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Nos Lecteurs ont la Parole

I - Tourisme et culture au Liban

Par Yves PRÉVOST
Le mot « touriste » a souvent, sur beaucoup de lèvres, une connotation péjorative. Il évoque en effet, pour certains, l'étranger arrogant, sans-gêne, indiscipliné, jetant un regard méprisant sur les « indigènes » et se croyant tout permis. Mais pourquoi devrait-il en être ainsi ?
« Tourisme » implique « voyage », mais pas n'importe quel voyage. Le mot tire son origine d'une coutume répandue en Angleterre à la fin du XIXe siècle. Il était alors de bon ton pour les jeunes gens de la haute société d'accomplir ce que l'on appelait le « Grand Tour » à travers l'Europe et le Proche-Orient.  C'était pour eux une sorte de voyage initiatique à la découverte des sources de la civilisation occidentale.
On le voit donc, si, comme l'a défini Edward Burnett Tylor(1), la culture est « ce tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances, l'art, la morale, les lois, les coutumes et toutes autres dispositions et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société », culture et tourisme sont bel et bien indissociables.
La définition précitée s'applique à un pays, une nation ; il existe aussi une culture personnelle. On dira d'une personne qu'elle est « cultivée » dans la mesure où elle possède une connaissance approfondie des cultures de divers peuples, à commencer par le sien. Prise dans ce sens, la « culture » est indispensable à toute réflexion spirituelle ou philosophique, en fait, à notre compréhension du monde. Et lorsque l'on visite un pays étranger, le passé éclaire singulièrement le présent. Le Liban, avec son histoire aussi riche que complexe, en est un excellent exemple. Nous vous invitons donc à une visite ultrarapide, mais en vrais « touristes »!
À tout seigneur, tout honneur. Nous irons d'abord rendre notre hommage à l'emblème du Liban : Cedrus Libani, dont la Bible nous dit que « nul arbre ne l'égalait dans le jardin de Dieu »(2). C'est un sentiment d'humilité qui nous saisit devant la majesté de ces arbres millénaires, mais, en même temps, une grande tristesse au vu du minuscule bosquet, dernier vestige de la forêt qui, voici quelques milliers d'années, couvrait toute la montagne sur 80 000 hectares. La surexploitation ne date pas d'hier, puisque, selon la légende, Gilgamesh(3) terrassa son gardien, le géant Humbaba, et abattit les arbres destinés à son palais d'Uruk. Les Phéniciens en firent un grand commerce. Les Ottomans les transformèrent en traverses de chemin de fer et même - ô sacrilège ! - en combustible pour leurs trains ! Ceux que nous pouvons admirer ne doivent leur survie qu'à l'intervention du patriarche Hobeiche qui, en 1843, interdit de toucher aux « Cèdres du Seigneur ». Aujourd'hui, une association privée a pris en charge leur entretien et même le reboisement.
Ici, une remarque s'impose : on dit volontiers les Libanais imprévoyants, vivant au jour le jour, mais alors, qui sont-ils, ceux-là qui plantent des arbres que ne verront ni eux-mêmes ni leurs enfants, mais seulement - inch'Allah - leurs arrières petits-enfants(4)?

Dans la « ville triple »
De Tripoli, nous

remarquerons d'abord son nom : « ville triple ». Il rappelle qu'elle fut, au IVe siècle avant Jésus-Christ, le siège d'une confédération de trois cités maritimes(5) : Sidon, Tyr et Arados(6), et que c'est de là que partit, en 351 BC, la grande révolte phénicienne contre l'Empire perse(7).
Si les souks et les khans évoquent son commerce florissant et les madrassâts son rôle culturel, plus rien malheureusement ne subsiste de la célèbre bibliothèque de plus de 100 000 ouvrages(8), qui, au XIe siècle, attirait des savants de tous pays.
Mais nous retiendrons surtout le château Saint-Gilles (Qalaat Sanjil). Sa masse imposante et l'impression de puissance qui s'en dégage nous font sentir l'importance du comté de Tripoli dans le royaume franc. Par là même, nous devinons l'autonomie dont jouissait cette province. Autonomie dont plus tard, au temps des Mamelouks, se prévaudra également le naïb.

À Jbeil, 7 000 ans d'histoire
À Jbeil, les premiers pas sur le site antique nous font franchir les murailles énéolithiques, et c'est tout à coup 7 000 ans d'histoire de l'humanité qui se déroulent à nos yeux ! S'y succèdent ou s'y côtoient : Amorrites, Égyptiens, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Francs, Mamelouks et Ottomans... Si pour les anciens, sa fondation, par le dieu El lui-même, remonterait à l'aube des temps, plus réalistes, les historiens reconnaissent cependant qu'aux côtés de Çatal-Höyük et Jéricho, Jbeil peut, légitimement, prétendre au titre de plus ancienne cité du monde.
Véritable haut lieu spirituel de l'Antiquité, on y venait de partout vénérer la Baalat-Jebal, la Grande dame des Giblites. Les Égyptiens l'assimilant tantôt à Isis, tantôt à Hathor, lui rendaient leur culte, et de prestigieux pharaons comme Chéops et Mykérinos(9) n'hésitaient pas à lui envoyer de riches offrandes. Non loin de son temple, on peut encore voir la fontaine au bord de laquelle Isis pleurait son frère-époux.
Comment, parlant de culte, ne pas évoquer ces processions de jeunes gens et jeunes filles qui, chaque année, célébraient au printemps la mort suivie de la résurrection d'Adonis ? Les Égyptiens s'y associaient, y reconnaissant Osiris, et les Babyloniens, Tammuz. Quant aux chrétiens, ils y verront plus tard une préfiguration du Christ.
Cet afflux de pèlerins - touristes avant la lettre - n'était certainement pas étranger à la prospérité de la ville, l'autre source étant évidemment le commerce.  C'est de son port, en effet, qu'embarquaient les fûts de cèdre destinés aux palais et temples d'Égypte. Ses charpentiers de marine étaient réputés, mais c'est à une autre spécialité, le papyrus(10), qu'elle doit son second nom, un nom prestigieux lorsqu'il s'agit de culture : « Byblos », la « Cité du livre ».
(à suivre)

(1) Anthropologue britannique, 1830-1917.
(2) Ez 31: 3-8.
(3) Gilgamesh aurait régné à Uruk (Mésopotamie) vers 2600 avant notre ère. Ses exploits légendaires (écrits vers 1800 avant J-C) constituent le plus ancien « roman » connu de l'humanité.
(4) La croissance du cèdre du Liban dans son environnement naturel est très lente.
(5) La ville était alors divisée en trois quartiers attribués aux citoyens des trois cités.
(6) Arados (aujourd'hui Arvad ou Arwad, sur la côte syrienne) était une des plus importantes cités phéniciennes.
(7) La rébellion a finalement été matée par Artaxercès III.
(8) Elle fut malheureusement détruite en 1109 lors du sac, que ne purent empêcher le roi Baudoin et ses barons - qui, eux, respectèrent les personnes et les biens des Tripolitains - d'une partie de la ville par les Génois.
(9) Les célèbres bâtisseurs de pyramides.
(10) Importé d'Égypte et exporté ensuite dans toute la Méditerranée.
Le mot « touriste » a souvent, sur beaucoup de lèvres, une connotation péjorative. Il évoque en effet, pour certains, l'étranger arrogant, sans-gêne, indiscipliné, jetant un regard méprisant sur les « indigènes » et se croyant tout permis. Mais pourquoi devrait-il en être...

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