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Nos Lecteurs ont la Parole

III -TSL : mouvement oscillatoire entre les systèmes de droit civil et de « common law »

Pr Fady FADEL
Le fruit ultime de cette évolution et du compromis entre ces deux systèmes se trouve clair et net dans le cas du TSL où le plaidoyer de culpabilité existe manifestement (en respect à la tradition anglo-saxonne) tout en étant réglementé, signe de l'empreinte du système inquisitorial (voir L'Orient-Le Jour des 22 et 23 avril 2010).
En effet, d'une part, la Chambre n'est nullement liée par l'accord entre le procureur et l'accusé et, d'autre part, elle procède à l'évaluation et à l'analyse du plaidoyer de culpabilité eu égard à la volonté de l'accusé, à sa prise de connaissance de l'ensemble des données et à l'existence de faits suffisants pour établir le crime. Il s'agit de critères cumulatifs (« et ») et non pas alternatif (« ou ») (articles 99-100 du RPP).

5- Contrainte
La recevabilité du moyen de défense de contrainte est une question de fond et non pas une question de procédure. Toutefois, comme elle soulève des questions intéressantes concernant les rapports entre les deux systèmes, il paraît utile d'en traiter brièvement. Règle générale, les statuts des tribunaux ad hoc ont très peu à dire sur les moyens de défense, aussi appelés justifications et excuses. En effet, seulement deux moyens de défense y sont traités explicitement, essentiellement pour les rendre irrecevables, il s'agit des défenses de qualité officielle et d'ordres supérieurs qui reprennent essentiellement des dispositions du statut du Tribunal militaire international. Il est donc laissé aux juges le soin de déterminer la recevabilité d'autres moyens de défense.
L'accusé Erdemovic, lors de sa comparution, a déclaré: « Monsieur le Président, j'ai été contraint d'agir de la sorte, si j'avais refusé de le faire, on m'aurait tué en même temps que les victimes. Lorsque j'ai refusé, on m'a dit : "Si tu as pitié d'eux, mets-toi avec eux et on te tuera aussi ". Je n'avais pas peur pour moi, j'avais peur pour ma famille, pour mon épouse et mon fils, qui avait neuf mois à l'époque, et je ne pouvais pas refuser sans quoi ils m'auraient tué. » Le plaidoyer de culpabilité d'Erdemovic fut admis par la Chambre de première instance, mais ce n'est que lors de l'appel que l'on décida d'examiner la recevabilité du moyen de contrainte. En fait, si la contrainte avait été recevable comme excuse, la Chambre de première instance aurait dû refuser le plaidoyer de culpabilité vu la possibilité d'innocence. Dans cette affaire, la Chambre d'appel était divisée sur cette question. La décision de la majorité fut rédigée par deux juges venant de juridictions de la « common law », les juges McDonald (États-Unis d'Amérique) et Vohrah (Malaisie). La Chambre reconnut sans hésitation que la contrainte est généralement recevable dans les systèmes de « civil law », tandis que la « common law » adopte la position contraire, au moins en cas de meurtre. Toutefois, « il ressort à l'évidence des différentes positions des principaux systèmes juridiques du monde qu'il ne se dégage aucune règle concrète répondant à la question de savoir si la contrainte constitue ou non un moyen de défense pour le meurtre de personnes innocentes ». Dans ce sens, la majorité refusa donc de considérer le moyen de défense de contrainte, mais accepta, tout comme il en fut le cas quelques mois plus tard, que la contrainte puisse être prise en considération comme facteur atténuant lors du prononcé de la peine.
Dans cette affaire, deux membres de la Chambre d'appel, les juges Cassese et Stephen, étaient dissidents. Pour le juge Cassese, d'origine italienne et actuellement président du TSL, l'enjeu fondamental était « si la justice internationale adopte l'approche de la "common law" en matière de contrainte ». Selon lui, le TPIY « ne devrait pas s'appuyer exclusivement sur les notions, les considérations pratiques ou les fondements philosophiques des pays de "common law", en faisant abstraction des pays de droit romain ou de ceux relevant d'autres systèmes juridiques ». En ce qui concerne le juge Stephen, d'accord avec le juge Cassese, il a essentiellement critiqué l'incohérence de la jurisprudence de la « common law » au sujet de la défense de contrainte.
Dans le cas du TSL, ni le RPP ni le statut du TSL abordent la contrainte. Interrogé le 3 février 2010 à la fin d'une conférence donnée dans l'ordre des avocats à Beyrouth-Liban, le président Cassese a reconnu que « le moment venu, le débat va être passionnant en ce qui concerne la contrainte dans le cas du procès des accusés au sein du TSL ».

Conclusion
Dans un premier temps, la justice pénale internationale semblait, au moins dans sa version contemporaine des tribunaux ad hoc, destinée à devenir un champ de bataille entre juristes venant de traditions différentes. Une méconnaissance de l'autre système, présente dans les deux camps, provoquait un climat de suspicion et de concurrence. Pour certains, c'était le « choc de civilisations » de Samuel Huntington, mais sur le plan judiciaire. Ces débuts difficiles sont heureusement derrière nous. Le climat maintenant en est un de respect mutuel, nous offrant un processus d'apprentissage qui permet l'appréciation des avantages de l'autre système et non seulement ses inconvénients et incohérences.
Cette évolution, voire cette synergie entre la « common law » et la « civil law » se passe dans un contexte de mise en œuvre des normes internationalement reconnues d'équité procédurale. Sur ce plan, tel que la Cour européenne des droits de l'homme l'a souvent constaté, les deux systèmes judiciaires offrent également des points forts et des points faibles. Ces normes internationales ont fourni le point de départ aux juristes internationaux dans leur quête pour un système acceptable.
Ainsi, le système procédural de droit pénal international est l'œuvre de trois courants importants : un nouvel esprit de collaboration entre juristes des deux traditions judiciaires, un respect des normes fondamentales du procès équitable telles qu'interprétées par les organes de contrôle et, finalement, l'intérêt d'établir des mécanismes originaux correspondant aux besoins particuliers et uniques de la répression internationale des violations les plus graves des droits de la personne. Les jalons théoriques relatifs aux règles procédurales du TSL étant élucidés, nous espérons procéder prochainement aux analyses qui ressortent de son travail judiciaire effectif et pratique.

Pr Fady FADEL
Professeur de droit international - vice-recteur
aux affaires académiques et relations internationales
de l'Université antonine
Le fruit ultime de cette évolution et du compromis entre ces deux systèmes se trouve clair et net dans le cas du TSL où le plaidoyer de culpabilité existe manifestement (en respect à la tradition anglo-saxonne) tout en étant réglementé, signe de l'empreinte du système inquisitorial (voir L'Orient-Le Jour des 22 et 23 avril...

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