Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Quand le monde va mal...

Par Jean Georges PRINCE
Je me réveille ce matin dans un bruit de crissement de tôle. Sursaut assuré malgré mon sommeil profond dû à plusieurs litres de cocktails alcoolisés consommés hier soir. Dans un demi-élan de conscience, j'ouvre les yeux. Ma chambre tient toujours entre quatre murs. Mon lit n'est pas scié en deux. Tout semble aller pour le mieux. Je sors du lit, ouvre les stores, et là je comprends mieux. La tempête qu'on attendait tant semble avoir choisi pour domicile le mien. La grêle tape contre la vitre. Le vent balance tout et n'importe quoi contre les barreaux de ma fenêtre. Il fait bon dans ma chambre, mais dehors c'est le cataclysme total. Je pense que quand on parle de la fin du monde, c'est ça qu'on imagine...
Je sors du lit. Traîne les pieds à la cuisine. Ouvre une armoire qui regorge de ce qui ce matin ne semble être que des taches de couleurs. Je promène ma main entre toutes ces boîtes. Non, ce n'est pas du sucre en poudre que je cherche. Sûrement pas du cumin. Voilà enfin ce que je recherche. Un sachet rougeâtre. Ma drogue matinale. Et comme par magie après en avoir vidé le contenu dans de l'eau fumante, j'obtiens un nescafé qui m'aidera à commencer ma journée.
Je m'affale devant la télévision, ma tasse dans une main et ma cigarette dans l'autre (je sais, ce n'est pas bon pour la santé, mais je suis majeur et vacciné). Il m'est impossible encore de lire le journal, ma vue étant floutée. Je me décide alors à allumer mon poste de télévision. Effroi. Pas de journal télévisé, mais un sitcom égyptien bas de gamme nous montre une femme pleurant sans verser de larmes face à un homme arborant encore un look 70's qui joue au macho (apparemment pas un grand travail d'interprétation). Au bas de l'écran une bande défile. Clairement, la personne qui en a créé le concept ne l'a pas fait pour les personnes à la vue imparfaite. Il faut pouvoir dissocier à plus de 200 mètres, de nuit, un chat noir d'un chat moins noir, pour pouvoir lire sans problème ces phrases qui passent en revue la situation libanaise. Je m'approche de l'écran. Je verse par mégarde la moitié de mon nescafé sur la table en bois. J'essuierai plus tard. Je lis le tout une première fois. Puis une deuxième. Et petit à petit (il faut dire que la caféine aide beaucoup), je deviens totalement conscient, témoin d'une absurdité flagrante. Un avion a explosé en vol il y a bientôt deux semaines. Les restes de l'appareil ont sombré dans la mer, au large des côtes du Sud. Le désarroi des familles dépasse tout entendement. Et aucune nouvelle, ce matin, des recherches entreprises pour retrouver les corps ou la carcasse de l'avion. Je zappe vers d'autres chaînes locales. Après les avoir toutes passées en revue, se forme dans ma tète un résumé qui, dans une autre dimension, doit être logique. Laissez-moi vous en faire part : un avion de plusieurs tonnes explose quelques secondes après son décollage. Malgré un état de tempête, les experts disent que les orages et éclairs ne font pas de dégâts à un appareil neuf comme celui d'Ethiopian Airlines. Le pilote aurait commis une erreur en vol. Et là les experts nous font savoir que d'abord, le pilote est seul maître à bord et que son jugement est plus précis que celui de la tour de contrôle et qu'ensuite cette erreur ne ferait pas non plus exploser l'avion. Maintenant, la carcasse de l'avion repose par 80 mètres de fond. Non, par 1 200 mètres. Non, 80 mètres. Non, 1 200 mètres (une légère différence de 1 100 mètres, suivant la chaîne suivie, mais qui compte). La boîte noire a été localisée. Non, pas vraiment. Mais si. Pas tout à fait. Les corps retrouvés sont envoyés à la morgue de l'hôpital pour en étudier l'ADN. L'étude prend 2/3 jours. Et pourtant au bout de 10 jours, certains corps n'ont toujours pas été reconnus. Dans un cafouillis tellement général, c'est alors les spéculations qui vont bon train : plusieurs dirigeants du Hezbollah étaient à bord de l'avion. Finalement non, ils ne figurent pas sur les listes des passagers. Ce serait une explosion dans l'avion qui aurait été la cause de la catastrophe. Non, ce serait un missile guidé. Non, ce serait le  traîneau du père Noël qui aurait percuté l'appareil en vol.
J'éteins la télévision. Mon nescafé est à moitié consommé. Ma vue est plus claire. J'ouvre le journal. Et je parcours les titres. Et là, je me demande si l'alcool que j'ai dans le sang me joue des tours ou si je lis bien ce qui est écrit en grand. Une guerre civile pourrait éclater au Liban. Israël et le Hezbollah nous referaient  le coup de l'attaque surprise, déterrement de hache de guerre et tout le blabla habituel. En Bourse, le Libanais n'est plus tellement bien coté, lui et plus d'une centaine de ses pairs ne valent qu'un seul Israélien en monnaie d'échange. Les Haïtiens ne reçoivent pas l'aide convenue. La Polynésie française est frappée par de violents tourbillons. En France, les élèves se font poignarder dans leur lycée et les profs se prennent des baffes...
Mon nescafé ne fume plus. J'ai les yeux grands ouverts. Ma main tremble un peu. Je repose le journal. Je me prends pour une fois à penser à mon avenir (mon père sera content, il me reproche toujours d'être trop carpe diem). Le monde va mal messieurs-dames. Très mal. Les banquises fondent au pôle Nord. Les hommes s'entre-tuent partout. Des tempêtes frappent au hasard plusieurs côtes. Faire la guerre devient aussi banal que faire l'amour. Des avions tombent. Les responsables de ce monde sont irresponsables.
J'essuie la table. Je ramène ma tasse à la cuisine et la pose dans l'évier. À me voir, on dirait un robot, mouvements cassés, pas saccadés. Debout au milieu de la cuisine, je me demande ce que je ferai aujourd'hui. Sortir ? Pour faire quoi ? Aller manger, boire ou passer deux heures au cinéma ? Je n'en ai pas l'envie. Et pour être sincère j'ai peur de mettre un pied hors de chez moi. Le tonnerre gronde et il pleut. Même quand il pleut au Liban, cela doit se faire dans une anarchie totale. Je prends une décision ce matin. Je me remets au lit, referme les stores. Je décide de n'en sortir que quand ce monde ira mieux.
Je me réveille ce matin dans un bruit de crissement de tôle. Sursaut assuré malgré mon sommeil profond dû à plusieurs litres de cocktails alcoolisés consommés hier soir. Dans un demi-élan de conscience, j'ouvre les yeux. Ma chambre tient toujours entre quatre murs. Mon lit n'est pas scié en deux. Tout semble aller pour...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut