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« Pour gagner la guerre des cartels, Calderon doit changer de stratégie » - Mexique

« Pour gagner la guerre des cartels, Calderon doit changer de stratégie »

Depuis son accession à la tête du Mexique, le président Felipe Calderon a érigé la lutte contre le crime organisé en priorité nationale. Sans néanmoins réussir à enrayer les violences. Viridiana Rios, chercheuse à l'Université de Harvard, explique à « L'Orient-Le Jour » pourquoi la stratégie du gouvernement mexicain a jusque-là échoué.

Ciudad Juarez, où le cartel « de Sinaloa » cherche à détrôner celui « de Juarez », est l’épicentre de la guerre que se livrent les trafiquants de drogue pour le contrôle du trafic et de l’exportation aux États-Unis, premiers acheteurs mondiaux de cocaïne. Photo Reuters

Les violences liées à la « guerre des cartels » ont atteint un niveau record cette année au Mexique. Les affrontements entre gangs rivaux pour le contrôle du trafic de drogue ont déjà fait plus de 7 000 morts en sept mois. 25 000 personnes - en majorité des trafiquants, mais aussi des civils, des journalistes et des policiers - ont été tuées en moins de quatre ans.
« Avant le début de la guerre, chaque cartel contrôlait son propre territoire, qui avait des frontières très bien définies », explique Viridiana Rios, spécialiste du crime organisé. Mais, selon elle, la situation a drastiquement changé vers la fin des années 90, lorsque les trafiquants mexicains sont devenus de plus en plus puissants après le démantèlement des principaux cartels en Colombie. Depuis, le Mexique est devenu la principale voie de transit de la cocaïne vers les États-Unis, plus grand consommateur mondial de cette drogue. Selon l'ancien procureur général, John Ashcroft, les Américains ont dépensé en l'an 2000 près de 63 milliards de dollars pour l'achat de stupéfiants. Plus de la moitié de cette somme (environ 36 milliards) a été dépensée sur la cocaïne, dont 90 % provient du Mexique. « Plus le marché (vers les États-Unis) devenait important, plus les cartels grandissaient, explique encore la chercheuse à l'Université de Harvard. Leurs structures devenaient également de plus en plus compliquées, d'autant plus que chaque cartel faisait appel à des bandes de tueurs à gage pour asseoir son autorité et gagner en influence ». « Mais ce n'est qu'en 2003 que la situation prend une tournure sanglante avec l'éclatement des premiers affrontements entre trafiquants dans la ville de Nuevo Laredo, en face du Texas », note Mme Rios. Avec près de 2,5 millions de camions qui traversent la frontière de Nuevo Laredo vers les États-Unis, la zone est considérée comme stratégiquement importante pour les cartels. Le conflit pour le contrôle de ce territoire oppose principalement le cartel de Sinaloa, l'un des plus importants exportateurs de cocaïne dans le monde, et les « Zetas », une bande de trafiquants formée par d'anciens commandos militaires (voir encadré).

Intensification des violences
 « Depuis 2003, le cycle de violence qui gangrène le Mexique n'a fait que s'aggraver, poursuit la chercheuse. Et la situation s'est encore plus dégradée après l'arrivée au pouvoir du président Felipe Calderon (en décembre 2006) ». Depuis son investiture, le chef de l'État s'est lancé dans une lutte sans merci contre les trafiquants de drogue et a déployé 50 000 militaires en renfort de la police. Cette initiative, soutenue par les États-Unis, a toutefois été sévèrement critiquée par l'opposition mexicaine et par de nombreux experts, qui estiment qu'elle exacerbe les violences. C'est également l'avis de 89 % de la population, selon un sondage publié en mars dernier par le quotidien mexicain Milenio. 59 % des sondés estiment par ailleurs que « les cartels sont en train de remporter la guerre », alors que 21 % pensent le contraire.
De fait, les cartels mexicains semblent encore loin d'être affaiblis, et le triste record des 7 000 morts depuis le début de l'année en est la preuve. En 2009, 9 000 personnes avaient été tuées dans des affaires liées au trafic de drogue. À l'époque, le chiffre tenait du record. Le ministre de la Justice, Arturo Chavez, explique ce bilan par la « pression permanente de l'État » sur les trafiquants. Les organisations criminelles répondent d'autant plus violemment qu'elles n'avaient pas, jusqu'à la fin 2006, l'habitude d'être aussi inquiétées, selon lui.
Mais pour Viridiana Rios, « la pression gouvernementale sur les cartels ne doit pas se limiter à l'arrestation de leurs membres, surtout que ces derniers seront très probablement relâchés après avoir purgé quelques années de prison ». « La plupart des chefs des cartels les plus influents ont déjà été emprisonnés, ajoute-t-elle. Et cela ne les a pas empêchés de poursuivre leurs activités criminelles avant même leur libération ». « En fait, poursuit la chercheuse, la pression gouvernementale a indirectement nourri la violence puisque la plupart des arrestations et des saisies importantes se font sur dénonciation du cartel adverse, qui en profite pour attaquer le clan rival affaibli. »

Des attaques sophistiquées
Selon Mme Rios, « il est désormais nécessaire que Calderon change de stratégie face aux narcotrafiquants ». « S'il veut gagner la guerre, le gouvernement doit mettre en place un véritable réseau de renseignements capable de démanteler toutes ces organisations criminelles », affirme-t-elle encore.
Les cartels, de leur côté, semblent avoir déjà changé de méthodes, optant pour des actions beaucoup plus sophistiquées. Le 16 juillet, deux policiers ont trouvé la mort dans ce qui est considéré comme une « première » dans les tactiques des cartels au Mexique, une attaque à la voiture piégé, à Ciudad Juarez, la ville la plus violente du pays. Cette attaque vient s'ajouter aux terribles méthodes déjà employées par les narcotrafiquants, comme la décapitation et les carnages.
« La guerre des cartels est entrée dans une nouvelle phase très dangereuse et imprévisible », souligne Viridiana Rios. Selon elle, deux incidents majeurs, à part l'attentat à la voiture piégée, ont marqué cette nouvelle phase. Le premier a été l'assassinat, le 14 mars, d'une employée du consulat des États-Unis et de son mari, tous deux américains. L'époux mexicain d'une autre employée du consulat a été abattu le même jour dans une attaque séparée. « Ces meurtres, explique la spécialiste, sont les premiers du genre commis par les organisations criminelles mexicaine qui, généralement, préfèrent éviter d'attirer l'attention internationale. »
Le second incident est survenu le 28 juin lorsque des hommes liés aux « Zetas » ont assassiné Rodolfo Torre (46 ans), candidat aux élections régionales mexicaines, à six jours du scrutin. « Cette attaque était très surprenante parce que c'était la première fois que des membres d'un cartel tuaient un responsable aussi important de la scène politique mexicaine, souligne Mme Rios. Personne ne pouvait imaginer qu'ils oseraient tuer un candidat au poste de gouverneur, surtout pas six jours avant les élections... »
« Cette affaire, précise-t-elle encore, rappelle la Colombie des années 90 lorsque les cartels avaient assassiné trois candidats à la présidentielle. »

Les États-Unis s'impliquent
Selon la spécialiste, le conflit s'est répandu alors qu'il était, il y a moins d'un an, confiné dans des zones bien limitées. Les violences ont éclaté dans tous les régions ces derniers jours, mais se concentrent sur la côte Pacifique (Ouest) et à la frontière avec les États-Unis (Nord), opposant notamment le cartel de Sinaloa à celui de Juarez. « Les bandes de trafiquants mexicains ont étendu leurs activités jusque dans les territoires américains avec la hausse de production de l'héroïne », confirme un rapport du département de la Justice. « Les cartels mexicains sont désormais actifs dans presque toutes les régions américaines », poursuit le rapport publié en 2008.
Face à cette situation de plus en plus dangereuse à quelques kilomètres de leurs frontières, les États-Unis se sont récemment montrés prêts à s'impliquer davantage dans la guerre contre le trafic de drogue. Quelques jours après l'attaque perpétrée contre les employés du consulat américain à Ciudad Juarez, la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton s'est rendue au Mexique, accompagnée d'une délégation hautement sécuritaire, dont le secrétaire à la Défense Robert Gates, l'amiral Mike Mullen, chef d'état-major interarmes des États-Unis, et la secrétaire à la Sécurité intérieure Janet Napolitano.
« C'est au cours de cette visite que nous avons entendu pour la première fois les Américains évoquer des mesures à prendre pour diminuer la demande de drogue dans leur pays », affirme Mme Rios. L'an dernier, le président Barack Obama et Mme Clinton avaient déjà reconnu la « responsabilité partagée » des États-Unis dans le développement du trafic de drogue, d'armes et d'argent clandestin entre leur pays et le Mexique.
Au cours de sa dernière visite, la secrétaire d'État américaine a parlé d'une « nouvelle stratégie » américaine pour la lutte contre les cartels, dans le cadre de leur plan régional dit de « l'Initiative de Merida ». Cette initiative, votée en 2008 par le Congrès, prévoit une aide de 1,3 milliard de dollars sur trois ans à la région, dont 1,1 milliard au Mexique, et le reste à l'Amérique centrale et aux Caraïbes. « Nous allons élargir le plan "Merida" parce que le problème auquel nous faisons face n'est pas uniquement d'ordre sécuritaire, a dit Mme Clinton. C'est un problème avant tout social. »
« Le gouvernement a déjà entrepris quelques réformes mineures depuis 2009, affirme de son côté Mme Rios, mais il reste encore beaucoup à faire : il faut lutter contre la corruption au sein de la police, renforcer les instances juridiques, réformer le système pénitencier, améliorer la qualité des investigations (...). » « C'est une situation assez compliquée, dit-elle, et le combat s'annonce long. »
Les violences liées à la « guerre des cartels » ont atteint un niveau record cette année au Mexique. Les affrontements entre gangs rivaux pour le contrôle du trafic de drogue ont déjà fait plus de 7 000 morts en sept mois. 25 000 personnes - en majorité des trafiquants, mais aussi des civils, des...