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Liban - Interview

Michel Aoun : La visite à Brad n’a rien à voir avec la politique

À la veille de sa visite à Moukhtara et en pleine polémique municipale, Michel Aoun a une fois de plus créé l'événement en célébrant la Saint-Maron à Brad, en Syrie. Le général refuse pourtant de donner un sens politique à sa démarche, expliquant sa vision des chrétiens d'Orient, destinée à les pousser à s'incruster dans leurs pays. Établir un climat de confiance entre les composantes libanaises, retrouver les vraies valeurs des religions et tisser des liens d'amitié avec l'environnement arabe sont, dit-il, ses priorités. Mais cela ne l'empêche pas d'égratigner ceux qui veulent le ramener aux « considérations politiciennes ».

Q - Pour certains, de leader national, vous êtes devenu un chef chrétien, puis maronite. N'êtes-vous pas en quelque sorte en train de réduire votre dimension ?
R - « Quand on connaît la composition de la société libanaise et les considérations à la fois politiques, confessionnelles et nationales qui la commandent, une telle question ne se pose pas. Les différentes composantes de notre société ont besoin d'être rassurées les unes par rapport aux autres, surtout les chrétiens de la région qui ont vécu l'exode depuis des siècles. Et si l'on regarde ce qui se passe en Palestine et en Irak, la situation augure du pire. Chaque fois qu'on enlève un arbre, on se rapproche du désert. Si le Liban veut rester une société multiple, les chrétiens doivent être rassurés car ils sont minoritaires au Moyen-Orient. Et cela ne peut se faire qu'à travers leur conscience de leur patrimoine dont ils doivent être fiers, tout en respectant les valeurs de leur religion qui parle d'amour même envers les ennemis. C'est ainsi que les autres composantes de la société doivent les comprendre. D'ailleurs, à Brad, j'ai déclaré : "Nous ne faiblissons pas devant l'oppression. Nous résistons et si nous sommes forts par le droit, nous sommes magnanimes." C'est dans ce cadre qu'il faut placer la visite de Syrie. »

Q - Il y a des chrétiens dans la région ailleurs qu'en Syrie. Pourquoi n'allez-vous que là-bas ?
R - « J'ai commencé mon action au Liban, puis je l'ai étendue à notre environnement le plus proche, la Syrie, avec laquelle nous avons aussi des liens de parenté. Nous avons d'ailleurs découvert par hasard que dans la délégation, il y avait des Syriennes, ayant épousé trois d'entre nous. Notre objectif n'est pas de créer des identités confessionnelles, mais d'ancrer les chrétiens dans leur terre et leur environnement en rappelant qu'ils ne sont pas le fruit des campagnes des croisés. Le fait que je dise cela a d'ailleurs créé un climat de confiance entre les chrétiens et leurs partenaires en Syrie. La compréhension du président Bachar el-Assad m'aide à concrétiser ma vision, et il est convaincu que ma démarche sert les intérêts de tous. »

Q - En dépit de cette dimension spirituelle, le spectacle qui est resté dans les mémoires est celui de la division des maronites...
R - « Les maronites sont présents dans le monde entier. Ils célèbrent la Saint-Maron de Johannesburg à Ottawa. Cela ne signifie pas qu'ils sont divisés. C'est faire preuve de légèreté que de penser que la tenue de la cérémonie de Brad est l'image de la division, d'autant que c'est là où saint Maron a fini son parcours et, selon les traditions chrétiennes, il est considéré comme un pèlerinage pour tous ceux qui veulent se recueillir et méditer sur sa mission. Dans ce sens, nous avons ajouté aux lieux de célébration habituels une place principale où se trouvent les racines et les sources du maronitisme. Ce n'est donc pas un signe de division, sauf pour ceux qui considèrent les maronites comme un peuple nomade sans attaches fixes. »

Q - On vous reproche de vouloir déplacer le centre du maronitisme vers la Syrie, alors qu'il se trouve là où est la tête de l'Église maronite...
R - « Ceux qui disent cela ont une vision étroite de la religion et veulent que les cérémonies se déroulent là où est le pouvoir. C'est comme si on disait que la messe de Noël au Vatican doit annuler celle de Bethléem... »

Q - Vous vous êtes quand même rendu dans un pays avec lequel le patriarche maronite n'entretient pas de bonnes relations. N'est-ce pas un message politique à son égard ?
R - « Pas du tout. Il s'agit de deux processus différents. La visite de Brad n'a rien à voir avec la politique. Nous nous sommes rendus auprès d'un peuple avec lequel nous partageons certaines de nos traditions religieuses, et des chrétiens orientaux, appartenant à toutes les confessions relevant de l'Église d'Antioche, ont participé à la messe. Ma vision des chrétiens d'Orient cherche à la fois à rassembler et à les incruster dans leurs pays respectifs. »

Q - Que pensez-vous quand vous entendez les critiques qui vous sont adressées ?
R - « Je suis au-delà. L'écart est devenu très profond entre moi et ceux qui restent fixés sur les petites considérations politiques. Nous sommes au début d'une époque nouvelle où toute forme d'intégrisme ainsi que les préjugés doivent tomber. Nous devons développer nos relations avec les humains et laisser notre foi dans une relation verticale avec Dieu. Je défends aussi bien le chrétien qui n'a pas ses droits que le musulman injustement traité. Mon souci est la justice car l'injustice peut exister dans les sociétés "homogènes"... »

Q - Vous adoptez récemment des positions très chrétiennes, notamment le refus du droit de vote à 18 ans, le rejet de l'abolition du confessionnalisme...
R - « Dire cela frise la mauvaise foi. Pour moi, le refus du droit de vote à 18 ans est lié à la fermeture des écoles et des universités devant nos conférenciers. À mon avis, il faut préparer le terrain pour donner le droit de vote aux jeunes de 18 ans et leur permettre de développer leur compréhension des événements et leur sens critique. Je suis pour le passage du confessionnalisme à la citoyenneté. Mais il s'agit d'un processus qui a ses propres règles. Or aujourd'hui, les universités et les écoles sont devenues des foyers pour cellules politiques clandestines, où les messages sont diffusés sournoisement. En ce qui nous concerne, nous sommes pour le débat ouvert et franc et pour le développement du sens de la responsabilité chez les jeunes. »

Q - Certains attribuent cette position au fait que vous ne seriez pas le plus populaire chez les jeunes.
R - « C'est une manière de mettre en doute ma sincérité et mes objectifs. Je cherche à permettre aux jeunes d'être ouverts et en mesure de choisir en toute conscience leur avenir. On veut apparemment leur apprendre la prostitution avant de leur donner le droit de vote. Mais ce n'est pas vrai qu'ils ne sont pas avec moi. »

Q - On a vu les résultats des élections législatives à Achrafieh...
R - « Le syndrome de Stockholm existe en dehors des pays scandinaves... »

Q - Ne craignez-vous pas les mêmes résultats en réclamant la division de Beyrouth pour les municipales ?
R - « Le découpage que je réclame est lié à la gestion des affaires qui concernent les citoyens. Les priorités changent dans les différents quartiers et le nombre de résidents ne doit pas être trop important pour que la municipalité puisse répondre à leur attente. »

Q - Et si cette réclamation n'est pas acceptée...
R - « J'aurais au moins eu l'honneur d'avoir essayé. Je veux rendre mon temps utile, faire ce que je peux. Si le rôle et la position se rencontrent, tant mieux, sinon, je préfère le rôle à la position et je l'ai prouvé. »

Q - Pour certains, vous ne voulez pas de la tenue des élections et vous cherchez des prétextes.
R - « Ce ne serait pas plutôt les autres qui ne veulent pas des réformes ? Je veux les élections et les réformes. Chaque fois, on exerce sur nous la pression des délais et finalement, on oublie les réformes. Je ne vois pas pourquoi les élections ne pourraient pas être reportées à l'automne si on peut profiter de ce temps pour procéder aux réformes. Pourquoi avance-t-on si lentement et occupe-t-on la scène avec des polémiques qui n'en finissent pas sur fond de menaces israéliennes ? »

Q - Vous vous rendrez le 20 à Moukhtara ; Walid Joumblatt a-t-il vraiment changé en se tournant vers la Syrie et le Hezbollah ?
R - « Je me rends à Moukhtara pour aider à construire la confiance et la mémoire entre les chrétiens et les druzes. Après leur longue expérience ensemble, ils ont compris que l'exception est la division, et la règle, l'entente. Ce qui les lie existe depuis des siècles et la dure expérience vécue doit servir de leçon pour l'avenir. Au cours de cette visite, je compte me rendre à Deir el-Qamar et déposer des fleurs sur la tombe de Dany Chamoun. Des rencontres populaires sont aussi prévues. »

Q - Quel est votre sentiment quand d'anciens compagnons vous critiquent ?
R - « Churchill et de Gaulle qui avaient remporté la victoire contre les nazis ont dû ensuite faire face à l'ingratitude. Quand je fais de la politique, je n'attends pas de la reconnaissance, et quand on traite avec des milliers de personnes, on sait qu'on aura quelques chocs. »

Q - Où en est la réorganisation du CPL, d'autant qu'on vous reproche de ne pas avoir « la fibre structurelle » ?
R - « La réorganisation se poursuit et prend forme. À ceux qui prétendent que je ne sais pas structurer, je demande comment j'ai pu remporter autant de victoires électorales. Quel autre parti a pu mener des batailles électorales sur l'ensemble du territoire libanais ? »
Q - Pour certains, de leader national, vous êtes devenu un chef chrétien, puis maronite. N'êtes-vous pas en quelque sorte en train de réduire votre dimension ? R - « Quand on connaît la composition de la société libanaise et les considérations à la fois politiques, confessionnelles et nationales qui la commandent, une...

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