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Liban - En dents de scie

Mine de rien

Trente-cinquième semaine de 2009.
Il a beau se forcer à afficher une sérénité à toute épreuve, le jeune Premier ministre désigné, une placidité surprenante à l'aune de ce jeune âge que guettent tous les bouillonnements, un détachement quasi monacal, mais point trop n'en faut : il a fini par grandement s'étonner, cette semaine, d'entendre des gens répéter à qui veut les entendre que tout se passe très bien sans Conseil des ministres et qu'il n'y a aucune raison de s'inquiéter si le gouvernement tarde à voir le jour.
Il n'y a pourtant pas que cette crétinerie politique absolument inédite qui devrait pousser Saad Hariri à rester longtemps, sans doute très longtemps, zen : tous les signaux sont au rouge, et le cabinet Siniora devrait continuer à expédier les affaires courantes bien après la fête du Fitr. Parce que ce surplace, en fait cette régression, n'a rien à voir avec la piété du mois de ramadan. Ni avec le népotisme passionnel et passionné de Michel Aoun ou son refus à s'entretenir avec le Premier ministre désigné ailleurs que dans les jardins suspendus de Rabieh. Cette stérilité n'a rien à voir non plus avec ce nouveau et tout récent pseudo-rapprochement syro-saoudien dont les prémices, comme à chaque fois, se font avorter dans l'œuf des combines et du jeu de rôles orchestré par le binôme Damas et Téhéran, jamais avare en farces et attrapes en tout genre. Ni avec le plan Obama pour le Proche-Orient censé être dévoilé dans le mois à venir ; ni avec l'évolution et le devenir des négociations directes ou indirectes entre la Syrie et Israël et auxquelles il faudrait impérativement que le Liban participe.
Tout, absolument tout, est fait pour gagner du temps, le plus de temps possible, fût-ce au prix d'un ridicule qui (mal) heureusement reste totalement inoffensif, comme cette proposition de scinder le ministère de l'Intérieur et des Municipalités en deux, voire en trois (pourquoi ne pas créer aussi le ministère de la Circulation pour le deuxième gendre...) ou en quatre (on pourrait aussi instaurer le ministère de la Régulation de la vie nocturne). C'est-à-dire gagner le plus de temps possible avant que ne soit publié l'acte d'accusation du Tribunal spécial pour le Liban, un texte censé nommer avec une clarté toute scientifique l'ensemble des participants à l'attentat qui a coûté la vie à Rafic Hariri, quel que soit le degré de leur implication et dont certains, selon le Der Spiegel, seraient membres du Hezbollah... Et cela, comme Walid Joumblatt, comme tout le monde, Saad Hariri le sait.
Au chômage technique depuis trois mois et pour encore de nombreuses, d'interminables semaines, le quatrième président a visiblement trouvé dans l'attaque frontale, quoique allusive, de cheikh Mohammad Hussein Fadlallah contre Mgr Nasrallah Sfeir de quoi occuper ses longues journées de jeûne.
Dans un pays qui se meurt à cause de son manque viscéral de laïcité ; dans un pays où l'église et la mosquée (plutôt : les églises et les mosquées, notamment depuis 2005 et, davantage encore, après le 7 mai 2008) se mêlent (bien obligées parfois ?) de ce qui ne devrait plus, en aucune manière, les regarder : la/le politique ; dans ce pays-là, plus rien n'étonne, même pas l'agressivité entre leaders religieux. Cheikh Fadlallah, dont la dimension dépasse de loin les frontières libanaises, a toujours (d)étonné par son côté progressiste, son intelligence, son ouverture d'esprit et son indépendance, toute relative certes, par rapport au Hezbollah. Son tir à boulets rouges (qui ne peut en aucun cas être une improvisation, ou un petit coup de sang spontané) contre la formule libanaise en général et contre le maître de Bkerké en particulier est une gifle que cet uléma pourtant brillant a assénée à sa propre crédibilité. Mais pas seulement : le legs moral de l'imam Moussa Sadr en a pris un sérieux coup ; quant au décidément irremplaçable cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine, il doit continuer de faire des triples axels dans sa tombe. Mort une deuxième fois - de tristesse sans doute, de honte surtout.
Que le landernau politique chrétien de l'Alliance du 14 Mars se soit violemment insurgé contre l'insulte faite à Bkerké n'a rien de surprenant. Ce qu'il y a de littéralement énorme par contre, c'est que Saad Hariri est monté au créneau, fût-ce au cours d'une conversation totalement off the records avec des journalistes à l'issue d'un iftar donné cette semaine, pour répondre, même très indirectement, à une des plus grandes références chiites mondiales, et pour lui répondre qu'il n'a rien contre le référendum populaire proposé par cheikh Fadlallah, à condition que soient accordés à l'ensemble des Libanais de la diaspora et la nationalité et le droit de vote.
Au-delà du vide gouvernemental béant, au-delà de ces querelles somme toute pas mortelles entre clochers et minarets, au-delà de tous les rebondissements, toutes les échéances et tous les défis auxquels le Liban devra faire face au cours de l'automne à venir, il y a ce pied de nez inouï, cette ironie somptueuse de l'histoire : la concomitance des deux volets chrétien et sunnite. Il y a, par-delà les bisbilles naturelles et ponctuelles entre les pôles chrétiens du 14 Mars, FL et Kataëb en tête, et le Courant du futur, par-delà la tentation suisse purement formelle du PSP, il y a désormais la marche vers un même destin et le regard dans la même direction ; une cohésion, une cohérence absolument inédites - et qu'elles soient tactiques ou stratégiques n'a pour l'instant aucune espèce d'intérêt. Il y a une nouvelle, une retentissante confirmation que tout est possible dans ce Liban des mille et une surprises, et une prochaine visite du Premier ministre désigné auprès du patriarche Sfeir, probablement dès son retour à Bkerké, ne surprendra(it) personne.
Sans oublier quelque chose d'essentiel : le tandem Sleiman-Hariri. Autre belle ironie : le fils pourrait ainsi réussir là où le père a toujours échoué : s'entendre, dans la profondeur, dans la transparence et dans la productivité, avec un chef de l'État. Et du premier coup...
Saad Hariri a encore tout, absolument tout, à faire, apprendre et prouver. Une chose rassure : il est sur la bonne voie.

Trente-cinquième semaine de 2009.Il a beau se forcer à afficher une sérénité à toute épreuve, le jeune Premier ministre désigné, une placidité surprenante à l'aune de ce jeune âge que guettent tous les bouillonnements, un détachement quasi monacal, mais point trop n'en faut : il a fini par grandement...
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