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Spécial Beyrouth capitale mondiale du livre 2009

Qui lit quoi au Liban?

Le Libanais lit. Hélas pas autant que le souhaitent les esprits littéraires aiguisés, mais suffisamment pour encourager les librairies à se diversifier et devenir de plus en plus pointues, répondant ainsi à tous les créneaux d'une clientèle exigeante et avisée.
Lire, c'est un plaisir et des habitudes. Des rituels qui commencent au moment d'acheter un livre et s'achèvent à l'instant sacré, ce moment de solitude où s'effectue le plongeon, un voyage dans un autre monde.
Certains lisent pour se divertir, d'autres pour se cultiver ou apprendre. De 7 à 77 ans, moins ou plus, selon affinités, le Libanais a sa librairie de prédilection, souvent en fonction de ses sensibilités, de sa proximité, des conseils et, bien sûr, de la sélection proposée. Parmi les plus anciennes ou les plus intéressantes, quatre d'entre elles, qui s'éloignent parfaitement de l'esprit «supermarché du livre», dessinent le(s) profil(s) de leurs lecteurs. Qui des deux guide l'autre? L'adaptation, qui ressemble à un dialogue, un pas de deux, semble se faire dans une connivence secrète.
La Librairie Orientale, une institution qui date de 1946, se définit comme une librairie de livres diversifiés certes, mais aussi une librairie d'éditeurs, de livres religieux, intrinsèquement liée à Dar al-Machreq, Dar al-Majani et aux jésuites. Outre le livre scolaire et ses nombreuses publications, elle trouve sa force dans les ouvrages d'art et ceux qui concernent le patrimoine libanais et moyen-oriental. «Notre lecteur cherche le beau livre, principalement en langue française et accessoirement anglaise, précise le PDG de la Librairie Orientale, Maroun Nehmé. Si ce marché a été ralenti, ce n'est pas à cause d'une clientèle qui se perd, mais principalement en raison de la cherté de l'euro. Nous sommes également recherchés, poursuit-il, pour nos livres sur le patrimoine qui n'intéressent pas que les orientalistes ou les professionnels en la matière. Mais toutes celles et ceux qui aiment la littérature touchant l'Orient. Des livres écrits par des personnes vivant ailleurs et qui gardent en tête l'image fiction du pays tel qu'il était. L'imaginaire est encore plus complexe, précise-t-il. Il y a la politique et l'histoire de cette partie du monde, mais aussi tout ce qui est écrit par un journaliste intéresse également le lecteur. Puis, ces dernières années, est né un engouement pour les romans en arabe, faits surtout en Égypte. Cela avait commencé avec ceux de Naguib Mahfouz, pour continuer avec le fameux Immeuble Yacoubian. La langue arabe est dans ce cas très appréciée. Le roman français ne s'adresse au lectorat qui fréquente assidûment nos librairies que le jour où l'auteur atteint une certaine notoriété.» Le client de la Librairie Orientale, tant à Achrafieh qu'à Sin el- Fil, est âgé de 50 à 70 ans. Cultivé, un peu chercheur, il est souvent français ou étranger habitant le Liban. «À Sin el- Fil, souligne Maroun Nehmé, notre visiteur, car il s'agit là d'une véritable visite, aime bouquiner, prendre son temps et savourer le coin consacré aux livres anciens. Hamra est fréquentée par un autre lectorat, plus mélangé, qui achète surtout des livres en anglais puis en arabe.»

