble vouloir garder toujours en tête.
Au fur et à mesure, l'association s'est agrandie : constatant que parfois certaines des femmes dont ils s'occupaient finissaient en prison, ils décident d'intervenir dans les prisons pour femmes afin d'améliorer leurs conditions de vie. D'abord dans celle de Baabda, puis dans celles de Tripoli et de Zahlé. Ils entrent également en contact avec des familles de prostituées, souvent issues de milieux très difficiles. Ils montent alors, à Bourj Hammoud, un centre de prévention, qui offre notamment aux enfants de ces quartiers un soutien scolaire.
Dans le centre de Sin el-Fil, la porte est ouverte à toutes les femmes qui auraient besoin d'un peu d'aide : des papiers à faire remplir, une grossesse à préparer, mais pas toujours l'envie de quitter le milieu de la prostitution. Elles peuvent y passer la journée, préparer le petit déjeuner et le déjeuner, apprendre la couture. Les assistantes sociales les aident surtout à définir leur projet et à le concrétiser. Mais le pas est difficile à franchir : sorties de la prostitution, elles gagneront en un mois et à la sueur de leur front ce qu'elles pouvaient engranger en une soirée.
Sans diplôme, parfois même analphabètes, elles craignent de voir leur leur train de vie baisser.
Conscientes qu'elles ne touchent pas l'ensemble des femmes auxquelles elles souhaiteraient venir en aide, les membres de l'association ont créé une équipe mobile qui vient à leur rencontre la nuit. Parmi elles, d'anciennes prostituées qui savent comment leur parler, où les trouver.
Et parfois une simple conversation peut être d'un grand secours.

Rena et Sana, deux femmes sorties de la prostitution grâce à Dar el-Amal

Rena a 29 ans, mais avec son visage rond, ses longs cheveux cuivrés et son look coloré, on dirait qu'elle a gardé l'esprit de ses 14 ans, l'âge où elle a fui, avec ses trois sœurs, un père incestueux et violent pour s'installer avec elles dans une maison à Beyrouth. Encore naïves, à peine sorties de leur milieu, les quatre sœurs font de mauvaises rencontres et finissent dans la rue où elles travaillent comme prostituées sous la coupe de proxénètes.
Quand elle franchit pour la première fois le seuil de la « maison de l'espoir », elle n'a que 17 ou 18 ans. C'est Noël, et elle vient pour assister à la fête que l'équipe organise tous les ans. C'est une autre jeune femme connaissant bien l'association qui l'emmène avec elle. Cette amie n'a pas réussi, elle, à sortir de la prostitution. Rena revient plusieurs fois et puis, pendant quelques temps, disparaît ; les travailleuses sociales du centre n'ont plus aucune nouvelle.
Lorsqu'elle revient, elle est enceinte d'une petite fille. Elle est alors en couple avec un homme qui la fait « travailler ». Les assistantes sociales prennent soin d'elle, rencontrent l'homme qu'elle finit par épouser. Il décède peu de temps après dans un accident de voiture.
Aujourd'hui, Rena travaille au « kiosque » de l'association, dans le jardin public de Sin el-Fill. Elle vend de petits articles de consommation, des boissons et des confiseries. Une responsabilité que lui ont confiée les membres de l'équipe de l'association. Elle arbore sur son visage un sourire radieux ; elle rit beaucoup, même quand il faut évoquer les périodes les plus difficiles de sa vie. Une cicatrice sur sa lèvre supérieure rappelle pourtant qu'elle n'a pas eu l'enfance et l'adolescence qu'elle méritait. Les manches de son tee-shirt bleu laissent voir de gros hématomes sur ses bras. « Elles se font ça entre filles », explique Nouhad Boustany, l'assistante sociale, dépitée. Rena en rit comme une petite fille, elle a vu pire.
Elle se dit très attachée à celles qui l'ont aidée : « Je me sens moralement et socialement bien ici. » Elle y est entourée, en sécurité. Entre autres services, Dar el-Amal voudrait l'aider à faire refaire ses dents, que son père a cassées quand elle était très jeune.
Aujourd'hui, tout ce qu'elle demande, c'est élever sa fille, dont elle court chercher les photos, une vingtaine, prises chez le photographe. À 8 ans, elle est très attachée à sa mère et « première de sa classe », ajoute-t-elle fièrement ; elle voudrait devenir professeure ou bien pédiatre. Rena voudrait enfin vivre la vie de famille épanouie qu'elle n'a pas connue.

La débandade
Sana a 40 ans. D'après Nouhad Boustany, qui la connaît depuis des années, son histoire est « un drame ». Alors qu'elle est encore très jeune, sa mère, divorcée, épouse un autre homme. La famille vit alors dans un quartier palestinien de la banlieue de Beyrouth avant que la guerre éclate. Son beau-père la marie avec un homme de 45 ans alors qu'elle n'en a que 16.
Et puis la guerre éclate. C'est la débandade et toute sa famille fuit en ordre dispersé. Elle part avec son mari et ne reverra plus sa famille. Son mari s'avère agressif et violent, et elle se résout finalement à le fuir. Elle se retrouve alors dans la rue où elle tombe entre les mains de proxénètes. Elle travaille dans des bars, dans la rue, pendant plus de vingt ans.
Elle rencontre alors un Égyptien. Sans papiers, elle est contrainte de vivre avec lui pour avoir un domicile. Elle arrive à l'association enceinte, alors qu'elle n'a qu'une vingtaine d'années. Grâce au travail des assistantes sociales, le père reconnaît l'enfant, une petite fille, à condition que sa mère ne s'occupe pas d'elle. Elle est alors placée au Village SOS. Un beau jour, il décide de rentrer en Égypte. Sans prévenir la mère, il passe chercher son enfant. Personne ne peut rien y faire, la petite porte son nom. Sana cache son visage pour pleurer sans bruit ; une éclipse sur ce visage souriant. Elle n'a pas vu sa fille depuis 12 ans. Elle peut lui parler au téléphone ; le père s'est remarié et la belle-mère n'aime pas beaucoup l'adolescente. Sana sèche ses larmes avec un mouchoir en papier.
Comme beaucoup de femmes qui ont fait de la prostitution, elle a des problèmes de dents. La faute à l'alcool, à la drogue et à une mauvaise hygiène de vie. Elle a perdu sa grande beauté pendant ces années de vie de misère.
Aujourd'hui, elle vit avec un homme qui possède une ferme à quelques kilomètres de Beyrouth. Ce n'est pas une union d'amour, plutôt un accord de raison. Sans papiers, il faut bien qu'elle vive quelque part ; elle esquisse un sourire gêné. Elle s'en accommode. Elle cuisine ses repas, fait ses lessives. Elle ne peut pas travailler ici. L'association se bat à ses côtés pour qu'elle puisse enfin avoir des papiers, pour qu'elle sache « qui elle est ».
C'est en 1969 que Mozart Chahine, accompagné d'un groupe d'assistantes sociales et de sœurs franciscaines, décide de fonder l'association Dar el-Amal. Ils créent alors un foyer dans un local de Zeitouneh, à Beyrouth, qui permet d'accueillir des femmes victimes de la prostitution pendant trois semaines au maximum, jour et nuit. Le temps d'essayer de trouver une...
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