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Législatives : juin 2009 - Pour aller plus loin

Une équipe ministérielle « à la libanaise » pourrait voir le jour d’ici au début de la semaine prochaine

La « prophétie » de Nabih Berry selon laquelle le gouvernement verrait le jour d'ici à la fin du mois - et qui avait été accueillie avec scepticisme et même avec sarcasme par nombre d'observateurs et de responsables politiques - se réalisera-t-elle réellement dans la pratique, contre vents et marées ?
Dans un pays comme le Liban, la prudence veut que l'on s'aligne sagement sur l'attitude légendaire de saint Thomas. Mais il reste que dans les faits, les différents milieux politiques, aussi bien au sein du 14 Mars que du 8 Mars, affirmaient hier soir à l'unisson que l'on s'achemine véritablement à grands pas vers un heureux dénouement. Le cabinet Hariri pourrait ainsi être mis sur pied dans les tout prochains jours, au plus tard au début de la semaine prochaine, et peut-être même avant la fin du week-end.
Selon diverses sources concordantes, nous sommes rentrés de plain-pied dans la phase de la répartition des portefeuilles et de la détermination des noms des ministrables. Une tâche ardue et particulièrement délicate qui a fait l'objet en soirée d'une réunion de plus de deux heures que le Premier ministre désigné Saad Hariri a tenue avec le chef du Législatif et leader du mouvement Amal Nabih Berry, à Aïn el-Tiné. Rien de précis n'a filtré sur le bilan de cette entrevue, mais des sources proches du Courant du futur ont confirmé tard en soirée à L'Orient-Le Jour que les deux hommes ont bel et bien planché sur la liste des ministrables.
Auparavant dans la journée, le dernier point des tractations en vue de la formation du gouvernement avait été passé en revue au cours de l'entrevue que le président Michel Sleiman avait accordée au palais de Baabda à une délégation du Hezbollah conduite par le président du bloc parlementaire hezbollahi, le député Mohammad Raad, qui s'est déclaré prudemment optimiste, à l'issue de la réunion, quant à un prochain déblocage, affirmant qu'une « percée s'est produite », que de nouveaux progrès pourraient être enregistrés sous peu et qu'il n'existe pas « d'obstacles contraignants » à la gestation de la nouvelle équipe ministérielle. Indice significatif : M. Raad s'est abstenu d'évoquer la traditionnelle requête du 8 Mars portant sur le tiers de blocage.

Une formule « à la libanaise »
C'est précisément sur ce point précis - le tiers de blocage - qu'a été axé principalement le gros des efforts déployés à plus d'un niveau afin de défricher le terrain face au Premier ministre désigné. Bien avant les élections législatives du 7 juin dernier, les principaux ténors du 14 Mars avaient affirmé à maintes occasions qu'il était hors de question, en cas de victoire du camp souverainiste, que le 8 Mars obtienne à nouveau, comme dans le cas du cabinet Siniora sortant, ce fameux - et funeste - tiers de blocage qui a pratiquement paralysé le cabinet formé après la conférence de Doha, en mai 2008. Aussi bien le président du Conseil désigné, Saad Hariri, que les forces du 14 Mars sont restés fermes sur cette position de principe, de sorte que le camp du 8 Mars a fini par céder sur ce plan, soulignant toutefois que l'important pour lui était d'obtenir des « garanties » qui feraient office de tiers de blocage. C'est alors qu'est apparue une formule bien « libanaise », c'est-à-dire quelque peu bâtarde et boiteuse : à défaut de satisfaire la revendication principale de l'opposition, on a entrepris de manœuvrer sur le profil de certains ministres qui devraient être désignés par le président de la République. Il semble acquis que la formule numérique retenue pour la composition du gouvernement sera 15-10-5 (15 ministres au 14 Mars, 10 au 8 Mars et 5 au président de la République) ou 16-10-4. Dans l'une ou l'autre de ces deux formules, le président Sleiman devra choisir un ministre chiite agréé par le Hezbollah et un ministre sunnite bénéficiant de l'aval du camp souverainiste (et donc du Premier ministre). Toute la manœuvre « à la libanaise » tourne donc autour de l'identité de ces deux ministres, et plus particulièrement du ministre chiite choisi par le chef de l'État.

Les ministres du président
Selon diverses sources, toutes concordantes, le choix du président Sleiman concernant « son » ministre chiite s'est porté sur Adnane Sayyed Hussein. Celui-ci est professeur à l'École militaire et à l'Université libanaise. Très proche du chef de l'État, il est sensible aux thèses du Hezbollah pour ce qui a trait aux grandes options politiques du parti chiite, sans toutefois s'aligner totalement sur les positions - notamment politiciennes - du Hezbollah. Son passé politique le positionne, en tout état de cause, dans le camp de ce qui était qualifié durant la guerre d'Ouest politique. Il militait au début des années 70 dans les rangs de l'Union des forces du peuple travailleur (UFPT, organisation nassérienne dirigée par Kamal Chatila qui se réclame actuellement de l'opposition). Mais depuis la fin de la guerre, il a pris ses distances à l'égard du camp de l'Ouest politique et se positionne en intellectuel indépendant, tout en appuyant certaines des positions de principe du Hezbollah. Ce qui explique que les milieux du 8 Mars l'ont présenté au cours des dernières vingt-quatre heures comme étant le onzième ministre assurant de facto à l'opposition le tiers de blocage. Une perception qu'a exprimée explicitement hier le chef des Marada Sleimane Frangié, qui a souligné que l'opposition pourrait accepter une telle formule, à savoir être représentée par dix ministres, le onzième pouvant faire partie de la quote-part du président. Cette approche est toutefois contestée par les milieux du 14 Mars qui soulignent qu'en présentant Adnane Sayyed Hussein comme étant « leur » onzième ministre de facto, les forces du 8 Mars tentent en fait de sauver la face vis-à-vis de leur base populaire et d'occulter ainsi le fait qu'elles ont cédé sur le principe du tiers de blocage.
En tout état de cause, Adnane Sayyed Hussein fait bel et bien partie de l'équipe du président Sleiman et devrait donc vraisemblablement s'aligner sur l'attitude du chef de l'État lors des délibérations - et, surtout, du vote - en Conseil des ministres. La grande question qui pourrait se poser toutefois est de savoir quelle serait en dernier recours sa position en cas de grave crise avec le Hezbollah. Serait-il, le cas échéant, en mesure de faire face à d'éventuelles pressions qui pourraient être exercées par l'allié de Téhéran ? C'est à ce niveau qu'intervient la lourde responsabilité que le président Sleiman est appelé à assumer.
Parallèlement, le chef de l'État devra désigner un ministre sunnite agréé par le 14 Mars. Deux noms sont avancés sur ce plan : ceux de Adnane Kassar et Ghaleb Mahmassani. On pourrait à ce niveau avancer les mêmes réserves concernant le positionnement de ce ministre sunnite nommé par le président Sleiman mais qui pourrait, en cas de crise grave, basculer carrément dans le camp du 14 Mars. Sauf que dans ce cas précis, un tel repositionnement ne porterait pas vraiment à conséquence du fait que le camp souverainiste bénéficierait alors au sein du gouvernement de 16 voix au lieu de 15 (ce qui ne modifierait pas réellement l'équilibre de forces au sein du cabinet), alors que si le ministre chiite désigné par Baabda finit par s'aligner sur le Hezbollah, le 8 Mars aurait alors réussi à obtenir le tiers de blocage.

La valse des ministrables
Mais nous n'en sommes pas encore là, et pour l'heure, tous les regards sont braqués sur la valse des ministrables. Comme le grain de sable qui peut parfois enrayer une machine, les tiraillements autour de la répartition des portefeuilles et de l'identité des futurs ministres risquent de remettre en question le vent d'optimisme colporté au cours des dernières vingt-quatre heures par l'ensemble des cercles politiques locaux, toutes tendances confondues. C'est que certains obstacles se dressent encore sur la voie de la composition de l'équipe ministérielle. Les principaux obstacles portent sur les requêtes du chef du CPL, Michel Aoun. Celui-ci insiste en effet à obtenir le retour de son gendre, Gebrane Bassil, au sein du gouvernement, et plus précisément aux Télécommunications. Or dans le même temps, certains pôles du 14 Mars insistent à obtenir la désignation de Boutros Harb à un portefeuille-clé. La présence de deux ministres originaires du caza du Batroun étant difficilement envisageable, le Premier ministre désigné se trouve devant un choix difficile. Selon certaines sources fiables, Saad Hariri serait opposé à un retour de Gebrane Bassil, le camp souverainiste ne pouvant pas, en toute logique, abandonner Boutros Harb, qui a remporté une nette victoire aux élections, au profit d'un candidat qui a perdu, sans aucune équivoque possible, face à ce même Boutros Harb. Sans compter que le leader du Courant du futur avait posé comme critère, dès le départ, de ne pas inclure dans son équipe des personnalités ayant échoué aux dernières élections. S'il cède donc dans le cas de Gebrane Bassil, il n'y a pas de raison qu'il ne fasse entrer au gouvernement Farès Souhaid, Carlos Eddé ou même Bassem Sabeh.
Mais indépendamment de ces obstacles ponctuels, l'attention des milieux politiques était braquée hier sur l'identité des autres ministrables dont le choix est envisagé par le président Sleiman et le Premier ministre désigné. Il serait ainsi question de Mahmoud Berry (le frère de Nabih Berry) aux Affaires étrangères, d'un ancien officier très proche du chef de l'État, Farès Soufia, à l'Intérieur, et de l'entrée au gouvernement du vice-président du parti Kataëb, Sélim Sayegh.
Le dossier de la répartition des portefeuilles et du choix des ministrables sera, en tout état de cause, au centre de la réunion hebdomadaire que le président Sleiman tiendra aujourd'hui, comme chaque mercredi, avec Nabih Berry. Une réunion qui a sans doute été préparée lors de l'entretien que le président de la Chambre a eue hier soir avec le Premier ministre désigné. Et qui pourrait déterminer surtout, dans une large mesure, si la fumée blanche se dégagera réellement dans les tout prochains jours du palais de Baabda.
Dans un pays comme le Liban, la prudence veut que l'on s'aligne sagement sur l'attitude légendaire de saint Thomas. Mais il reste que dans les faits, les différents milieux politiques, aussi bien au sein du 14 Mars que du 8 Mars, affirmaient hier soir à l'unisson que l'on s'achemine véritablement à grands pas vers un heureux dénouement. Le cabinet Hariri...