Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Échos de l’agora

Droits humains et droits politiques de l’étranger

D'Antoine Courban
Sommes-nous d'incorrigibles xénophobes ? Cette question, et d'autres similaires, doit être posée autrement afin de déceler le mal profond qui ronge notre société, notamment en matière d'accueil des populations migrantes : ouvriers étrangers, personnel de maison qu'on importe à tour de bras, réfugiés politiques dont l'immense catégorie des réfugiés de cette terre de Palestine spoliée, depuis 1948, par la dernière idéologie théologico-nationaliste qui, en ce monde, sert de prétexte justificatif à une vulgaire entreprise coloniale.
Une petite phrase sur les droits humains et sociaux des réfugiés de Palestine, lancée par Walid Joumblatt, a déclenché une réaction en chaîne qui n'a pas fini de faire des vagues. En agitant implicitement l'épouvantail de l'implantation des Palestiniens, le député Joumblatt a réveillé les vieux démons tapis dans les couches les plus profondes de l'imagination de certains Libanais. À la vitesse de la lumière, ou presque, on a vu se déchaîner les protestations les plus véhémentes proférées, notamment, par certains pôles chrétiens qui font de la ‘asabiya leur raison d'être et l'unique obsession de leur action politique. Difficile à traduire, la «'asabiya est une notion complexe décrivant la solidarité de corps, d'esprit et l'allégeance des membres d'une tribu face à un chef. Cet esprit de corps constitue le ressort fondamental présidant à la formation d'un État lorsqu'une tribu passe aux commandes d'une cité » (B. Dugué). Cependant, dès que l'État est institué, la ‘asabiya s'affaiblit en tant que lien résiduel, mais fort, de cohésion tribale ; et ce au profit du lien civil, plus lâche certes car moins hypothéqué par les rapports à un chef auxquels se substituent progressivement les rapports à des réalités plus abstraites : la Loi, le Droit et la Chose publique. Ainsi, l'espace commun au groupe passe progressivement de celui d'une tribu à celui de la patrie.
Ce grincement de dents face à l'affaire des droits élémentaires des Palestiniens indique bien que ceux qui s'y opposent avec véhémence, réfléchissent encore à l'aide d'une pensée préétatique. En principe, et au nom de la Convention des droits de l'homme, tout homme qui réside régulièrement sur le territoire de la République libanaise doit être traité conformément à sa dignité inaliénable.
On se serait attendu à voir les « forces chrétiennes » devenir les champions des droits humains des réfugiés de Palestine et, par extension, de tout homme qui réside au Liban et qui y travaille. En effet, c'est la vision chrétienne du monde qui fonde la notion de « droits naturels » de l'homme même si, actuellement, le discours sur ces mêmes droits se tient dans le cadre d'une culture occidentale sécularisée. Ces mêmes « forces chrétiennes » s'avèrent ainsi incapables d'opérer une distinction salutaire entre les « droits sociaux » et les « droits civiques et politiques ». Ces notions ne sont ni symétriques ni équivalentes.
On veut bien comprendre que les droits humains naturels des Palestiniens ne doivent pas être assurés au détriment de la souveraineté de l'État libanais. Il est normal d'exiger qu'il soit mis fin à la situation d'îlots sécuritaires que constituent les camps palestiniens. Ceci faciliterait sans doute le démantèlement d'autres îlots sécuritaires qui minent l'autorité souveraine de l'État libanais à l'intérieur de ses frontières : les bases des « armées palestiniennes » de libération qui seraient des zones d'influence syrienne, sans évoquer les régions contrôlées par le Hezbollah qui, dans les faits, défie l'autorité de l'État en donnant l'impression d'être une « autre » entité politique souveraine exerçant des pouvoirs régaliens. Les récents harcèlements de la Finul au sud du Liban sont venus conforter cette impression. Ils traduisent sur le terrain la triple équation de la rhétorique officielle: peuple-armée-Résistance. Ce faisant, la « Résistance » acquiert symboliquement une personnalité morale autonome, dont la réalité serait distincte de celle du peuple et de son armée. Quant à l'armée nationale, dont les effectifs seraient insuffisants sur le terrain d'application de la résolution 1701, il ne lui reste plus qu'à jouer l'intendance au profit de l'interlocuteur principal : le Hezbollah comme bras armé du « vicariat du juriste-théologien » (wilayet al-faqih). Face à un tel tableau, persister à réfléchir en termes de poids démographique des uns et des autres paraît inadéquat alors que le pays s'enfonce de plus en plus dans la condition d'otage de forces qui le dépassent et l'étranglent.
Parallèlement au délitement général, nul ne semble se soucier de la situation anormale de la main-d'œuvre étrangère. Des milliers de citoyens syriens travaillent au Liban en toute irrégularité et impunité semble-t-il, mais les Palestiniens sont confinés dans leurs « camps ». Et que dire du personnel de maison ? Que dire de ces souffre-douleurs que sont les Sri-Lankaises, les Philippines, les Népalaises, les Ghanéennes, les Éthiopiennes etc. Immenses troupeaux d'un bétail de la transhumance de la modernité, qui viennent chez nous parce que nos poubelles sont sans doute plus alléchantes que leurs détritus. Les conditions dégradantes de leur accueil, dès leur arrivée au pays, ainsi que celles de leur travail relèvent, dans beaucoup de cas, de la noirceur la plus révoltante des romans misérabilistes du XIX° siècle. Le Liban du XXI° siècle ressemble pour d'innombrables « domestiques » à la Case de l'Oncle Tom ou, pire, aux Misérables de Victor Hugo.
Qu'est-ce qui est prioritaire ? Pleurnicher sur l'honneur bafoué d'un État chétif, incapable d'assumer sa propre souveraineté, ou se préoccuper de la dignité de toute personne humaine vivant sur ces 10 452 kilomètres carrés qui constituent l'entité Liban ?
Sommes-nous d'incorrigibles xénophobes ? Cette question, et d'autres similaires, doit être posée autrement afin de déceler le mal profond qui ronge notre société, notamment en matière d'accueil des populations migrantes : ouvriers étrangers, personnel de maison qu'on importe à tour de bras, réfugiés...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut