Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Un cèdre à la mer…

Par Hala MOUBARAK
C'est un magnifique paysage qui s'offre à nos yeux. Un goût de rêve qui allèche nos papilles. Un cèdre libanais, en bonne et due forme au milieu de la mer Méditerranée.
Magnifique !
Et avant même de trouver l'immense immeuble qui va recevoir le poster gigantesque du projet, et l'énorme campagne publicitaire pour promouvoir l'absurdité, c'est à coup d'emails et d'articles que nous fûmes mis au courant de cet artifice superflu, à l'image des pays arabes.
Magnifique. Vraiment.
Un cèdre, en plan, au milieu des vagues.
Moi qui croyais que cet arbre avait besoin de montagnes et de neige pour pouvoir respirer à pleins poumons... Non, je suppose encore une fois que je me suis trompée.
Un cèdre libanais n'a aucun problème pour trouver son implantation au milieu des vagues. Ça peut faire très joli, voire même recherché.
Je dirais même plus : conceptuel !
Il va falloir, encore une fois, revoir notre folie des grandeurs, et ainsi, notre petit territoire se verra agrandi de quelques kilomètres. On aura une île qui, de surcroît - et très conceptuellement -, aura la forme d'un cèdre.
Que du positif.
Il y aura des emplois, moins de chômage ; les architectes qui auront envie de rentrer au pays, ou qui ont dû malgré eux ranger famille, bagages et ambitions, pourront s'adonner corps et âme à la construction d'un projet urbain, cousin germain des palmiers de Jumeirah. Nous avons l'expérience, justement, de ces projets gigantesques où l'homme n'est malheureusement plus qu'une fourmi à écraser face à des structures rocambolesques. Sauf que, pour pouvoir survivre, on le faisait pour les autres. Eux...
Et qui veut une tour pour pouvoir investir ?
Boucle d'or ?
Je suis restée ébahie face à ce projet dont tout le monde parle aujourd'hui avec enthousiasme.
Architecte de formation, et ayant assez d'intelligence pour voir au-delà du taux de chômage qui va diminuer, je me suis posé quelques questions qui ont un peu plus de fondements, et qui n'ont pas la résonance de Madame qui me dit ce matin : « Tu sais combien coûte le mètre carré ? »
Pourquoi ne pas nous investir dans des projets un peu plus proches de la réalité ? Pourquoi ne pas créer des emplois en puisant au milieu de ressources que nous avons déjà ? Pourquoi ne pas construire des hôtels à Baalbeck, à Anjar, et promouvoir le tourisme ? Pourquoi ne pas réhabiliter notre côte, et intervenir en tant qu'architectes à Tyr ou Sidon ?
Pourquoi ne pas aller vers le Akkar, et améliorer le niveau de vie de ces paysans qui n'ont même pas l'électricité pour se réchauffer en hiver ? Implanter ainsi des préfabriqués, grâce à une ONG...
Pourquoi ne pas s'engager auprès des artisans et perpétuer ce travail condamné à disparaître un jour ?
Et tant et tant et tant de pourquoi.
Investir et encore investir. Sans aucun fondement moral, et humain.
Je vois déjà le paysage... Magnifique !
On ressemblera à New York bientôt, en moins bien.
On aura perdu en cours de route la maison libanaise et ses arcades, l'ombre des oliviers, et les vestiges romains. On sera quitte avec les pays arabes, et on devra suivre leur rythme de folie. Construire et construire, sur du faux, du bluff et des images pour se vendre...
Un pays touristique pour un cèdre au milieu de la mer, et non plus pour Byblos, ou pour les soirées de Gemmayzé au rythme d'un jazz oriental.
On n'ira plus du côté de la mer voir le verre soufflé du Sarafand, et nos enfants trouveront qu'une tour fait beaucoup plus d'effet que la pierre taillée de la maison de ma grand-mère.
On s'endettera pour pouvoir se payer l'appartement de grand luxe, bien au-dessus de nos moyens, au lieu d'aller à la recherche du petit abri aux saveurs d'huile d'olive.
Et vous allez me dire que c'est normal, que c'est ainsi qu'un pays grandit et va de l'avant.
Adieu mes promenades à Ehden, et mes journées arrosées au milieu des vignes du terroir de Massaya.
Peut-être avez-vous tous raison. Peut-être suis-je tout simplement aveugle. Peut-être que tous ces magnifiques projets sont notre avenir.
Mais j'ai tout le droit de refuser.
Au moins, il me reste cela. Écrire le désarroi que peu de personnes lisent au fond de mes yeux.
Mes engagements m'appartiennent et j'y tiens.
Ce que je sais, et ce qui me fut inculqué dès ma tendre enfance, c'est que le cèdre, notre cher cèdre libanais, flotte au milieu de notre drapeau national. Et nulle part ailleurs.
Mais voilà, je me suis trompée encore une fois. Qu'on me jette la première pierre. Ingrate que je suis, à rester tant attachée aux principes de cette terre qui m'a nourrie.
C'est un magnifique paysage qui s'offre à nos yeux. Un goût de rêve qui allèche nos papilles. Un cèdre libanais, en bonne et due forme au milieu de la mer Méditerranée. Magnifique ! Et avant même de trouver l'immense immeuble qui va recevoir le poster gigantesque du projet, et l'énorme campagne publicitaire pour...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut