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Liban - 24 heures avec... Un chien errant

Signé : le meilleur ami de l’homme

Amicaux ou dangereux, errant la nuit dans les villes ou sur les routes de montagne, les chiens des rues constituent un danger pour la société et pour eux-mêmes, lorsqu'ils sont obligés de redevenir sauvages pour survivre. Plusieurs associations tirent la sonnette d'alarme et rappellent qu'il existe des moyens de résoudre ce problème.
Le poil épais, mais assombri par la poussière et la fatigue, les oreilles fièrement dressées, mais affaiblies par le bruit de la ville, les yeux vifs, mais meurtris par la lumière des phares, je vis la nuit et je suis le maître des rues de Beyrouth. Je suis né en Ukraine, il y a 4 ans, mais en âge de chien, cela en fait à peu près 30. Je viens d'une famille prestigieuse, celle des bergers allemands, et on m'a fait venir au Liban juste après ma naissance, pour servir de compagnon à une petite fille, dans une famille vivant au septième étage d'un grand immeuble gris.
Au bout de quelques mois, jugeant que j'occupais trop d'espace dans leur appartement, et que mes repas leur coûtaient trop cher, mes propriétaires décidèrent de se séparer de moi. Sans façon, malgré les larmes de ma jeune amie, et malgré mes protestations peut-être difficiles à comprendre pour un humain, je fus conduit en voiture jusqu'à un terrain vague à quelques kilomètres de la maison et j'y fus abandonné sans plus de cérémonie. J'ai évidemment tenté de revenir et j'ai retrouvé mon chemin aisément grâce à mon flair infaillible, mais je ne fus accueilli que par une porte fermée et un concierge en colère qui me lança des pierres pour que je rebrousse chemin.
Quelle vie de chien ! Être séparé de sa famille, transporté en avion jusqu'à un autre continent pour être pomponné par une petite fille pendant six mois avant d'être abandonné derrière un buisson et livré à soi-même dans une ville inconnue... J'ai quand même eu de la chance de m'en être bien tiré. J'ai trouvé mes repères dans les rues, je fais partie d'une bande qui me protège, et j'ai de quoi survivre autour de moi. Il n'est pas difficile de trouver un endroit où dormir : des dizaines de bâtiments désaffectés et de jardins abandonnés peuvent nous héberger.

Vivre près des poubelles
Je ne suis pas dangereux. Vous pouvez venir me parler, me caresser, et ça me fera plaisir. J'essaie parfois de m'approcher de vous pour devenir votre ami, mais vous avez souvent peur, et vous dîtes à vos enfants de m'éviter. Vous avez sans doute raison. Traîner toute la nuit dans les rues sombres, entre les flaques d'eau sale et les voitures folles, ce n'est pas bon pour le moral, et ça rend certains de mes compagnons un peu difficiles à vivre, voire violents. La faim et le danger peuvent venir à bout du meilleur des chiens - il faut parfois savoir redevenir sauvage pour survivre.
Nous vivons près des poubelles. Si les habitants humains de Beyrouth veulent se débarrasser des chiens errants, ils doivent d'abord trouver une solution à leurs problèmes d'ordures. Car nous nous nourrissons des restes de viande que nous trouvons à l'arrière des restaurants et des déchets qui traînent dans les rues. Nous pouvons aussi nourrir nos enfants, qui grandissent vite et bientôt font grandir notre nombre. On nous considère comme un problème pour la société - mais nous ne serions pas aussi nombreux si la société elle-même n'avait pas ses propres problèmes, comme la saleté des rues. J'ai lu dans les journaux qu'une ville du Sud a décidé, cet été, de mener une campagne efficace pour éradiquer mes semblables, qui semblaient être de plus en plus nombreux et de plus en plus atteints par des maladies contagieuses. Il se trouve que cette ville connaissait justement, au cours de la même période, un problème de collecte des déchets - tous les restes de nourriture abandonnés dans la rue avaient attiré les chiens des environs.
Il y a beaucoup de moyens de régler le problème. Nous ne demandons qu'à faire partie de la société, nous ne voulons pas être des parias et faire peur aux gens. Plusieurs associations ont pris l'initiative de s'occuper de nous et nous invitent à dormir dans des refuges où nous sommes soignés, nourris, et où nous pouvons rencontrer des amis humains prêts à nous offrir une nouvelle famille.

Bonnes ou mauvaises solutions
Au lieu de cela, contents de trouver une occasion de sortir leurs fusils de chasse, certains humains préfèrent nous tirer dessus et abandonner nos cadavres dans la rue. Plus sournois, d'autres illuminés ont organisé des opérations pour nous tuer en semant de la nourriture empoisonnée dans les quartiers que nous fréquentons, comme l'année dernière à Sin el-Fil. J'y ai échappé, mais plusieurs de mes amis sont morts en mangeant des morceaux de viande qui contenaient un poison que nous ne pouvons pas flairer. Sans compter tous ceux qui sont morts renversés par des voitures, et qui ont parfois provoqué des accidents en traversant la rue au mauvais moment.
Je finirai peut-être comme ça, dans quelques années. Usé par la rue, j'aurai perdu mes réflexes et mon bon sens, et je me laisserai mourir comme un humain. La vie sauvage dans une grande ville est dangereuse pour moi et je peux devenir dangereux pour les autres, même sans le vouloir. De nouvelles lois sont nécessaires pour nous sauver et nous empêcher de faire du mal autour de nous. Il faut réglementer l'importation des animaux pour favoriser l'adoption des chiens locaux, au lieu de laisser importer des gens comme moi : mon voyage a coûté une fortune et j'ai fini abandonné dans la rue pour me transformer en danger public. Il va sans dire que les humains qui adoptent des animaux devraient être mieux suivis. Vaccins, immatriculation, taxes : les moyens ne manquent pas pour rappeler aux familles qu'un chien n'est pas un jouet, mais une responsabilité importante.
Vous ne me voyez pas souvent, parce que je préfère rester caché, pendant la journée, pour ne pas être poursuivi. Je sors plutôt la nuit et je suis désolé pour ceux à qui je fais peur. Mes compagnons et moi devons parfois répondre à des instincts primaires pour ne pas nous laisser mourir, mais je ne demande qu'à pouvoir vivre en paix avec vous. C'est ce que je vous dirais, au lieu d'aboyer et de mordre, si je savais vraiment écrire.
Le poil épais, mais assombri par la poussière et la fatigue, les oreilles fièrement dressées, mais affaiblies par le bruit de la ville, les yeux vifs, mais meurtris par la lumière des phares, je vis la nuit et je suis le maître des rues de Beyrouth. Je suis né en Ukraine, il y a 4 ans, mais en âge de chien, cela en fait à peu...

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