Clientèle et point
de vente diversifiés

Pour la Librairie Antoine et ses multiples points de vente, Sin el-Fil, Achrafieh, ABC Dbayé, Baabda, Métro supermarket, Centre Dunes, Tripoli, ABC Achrafieh et enfin le campus de l'AUB, de nombreux et différents profils se dessinent. «Les stocks varient selon les branches, nous explique Nancy Azoury, responsable libraire à la branche d'Achrafieh. «Ici, nous avons des clients réguliers depuis au moins 10 ans. Ils s'adressent au responsable avec qui ils ont l'habitude de discuter et qui sait les conseiller. Le service personnalisé est très important pour eux comme pour nous. Ils ont en général entre 40 et 60 ans et sont en grande majorité francophones. Ils s'intéressent à la littérature, aux romans, aux essais, aux policiers, à l'histoire de France, les biographies et les livres en relation avec l'actualité. Ils sont très bien informés de toutes les nouveautés.» La demande de livres arabes est nettement inférieure. Pour mettre en évidence ses ouvrages, la librairie a aménagé un étalage au rez-de-chaussée, le sous-sol étant «sous-exposé».
Pour les librairies situées dans les malls, le profil diffère et le public est plus jeune (19 à 35 ans). Pour sa part, Antoine a récupéré de nombreux clients déçus par le manque de respect évident que certains «supermarchés du livre» affichent pour leurs ouvrages, souvent mal exposés, voire maltraités. «Dans les malls, nous vendons surtout des livres d'art en «self-service», car l'acheteur sait ce qu'il veut et repère très vite ce qu'il recherche. Son but est souvent de faire un cadeau. Cette clientèle est mélangée et lit d'avantage d'ouvrages en anglais.» Hamra, enfin, plus cosmopolite en raison de la proximité des universités, est fréquentée par un public de 25 à 40 ans et des touristes à la recherche de livres sur l'histoire du Liban.» À chaque client donc son point de vente.

Passage obligé
La Librairie al-Borj, la plus jeune de ces institutions, s'est installée dans le centre d'une ville qui en a vu de toutes les couleurs. Tributaire de développements sécuritaires qui ont retardé son épanouissement, elle a vu sa clientèle se constituer peu à peu. Il y a, bien évidemment, les touristes qui visitent ce passage obligé, centre de toutes les curiosités ; les Libanais de l'étranger en vacances au pays et aussi certains habitués qui apprécient le caractère particulier des lieux. «Nos lecteurs lisent indifféremment dans les trois langues, précise Michel Choueiri, directeur général. Avec une petite préférence pour la langue arabe d'abord, puis française avant l'anglais. Ils s'intéressent à la littérature, les livres jeunesse et les livres d'art et ont leurs auteurs préférés. Notre secteur jeunesse est particulièrement développé en arabe, nous proposons les publications de la plus grande partie des maisons d'édition importantes. De même que nous avons un coin prévu pour des lectures et autres animations qui invitent le lecteur à une interaction, sur place. Nos livres d'art sont très demandés, nous y portons un soin particulier, ainsi que les guides, tout ce qui se rapporte au Liban, essais, ouvrages d'art, littérature libanaise et moyen-orientale. Nos clients viennent surtout pour lire et acheter des livres d'histoire, de politique et de sociologie un peu vulgarisée. Nous ne sommes pas académiques, le scolaire n'est pas du tout notre domaine». La Librairie al-Borj accueille ses visiteurs, monsieur, madame tout le monde, à partir de 19 ans, les mamans et les personnes qui travaillent dans le quartier, à toutes les saisons, avec un petit regain d'affluence la saison d'été et aux fêtes.
La librairie Stephan, spécialisée dans la jeunesse, attire forcément une grande partie des lecteurs dits jeunes, essentiellement francophones. «Des Français, mais également des Espagnols, qui achètent des ouvrages en langue française», nous dit-on. «Nous avons 10% de livres anglais et bien moins d'ouvrages en arabe.» Dans la branche d'Achrafieh, le client vient surtout pour la section jeunesse et les bandes dessinées qui font la réputation de la librairie. Puis pour les romans, et notamment les romans édités par France Loisirs, au 2/3 du prix normal. «Certains romans paraissent dans cette édition avant même leur publication officielle.» Le point fort de la Librairie Stephan Furn el-Chebbak, qui est certainement moins fréquentée que la «maison mère», est la location de livres, romans, livres pour enfants et BD. Le lecteur, forcément jeune ou étranger, qui n'est pas un voisin mais un habitué, vient spécialement emprunter sa part de rêve. Un exercice rare, par manque d'opportunités, qui encourage la lecture dans un pays où le citoyen lit peu et où acheter un livre, quel qu'il soit, est devenu un véritable investissement !
Lire, c'est un plaisir et des habitudes. Des rituels qui commencent au moment d'acheter un livre et s'achèvent à l'instant sacré, ce moment de solitude où s'effectue le plongeon, un voyage dans un autre monde. Certains lisent pour se divertir, d'autres pour se cultiver ou apprendre. De 7 à 77 ans, moins ou plus, selon affinités, le Libanais a sa librairie...