Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

D’un Taëf non amendable à un Taëf non applicable

Par Hyam MALLAT
Jean Giraudoux se plaisait à écrire que « les politiciens réservent leur véritable haine pour leurs compatriotes ». Comment s'en étonner puisque, plus de quatre mois après les élections législatives, la mise en train du gouvernement continue à se faire attendre par des citoyens outrés et par leurs chers politiciens - chers à plus d'un titre, comme il n'est plus nécessaire de le rappeler.
Reste que la plus cruelle des énigmes reste la surdité de nos politiciens.
Pourquoi ?
Parce que la politique du Liban est, bien malheureusement, affaire du moment et non de la durée.
Parce que la politique est désormais affaire de personnes et non de projets.
Parce que la formation du gouvernement dépend bel et bien de composantes régionales qu'il est infantile de dénigrer et de rejeter.
Et c'est parce que la politique au Liban est cela et plus que cela, qu'il ne reste plus de place à l'État. Et c'est pourquoi les trois discours du président de la République, le général Michel Sleiman, du 1er août à l'École militaire, de l'iftar présidentiel et aux Nations unies représentent un témoignage d'honnêteté politique dans une société se complaisant dans la corruption morale.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit. D'une formidable corruption morale qui pousse les politiciens à faire leur cour et non à faire leur devoir.
Et c'est à partir de ce moment-là que la société politique entre dans une décomposition morale exigeant redressement et renouveau.
Que faire alors ?
Un constat tout d'abord. Sur le plan strictement constitutionnel, la dichotomie entre le discours politique et le discours électoral a conduit à la situation que nous connaissons. Il est vain d'invoquer les principes de la démocratie étudiée dans les facultés de droit dans un pays multicommunautaire comme le Liban où la satisfaction de chacun passe par la satisfaction de tous.
C'est pourquoi nous nous retrouvons dans cette situation où la formation du gouvernement doit inclure à peu près non point uniquement toutes les familles spirituelles du pays, mais également leurs composantes politiques, car telle est la force constitutionnelle du Liban qui exige que la majorité et l'opposition soient de concert pour décider et exécuter.
Mais cet état sociopolitique que nous avons toujours reconnu - car il traduit en réalité les composantes sociohistoriques de la formation du Liban - ne doit-il pas correspondre à un exercice de la politique sur des fondements de loyauté et de probité ?
C'est en quoi les discours du président de la République sont là pour nous rappeler les contraintes de notre politique où le comportement des autorités publiques fait de sagesse et de circonspection doit remédier à tout ce que la Constitution a de fâcheux. Car nous sommes dans une situation limite où l'accord de Taëf ne peut être amendé et ne peut être intégralement appliqué. En effet, l'amendement de Taëf exige considérations internationales, régionales et locales. Aucune n'étant vérifiée à l'heure présente - et sans doute pas avant longtemps -, il est vain d'en parler ou de provoquer l'opinion par de quelconques déclarations intempestives, car hors des réalités, il n'existe aucune politique qui compte.
Reste à envisager l'application totale. Mais l'accord de Taef, dont certaines résolutions ont été introduites dans la Constitution, est tellement léger que loin d'équilibrer les pouvoirs, il en a tout simplement transféré une forte partie sans considération ni conscience. Or, on ne rejette pas inconsidérément ce que l'évolution de l'histoire a forgé, comme c'est le cas, en matière d'institutions libanaises, passant de l'émirat au moutassarrifiyya et à la République, sans risquer à terme des situations de crise. Or, tel a été le cas avec les amendements constitutionnels de 1990, dont certains termes frisent tellement l'inconscience politique et historique qu'il est nécessaire d'en rappeler l'indignité.
Ainsi en est-il de cette disposition honteuse de l'article 56 autorisant la promulgation de décrets non revêtus de la signature présidentielle passé quinze jours de la transmission du projet à la présidence de la République. Je voudrais bien savoir quel pays reconnaît pareille disposition constitutionnelle. En effet, si le président de la République ne signe pas un décret, c'est bien parce qu'il existe un problème politique pour ne pas signer. Et un problème politique se règle politiquement, dans un pays démocratique, et non administrativement.
Ainsi en est-il également de cet article 95 relatif à l'abrogation du confessionnalisme.
Abolir le confessionnalisme au Liban ? Je voudrais bien voir cela, car le confessionnalisme, pour peu qu'on veuille le considérer honnêtement, n'est pas la honte et la tare de notre système politique, mais bien de nos politiciens. Ceux-ci, l'ayant appliqué à leur manière dans des positions et des engagements incongrus, et des soutiens injustifiés à des personnes de peu de qualité pour leur nomination à des postes de responsabilité, ont fait de la corruption morale un modèle d'exercice du système politique.
Parler et s'engager sur ce qu'on ne peut faire - et ne pas s'engager sur ce qu'on peut faire -, telle est la triste situation politique et administrative. Les grandes catastrophes nationales que représentent l'électricité, l'eau, les services de santé, l'emploi décent, l'éducation sont abordées du bout des lèvres pour ne parler que de ce qui dépend des autres. Et à cette situation malheureusement triste, seuls des projets de performance historique peuvent ouvrir la voie à des changements souhaités sans heurts, exactions ou haine.
C'est pourquoi les politiciens de l'insuffisance ne peuvent trouver leur correction que par des projets culturels et sociaux, véritables moteurs du changement qui permettront de neutraliser les armes et les âmes en leur faisant espérer un autre Liban que celui des mots.
Telle est la mission de l'État. Le nouveau gouvernement que nous espérons saura-t-il être à la hauteur des espérances dans ce Proche-Orient tourmenté par l'histoire et les hommes ? Il faudra pour cela relire tranquillement les trois discours du président de la République pour savoir si les politiciens libanais sont à même de rejoindre les espérances des citoyens libanais.

Hyam MALLAT
Avocat et professeur.
Ancien président
du conseil d'administration
de la Caisse nationale
 de la Sécurité sociale
et des Archives nationales
Jean Giraudoux se plaisait à écrire que « les politiciens réservent leur véritable haine pour leurs compatriotes ». Comment s'en étonner puisque, plus de quatre mois après les élections législatives, la mise en train du gouvernement continue à se faire attendre par des citoyens outrés et par...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut