Né en 1958 à Dakar, dans une famille libanaise installée au Sénégal, Salhab rejoint le Liban à l'âge de 13 ans. Il y connaît successivement les ravages de la guerre civile, la nécessité d'un exil parisien, puis les faux-semblants de la reconstruction.
Ces épisodes douloureux vont marquer le cinéma de Ghassan Salhab, comme il l'avoue lui-même lors d'une rencontre publique avec le critique Jean-Michel Frodon: «Sans la guerre, je n'aurais peut-être pas fait de cinéma.» Toutefois, son œuvre se libère de la tyrannie du grand sujet, qui accapare tant de films venus de cette région. L'étrangeté à soi-même, la dislocation de l'être collectif en constituent les motifs lancinants.
Cette œuvre, La Rochelle en a montré la partie la plus essentielle. À savoir, trois longs-métrages de cinéma : Beyrouth fantôme (1998), Terra incognita (2002), Le Dernier homme (2006), mais aussi plusieurs essais vidéos, tels Posthume (2007) ou 1958 (2009). Le cinéma de Salhab, enragé et contemplatif à la fois, s'efforce de filmer le front invisible : celui de l'intérieur.
C'est le génie propre à cette œuvre que d'inscrire organiquement dans sa forme les enjeux politiques, moraux, sociaux. Cette libanisation du cinéma, aucun réalisateur libanais ne l'a mieux incarnée que Ghassan Salhab.
La redécouverte de l'œuvre s'accompagne toutefois d'un affligeant constat: depuis Terra incognita, en 2002, aucun film de Salhab n'a trouvé le chemin d'une sortie commerciale hors du Liban. Deux raisons à cela. L'absence d'une politique de financement et de soutien dans son pays, et la crise des structures de production et de distribution françaises qui permettaient à ce type de cinéma d'exister tant bien que mal. Ghassan Salhab en est réduit au bricolage.
À cela le cinéaste réplique: «Je n'ai jamais eu le désir de devenir un cinéaste de festival et pourtant il semble y avoir de moins en moins de place pour le genre de cinéma que je fais. Le marché, comme on dit, n'attend pas des films provenant de cette région. Je suis très sensible à l'hommage qu'on me rend aujourd'hui, à La Rochelle, mais j'ai en même temps un peu l'impression qu'on fait ma nécrologie alors même que mon cinéma n'a pas encore eu le temps d'exister.»
Même tonalité du côté de Serge Lalou, producteur français actif dans cette région, qui tente de faire exister les futurs projets du réalisateur : « L'envie de défendre un cinéaste qui possède une telle intégrité artistique est de plus en plus mal payée de retour. La question est de savoir comment recréer du désir autour de ce réalisateur exigeant, symbole artistique de son pays, et elle n'est pas simple ».
Ghassan Salhab vient de terminer à l'arraché un film financé pour 200000 euros par un investisseur privé libanais, Georges Schoucair. Il s'intitule La Montagne. Il faudra la gravir.
envoyé spécial du « Monde »
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