Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Le billet

Soluble dans l’eau

Était-il rouge ? Était-il rouge ce pavé de thon admirablement saisi, ce pavé à la chair fondante entre deux croûtes subtilement caramélisées ? Était-il rouge ce pavé de thon épicé comme une invitation au voyage vers une terre de soleil, ce pavé déposé, tel un bijou en son écrin, sur une nappe d'huile d'olive exhalant un parfum à rendre aphone la plus tapageuse des cigales de garrigue ? Était-il rouge ce pavé de thon dégusté la larme à l'œil et l'onomatopée (hum...) à la bouche ?
Rouge, il l'était probablement ce thon. Et il était divinement bon.
Mais voilà qu'une semaine durant, au nom de la biodiversité dont c'est l'année, on a voulu nous enlever l'assiette de thon de sous le nez. Jouant sur la corde sensible - le thon est surpêché, de 75 % ses stocks ont diminué sur les trente dernières années -, Américains et Européens, réunis à Doha dans le cadre de la convention sur le commerce international des espèces sauvages menacées d'extinction (Cites), ont tenté d'interdire le commerce international du Thunnus thynnus d'où l'on tire le succulent pavé.
Heureusement, les Nippons, qui s'envoient à eux seuls 80 % de la pêche mondiale de thon rouge, étaient là qui, après avoir ramassé dans leurs filets les pays en développement, ont mis le holà à ces velléités prohibitives. Résultat de l'hyper efficace bliztkrieg, la mer est d'huile sous la quille des thoniers-senneurs, ces navires-usines qui sont à la pêche ce que la bombe A est à la guerre.
Emporté par son élan, l'empire du Soleil-Levant, qui nous fait son mai 68 à retardement sur le mode « il est interdit d'interdire », a profité du pince-fesse international pour régler son sort au requin. Taquins, les Japonais et leurs alliés ont, un temps, laissé croire au monde que le requin-taupe pouvait être sauvé, alors que les esprits chagrins affirmaient - entre deux cris sur le mode : « Biodiversité et humanité, nos vies sont liées ! » - que la population de cette variante des dents de la mer avait chuté de 80 % ces dernières années. Rapportée à la population humaine, il est vrai qu'une chute de 80 % a des relents de fin du monde. Néanmoins, apôtres du réalisme économique - le seul qui vaille assurément -, les Japonais et leurs alliés mangeurs de squales ont estimé qu'entre la disparition possible, totale et irréversible, d'une espèce animale et l'aileron à 100 dollars le kilo, il fallait arrêter d'épiler les chenilles. Jeudi, au terme d'une nouvelle offensive de l'axe nippon, le requin-taupe devait rejoindre trois de ses cousins également menacés de disparition, mais dont le commerce est aussi libre qu'une brise marine. Japon : victoire par ippon.
Dans la catégorie des êtres et choses solubles dans l'eau, il y a aussi l'île. « New Moore » pour les Indiens ou « South Talpatti » pour les Bangladais. Cette île, apparue il y a 40 ans après un cyclone, mesurait 3,5 kilomètres de long et 3 kilomètres de large. Ce n'était pas l'Australie, certes, mais c'était suffisant pour alimenter un contentieux territorial entre l'Inde et le Bangladesh. Depuis quelques jours, l'île a disparu, engloutie par la montée des eaux. Certains sourcilleux ont profité de cette disparition pour, à nouveau, tirer la sonnette d'alarme du réchauffement climatique sur le mode apocalyptique.
Et personne pour relever qu'avec la dissolution de l'île, c'est tout de même un conflit international qui vient de s'éteindre ! Et si le réchauffement climatique ouvrait de nouvelles perspectives en géopolitique ?
Était-il rouge ? Était-il rouge ce pavé de thon admirablement saisi, ce pavé à la chair fondante entre deux croûtes subtilement caramélisées ? Était-il rouge ce pavé de thon épicé comme une invitation au voyage vers une terre de soleil, ce pavé déposé, tel un bijou en son écrin, sur une...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut