Rechercher
Rechercher

Liban - À la tête du « pôle religions » au Quai d’Orsay

Joseph Maïla à « L’Orient-Le Jour » : « Le Liban symbolise jusqu’à la déchirure les contradictions du monde arabe »

La presse française l'a déjà surnommé le « M. Religion du Quai d'Orsay ». Joseph Maïla n'est plus à présenter. Cet intellectuel catholique, natif du Liban, professeur et expert en islam et en sociologie des conflits, ancien recteur de l'Institut catholique de Paris et fondateur du Centre de recherche sur la paix, gère, depuis juin 2009, le « paradoxe français », pour reprendre le titre du Christian Science Monitor, à savoir une cellule chargée, au ministère français des Affaires étrangères (MEA), d'intégrer le facteur religieux dans la réflexion diplomatique de la France laïque républicaine. Une idée pionnière avancée par Bernard Kouchner, qui a eu l'occasion de constater, durant sa foisonnante carrière à la tête de Médecins du monde, puis en tant qu'homme politique, que « toutes les guerres que j'ai connues (du Liban au Kosovo et au Sri-Lanka) comportaient, à des degrés divers, une dimension confessionnelle et religieuse ».
Kouchner avait été frappé que la culture française, imprégnée des idéaux de la laïcité, ne prédisposait pas les diplomates aux sensibilités religieuses qu'il est nécessaire de prendre en compte dans les médiations et la résolution des conflits auxquelles ils sont nécessairement amenés dans l'exercice de leurs fonctions. Aussi, pour remédier à ce manque, a-t-il confié à Joseph Maïla le soin de diriger un « pôle religions » au sein de la Direction de la prospective.
Pour nous expliquer les attributions et la finalité de ce pôle qu'il pilote avec une habileté d'acrobate et une intelligence aiguë du poids du religieux dans les comportements des hommes et des nations, avec toute la subtilité aussi que lui confère son background personnel et sa connaissance de l'Orient, Joseph Maïla s'est prêté aux questions que soulève sa fonction. Toute prise de position ou entretien journalistique exige de lui qu'il négocie un compromis délicat entre sa volonté de pousser jusqu'au bout la logique analytique de l'universitaire et le devoir de réserve auquel son nouveau statut de fonctionnaire de l'État français l'astreint. Avec, en filigrane, le principe de laïcité qui est le socle sur lequel reposent les valeurs de la République française. « C'est le principe régulateur de cette fonction, et de l'ordre interne », dit-il clairement.

Laïcité et lunettes religieuses
Question - Certains estiment qu'il y a contradiction, ambiguïté, entre les valeurs de la France laïque et républicaine et le fait de créer un « pôle religions » au sein du ministère des Affaires étrangères. La France laïque vient de doter sa diplomatie d'une paire de lunettes religieuses.
Réponse - « Il n'y a là aucune contradiction. Sur le plan interne, la laïcité est fondamentale dans la construction de l'État français et son positionnement vis-à-vis des religions. Elle est un principe de régulation de l'ordre interne, pas international. Quand il crée ce pôle, le Quai d'Orsay prend en considération un paramètre important si l'on veut étudier une question internationale sous tous les angles. Comme l'a réaffirmé le ministre Kouchner, la prise en compte du facteur religieux est un outil de modernisation de la diplomatie française, et une adaptation à la mondialisation.
Dans nombre de pays, la question religieuse joue un rôle important : au Proche-Orient, aux États-Unis, avec la droite évangélique, le bouddhisme et la résistance nationaliste au Tibet, l'islam dans le monde, le nationalisme indien, le conflit israélo-palestinien, où il va sans dire que ce conflit est certes nationaliste (revendication de deux peuples sur une même terre), mais il y a Jérusalem, qui pose un véritable problème au plan de son symbolisme religieux, la dimension religieuse des lieux saints, les revendications du Hamas.
Mais il existe aussi des questions à dimension religieuse, certes passionnelles mais apaisées. Passionnelles car elles mobilisent l'esprit et le cœur, mais apaisées car elles ne passent pas par la violence. La question de la laïcité, par exemple. On l'a vu dans la Charte des droits européens, dans le traité de Lisbonne, toute la querelle sur les racines chrétiennes de l'Europe. Et aujourd'hui, face à l'immigration, la question de la laïcité se pose dans tous les pays européens : quelle visibilité accorder aux religions des nouveaux immigrants, que devient le paysage multiculturel et multireligieux dans des pays où dominait une seule religion, alors qu'aujourd'hui, on a affaire à un paysage contrasté, nuancé, de coexistence de plusieurs religions. Il y a 30 ans, ces questions ne se posaient pas. »

De nouveaux thèmes de réflexion
Q- Comment comptez-vous procéder au sein du pôle ? Votre travail est-il surtout avec les diplomates, ambassadeurs, ou allez-vous organiser d'autres colloques ?
R- « Nous sommes un service au sein du ministère, notre vocation n'est pas de faire des colloques, mais nous aurons recours aux universités françaises pour associer des spécialistes à la réflexion sur certains sujets. Trois grands thèmes se posent : les religions et les conflits, la religion et la laïcité en Europe, et les questions de type social qui se posent sur le plan international. Par exemple, le débat sur les droits de l'homme et la charia, où certains contestent l'universalité des valeurs, question soulevée à la réunion de Durban II à Genève en avril dernier, sur la discrimination, la notion de diffamation des religions, de blasphème (cas des caricatures de Mahomet), le débat sur l'homophobie, les orientations sexuelles et l'homosexualité... Dans ces débats, les religions ont peu ou prou leur mot à dire, sur des questions un peu sensibles, bioéthiques ou d'éthique sexuelle. Il y a aussi le dialogue des cultures et des religions. Le ministre Kouchner avait constaté qu'il n'y avait pas de cadre pour traiter de ces questions au Quai d'Orsay car elles sont nouvelles, d'une certaine manière. Elles supposent une expertise plus ciblée sur les dimensions religieuses. »

Q- Ces questions seront-elles traitées avec plus d'empathie ? S'agit-il de rentrer dans la mentalité de l'autre ?
R- « Notre démarche vise essentiellement à reconnaître le fait religieux comme une dimension des réalités internationales, savoir comment la religion informe le comportement des individus, dicte la politique des États, commande des postures symboliques sur le plan international.
Le pôle religions doit accompagner des phénomènes contemporains, les analyser, les comprendre et proposer des éléments de positionnement du gouvernement français sur toutes ces questions. Ex : wilayet el-faqih, en Iran. Il s'agit de comprendre de quoi on parle.
Cela demande des compétences de chercheur et d'universitaire, mais nous ne faisons pas un travail d'universitaire. Une connaissance du religieux qui est presque celle du religieux, mais on ne fait pas de religion. On reste dans le service de la politique étrangère française. »

Q- Le président Sarkozy a prôné la « laïcité positive ». Est-ce qu'elle a favorisé une ouverture sur le religieux ou est-ce une nouvelle conception de la laïcité ?
R- « Elle dit que la France reste laïque mais qu'il faut donner une nouvelle visibilité aux religions, et qu'il faut qu'il y ait un dialogue entre l'État et les religions. Elle concerne l'ordre interne. Cependant, cette ouverture sur les religions, et notamment la création du pôle religions, est favorisée par ce climat de laïcité positive qu'a voulu le président.
En réalité, on ne peut plus faire de politique étrangère de manière classique, en se basant uniquement sur l'évaluation de la puissance militaire d'un État, de son PIB, et de ses ressources énergétiques. Il y a de nouveaux facteurs liés à la mondialisation, qui dictent des comportements, motivent des intérêts : le développement durable, le processus de Copenhague sur le réchauffement climatique, les pandémies, l'environnement. »

Le Moyen-Orient et le Liban
Q- Le Moyen-Orient est une région centrale qui monopolise la diplomatie internationale. Dans quelle mesure cette région va mobiliser vos efforts ?
R- « Le Moyen-Orient est une région fascinante, tragique et qui nécessite une connaissance plus approfondie du rôle des religions dans les crises qui s'y déroulent. Cela va du conflit israélo-palestinien, à la situation en Irak, au Pakistan, en Afghanistan, en Iran, en Inde et jusqu'en Chine et en Indonésie. Il y a une série de tensions interethniques, intercommunautaires, souvent motivées par des compétitions économiques, la lutte pour les ressources et la distribution des richesses, mais qui s'habillent de religieux. »

Q- Et le Liban ? Que représente-t-il au sein du monde arabe ? Un modèle ou une complexité difficile à résoudre ?
R- « Le Liban est véritablement un laboratoire, même si ce mot a été trop utilisé. Le Liban présente un véritable résumé des questions de la modernité arabe : la question de l'État, du rapport aux religions, de l'ouverture sur le pluralisme des cultures, des langues, des religions, la question des libertés, notamment la liberté d'expression, des idées, de la presse. Il est véritablement une vitrine de toutes les composantes de la réalité arabe contemporaine, qui a du mal à faire la synthèse de tout ça et à amorcer une ouverture sur la modernité. Le Liban symbolise jusqu'à la déchirure ces contradictions. »

Q- Quid du système communautaire libanais, avec ses atouts mais aussi les handicaps qu'il génère au niveau d'un fonctionnement sain de l'administration. Est-ce que la laïcité au Liban serait une solution ?
R- « Le pôle religions n'a pas vocation à proposer des modèles. Le pluralisme communautaire a été constitutif de l'idée libanaise. S'il n'y avait pas acceptation du pluralisme, il n'y aurait pas eu la création d'un État destiné à faire se communiquer entre elles des communautés dispersées sur son territoire. Je crois qu'un pays est d'abord le reflet des mentalités de son peuple et des nécessités de faire coexister, selon un modèle agréé par tous, des populations qui peuvent avoir des aspirations différentes. J'envisage la question de manière très pragmatique. Je sais que cette question du communautarisme est quasi idéologique, elle suscite des passions. Ce qui est important, c'est de se demander quel est le modèle qui fait vivre les communautés entre elles. Une fois qu'on a répondu à cette question, il faut se demander comment faire pour approfondir la solidarité et affaiblir le communautarisme. »

Obama et le prix Nobel
Q- L'attribution du prix Nobel de la paix à Obama n'est-elle pas un signe que le religieux prend une plus grande importance sur le plan international ? N'est-ce pas la conférence du Caire et la main ouverte au monde musulman qui a motivé ce prix ?
R- « À mon avis, et c'est un avis strictement personnel, il y a une part de religieux, c'est le discours du Caire, qui représente ce qu'on peut appeler une diplomatie réparatrice, comme les grands discours sur les pardons. Je pense à la réconciliation franco-allemande : on dit dans le discours que la page est tournée, qu'on tend la main. Obama dit que l'Amérique n'est pas l'ennemi des musulmans. De ce point de vue, il joue sur le religieux. Mais à mon avis, je crois que ce qui a emporté la conviction du jury du prix Nobel, c'est plutôt la proposition américaine de vote au Conseil de sécurité pour un monde dénucléarisé. C'est cette idée d'un président de la première puissance militaire du monde qui dit : J'appelle de mes vœux la naissance d'un monde sans armes nucléaires. Sur le plan de la démarche, c'est ça qui a frappé fondamentalement l'imagination du jury, et ils ont voulu encourager cette orientation. »
La presse française l'a déjà surnommé le « M. Religion du Quai d'Orsay ». Joseph Maïla n'est plus à présenter. Cet intellectuel catholique, natif du Liban, professeur et expert en islam et en sociologie des conflits, ancien recteur de l'Institut catholique de Paris et fondateur du Centre de recherche sur la paix, gère,...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut