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Nos Lecteurs ont la Parole

Laïcité et diversité culturelle (II)

Par Bahjat RIZK
1- Hérodote, père de l'anthropologie antique
Hérodote, le père de l'histoire, avait défini comme suit, il y a 2 500 ans, les paramètres de structuration identitaire collective : « Le monde grec est uni par la langue, le sang, les sanctuaires et les sacrifices qui nous sont communs et nos mœurs qui sont les mêmes » (Livre VIII, page 144) (voir L'Orient-Le Jour du 2 février 2010).  
La référence à Hérodote est incontournable car elle est considérée comme fondatrice et neutre. Il n'a fait qu'observer et transmettre ce à quoi il avait assisté lors des guerres médiques qui ont constitué le premier choc des civilisations entre les Grecs et les Perses. Il n'intervient dans son discours aucun parti pris, ni aucun jugement de valeur, politique ou moral. Les Grecs avaient développé, y compris  dans l'adversité, un discours rationnel et impartial, quasi scientifique. Les mêmes paramètres réapparaissent dans l'article premier de la Charte de l'Unesco de 1945 qui prône le respect « des droits de l'homme et des libertés fondamentales sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion ». Ainsi, il semble que ces paramètres servent comme des éléments structurants pour établir et cimenter l'identité du groupe (identité nationale ou communautaire) et qu'il faille s'en abstraire et s'en émanciper pour asseoir l'identité humaine basée sur l'individu. Cette double injonction paradoxale sinon contradictoire pose la problématique du choix entre la priorité du groupe ou de l'individu, notamment dans les entités constituées de groupes divers. Il me semble que l'élément de la laïcité touche en même temps celui de la croyance religieuse à proprement parler et la gestion qui en est proposée au niveau des mœurs. Il y a un aspect de la religion qui touche la métaphysique, et l'autre qui touche la gestion politique dans son aspect dynamique de structuration identitaire. Ces éléments interagissent entre eux, dans le cadre sans cesse recommencé du processus d'identification. Parfois, c'est la langue qui prend le dessus, parfois la race, parfois la religion et parfois les mœurs, engendrant des conflits culturels qui vont emprunter l'un ou l'autre paramètre qui, selon le cas, deviendra un élément significatif sinon déterminant entraînant la nécessité de le tempérer ou de l'apaiser par d'autres éléments d'appartenance. Les paramètres opèrent dans le cadre d'une grille compensatoire. Pour cela, il faudrait toujours les envisager dans leur ensemble Il me semble important de souligner que nous n'avons pas de cas de laïcité démocratique avérée dans le cadre d'une diversité culturelle religieuse significative et que la laïcité elle-même rentre dans un processus plus large de structuration identitaire qui, outre l'aspect religieux à proprement parler, touche un autre paramètre, celui des mœurs. Il est impensable d'envisager une laïcité démocratique dans un système patriarcal ou semi-patriarcal (comme au Liban). Il me semble donc impératif tout d'abord de faire la différence entre une laïcité individuelle démocratique consentie et une laïcité patriarcale dictatoriale imposée, et puis de faire la distinction entre la laïcité en tant qu'évolution des mœurs au sein d'un espace monoculturel et le concept de diversité culturelle qui, en mettant en avant les différences culturelles religieuses structurantes et leurs revendications politiques, introduit la notion de multiculturalisme qui prend le pas sur le système démocratique classique car, à ce moment, c'est le sort des minorités en tant que groupes structurants identitaires et politiques qui est mis en avant. Comment préserver les libertés individuelles, celles des groupes et la cohésion nationale ? Telle est la question couvrant toutes les formes de diversité culturelle. Le cas hier du Liban, de la France, de l'Europe et de l'Occident dans son ensemble aujourd'hui sont là pour le rappeler. Le Liban s'est construit autour de ses communautés sans jamais devenir un État-nation alors qu'en Occident, dans les États-nations bouleversés par la mondialisation, on parle désormais de montée du communautarisme sous tous ses aspects (religieux, linguistique, racial et de mœurs)
2- Claude Lévi-Strauss, père de l'anthropologie moderne et de la diversité culturelle.
Claude Lévi-Strauss, inventeur du structuralisme et de l'anthropologie moderne, s'est également penché sur la question de la diversité culturelle et les illusions du multiculturalisme dans « Race et culture » à l'Unesco en 1971, après avoir pourfendu le colonialisme et l'ethnocentrisme occidental dans « Race et histoire » à l'Unesco en 1952. « Les bouleversements déclenchés par les civilisations industrielles en expansion, la rapidité accrue des moyens de transport et de communication ont abattu les barrières (...) Sans doute nous berçons-nous du rêve que l'égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité (...) Car on ne peut à la fois se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l'autre condamne à plus ou moins brève échéance l'originalité de sa et de ma création » (p.172). « Les conflits découlent de la saturation démographique de notre planète. Pour circonvenir ces périls, ceux d'aujourd'hui et ceux plus redoutables encore d'un proche avenir, il faut nous persuader que leurs causes sont plus profondes que celles imputables à l'ignorance et aux préjugés » (p.173). Claude Lévi-Strauss aimait à répéter : « C'est dans l'homme même qu'il faut étudier l'homme : il ne s'agit pas d'imaginer ce qu'il aurait dû ou pu faire, mais de regarder ce qu'il fait. »
Il me semble, de ce fait, plus important de repenser la question de la diversité culturelle dans son ensemble, à travers les paramètres d'Hérodote et la réflexion de Claude Lévi-Strauss en essayant de l'aménager dans un espace mondialisé car la laïcité telle qu'elle s'est appliquée jusqu'à aujourd'hui l'a toujours été, selon certaines conditions historiques dans des États-nations monoculturels.
J'ai privilégié l'approche anthropologique car elle me paraît structurale et neutre même si elle a besoin, bien entendu, d'être renforcée par d'autres valeurs d'humanisme et de spiritualité. Mon approche, tout en étant partielle, ne se veut pas réductrice, elle tente de poser dans des termes concrets, exacts et précis la problématique de la laïcité dans la diversité culturelle, sans prétendre en aucun cas la résoudre ou l'épuiser.

Bahjat RIZK
4 décembre 2009 - Kaslik
1- Hérodote, père de l'anthropologie antiqueHérodote, le père de l'histoire, avait défini comme suit, il y a 2 500 ans, les paramètres de structuration identitaire collective : « Le monde grec est uni par la langue, le sang, les sanctuaires et les sacrifices qui nous sont communs et nos mœurs qui sont les...

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