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Nos Lecteurs ont la Parole

La sardine qui a bloqué le port de Marseille

Par Georges TYAN
La sardine qui a bloqué le port de Marseille n'était donc pas une blague marseillaise. L'histoire, qui dit-on est un éternel recommencement, s'est déroulée cette fois chez nous. Le processus gouvernemental s'est enrayé. Et vogue la galère ! En attendant, c'est nous qui galérons ; les centres de décision sont inexistants, les ministres supposés gérer les affaires courantes sont aux abonnés absents, ils pleurent à qui mieux mieux des prérogatives qu'ils n'ont jamais eues, le mode d'emploi ayant été escamoté à leur prise de fonction.
Nous repartons pour un nouveau tour de consultations sans surprises, Saad Hariri sera de nouveau le seul nominé aux oscars de la République et tentera de former un gouvernement qui, cette fois, j'espère, omettra le terme union.
Union de quoi, entre qui, contre quoi ?
Contre les dangers qui guettent notre pays, certes, mais cela n'est pas nouveau : bien avant 1943, nos 10 452 kilomètres carrés ont été et demeurent l'objet de toutes les convoitises. Malheureusement pour nous, ce territoire a toujours été assimilé à un hôtel de passe dont les tenanciers se sont le plus souvent pliés à l'humeur de leurs hôtes. Des tranchées furent creusées entre les étages et même de chambre en chambre. Ceux qui avaient eu l'idée incongrue, parce qu'il était grand temps, de transformer cette maison ouverte à tout vent en État, avec tout ce que ce mot comporte comme obligations et responsabilités, en ont été pour leurs frais.
Comme si vingt années de sang, de souffrance, de mort, de haine, d'avilissement, de diaspora n'avaient pas suffi pour que les gens de ce pays comprennent que personne, que ce soit par le nombre ou la force, ne peut imposer sa volonté aux autres. Aux tenants de cette thèse, je rappellerai simplement qu'Israël, avec tout son arsenal, le soutien international dont il a bénéficié, la destruction programmée de notre infrastructure, n'a pas gagné la guerre de juillet 2006. Comme un seul homme, les Libanais, faisant fi de leurs réserves qui, quoi qu'on en dise, étaient plus que légitimes, ont fait face à cette déferlante de fer et feu. Un élan de solidarité à nul autre pareil s'est créé, les écoles, les églises, les maisons dans toutes les régions du pays ont ouvert leurs portes pour accueillir ces Libanais, sans distinction d'appartenance sociale ou religieuse. Ce n'est pas la peur de l'autre ou la pitié, mais bien l'amour du prochain et de la patrie qui a dicté cette conduite. En guise de remerciement, il y eut mai 2008 qui, une fois de plus, a failli emporter notre pays dans le tourbillon de la démence sectaire.
Ne laissez pas votre main gauche savoir ce que fait la droite, dit l'Évangile. Mais arrive un temps où, en dépit du devoir de réserve ou de charité chrétienne, il devient nécessaire, sinon impératif, de rappeler aux autres vos bontés, pour qu'elle ne soient pas perçues comme une tare ou une faiblesse.
Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se brise, et il n'est pas aisé d'en recoller à l'infini les morceaux. Déjà flotte dans l'air l'idée d'un Doha II. Ce n'est pas à chaque fois qu'une échéance nationale survient que ces messieurs doivent aller faire une cure hors du pays pour se mettre d'accord sur le partage du butin. À ce compte-là, le meilleur serait qu'ils y restent. Un peu de tourisme à Doha, pour peu qu'il sortent de leur trou, leur dessillerait les yeux. Ils auront le loisir de comparer tout le mal qu'ils font à notre pays, avec le modernisme, l'avancée technologique, les bâtiments, les autoroutes, l'électricité 24h/24, l'eau qui coule à flots, les prestations sociales dans cet émirat.
Non, ce n'est pas ainsi que l'on bâtit un État de droit ; ce n'est pas en multipliant les conditions qu'on construit l'avenir de nos enfants ; ce n'est pas en retournant à l'ère médiévale qu'on se prémunit contre les dangers du futur et les convoitises de nos voisins, tous nos voisins. Ce n'est pas en se mettant au service de ces voisins, de ces amis ou cousins de l'étranger, que l'on renforce notre indépendance et notre démocratie qui chaque jour sont bafouées. Ce n'est pas attaquant sans vergogne les institutions religieuses, rempart de notre pays, que l'on cimente l'unité nationale.
Je récuse fortement les propos du président de la Chambre, en dépit du respect que je lui porte, souhaitant qu'un accord se fasse entre les « S-S » pour faciliter l'avènement du gouvernement. Je trouve ce jeux de mots déplacé : pour avoir comme tant d'autres potassé l'histoire, il me rappelle trop une période très noire. Mais tout compte fait, il se peut qu'il ait raison, car en cette mi-septembre, je ne peux qu'évoquer avec nostalgie et douleur le sacrifice de Bachir Gemayel qui avait voulu mettre fin aux ingérences étrangères dans notre pays et bâtir un État.
Rafic Hariri l'a appris à ses dépens. Lui aussi s'est insurgé contre les diktats et les listes gouvernementales préimprimées qui lui parvenaient par poste, mais qu'il réussissait parfois, à force de persuasion et de ténacité, à remanier pour le mieux.
Heureux temps pour certains, il est vrai, mais pas pour ceux qui rêvent d'un pays où les termes nation, démocratie, liberté, indépendance auraient un sens réel. Aussi est-il grand temps de prononcer un non, quitte à ce qu'il soit mitigé. Il vaut mieux perdre un peu pour sauver le tout, et c'est ce que je présume, n'étant pas dans ses secrets, Saad Hariri entreprendra de concert avec le président de la République.
Ce pays est à nous tous, aux 17 communautés qui le forment. Il est impensable qu'aussi soudée qu'elle soit, et l'on sait comment, l'une d'entre elles impose sa volonté aux autres. Sinon, autant faire notre deuil de la patrie.

Georges TYAN
Conseiller municipal de Beyrouth
La sardine qui a bloqué le port de Marseille n'était donc pas une blague marseillaise. L'histoire, qui dit-on est un éternel recommencement, s'est déroulée cette fois chez nous. Le processus gouvernemental s'est enrayé. Et vogue la galère ! En attendant, c'est nous qui galérons ; les centres de décision sont...

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